Un point d'inflexion sur les matières premières?

Thomas Planell, DNCA Invest

2 minutes de lecture

Le rebond des matières premières est -il susceptible de remettre en cause le scénario désinflationniste?

En face du centre spirituel et culturel orthodoxe russe à Paris, sous surveillance permanente depuis le début du conflit en Ukraine, le Zouave de l'Alma rappelle aux passants la campagne victorieuse de Napoléon III en Crimée en 1856.

Menée pour empêcher que la mer Noire ne devienne un «lac russe» pour reprendre le célèbre mot de Guizot, elle couta la vie à de nombreux soldats français et anglais qui périrent plus souvent de maladies que des combats. A bien des égards, l’offensive expéditionnaire en Crimée figure comme l'antichambre de la guerre moderne: apparition des premières tranchées, combats de positions, mêlant conditions de vie déplorables, épidémies, à l'usage plus intensif que jamais de l'artillerie de marine.

Rien n'illustre mieux cette transition vers une guerre désormais industrielle, mécanique que le spectacle des frégates à vapeur remorquant les bâtiments à voile de l'ancien monde vers l'épicentre du conflit, Sébastopol.

Hier comme aujourd'hui, la maitrise de cette bastide présidant à la destinée géopolitique des mers Noire et d'Azov est vitale pour la Russie, une super puissance de l'époque, qui assumait pleinement son rôle de gendarme politique sur le continent et d'autorité dans les conflits religieux. Cultivant la nostalgie hégémonique du tsarisme et l’autoritarisme du stalinisme, Poutine porte à son tour le conflit sur sa mare nostrum.

Un nouveau choc d’inflation?

En menaçant d'un blocus maritime, en bombardant les infrastructures agro-portuaires sur le littoral mais aussi en profondeur, la Russie semble ajouter l'arme alimentaire à son arsenal.

Désorienté, le compas obligataire n’offre guère de secours aux investisseurs en actions, qui restent confrontés à plusieurs questions, malgré le regain d’optimisme.

Aggravé par l’imminence d’El Nino, le rebond des matières premières agricoles est préoccupant. Outre le blé, après le sucre et le jus d’orange, les huiles végétales se renchérissent: leur culture sera la première victime du phénomène météorologique. En général, le pic sur les prix intervient un an après la survenance du dérèglement de la température marine.

Au même moment, les marchés pétroliers commencent à intégrer le risque d'une détérioration de la balance au second semestre. Entre Primorsk, Ust-Luga et Novorossiysk, les exportations russes ont baissé d'1,17 millions de barils par jour depuis deux semaines. Au côté de l'Arabie Saoudite, la Russie est fidèle à son engagement de réduire son offre sur les marchés internationaux. Rystad Energy s'attend à une réduction de l'offre de l'OPEP de 6% par rapport à l'an dernier.

Aidés par la faiblesse du dollar sur fond de fin de hausse des taux de la FED et les annonces de soutien à l'économie du politburo chinois, les métaux industriels ne sont pas laissés pour compte. Ils se stabilisent depuis le plancher de juin. En soutien, le déstockage des derniers trimestres, parmi les plus violents jamais observés, pourrait toucher à sa fin.

Le parti communiste a ainsi admis pour la première fois une réelle faiblesse de la croissance. Le remède: relance par les infrastructures, soutien au secteur résidentiel, à la consommation, continuité dans l'assouplissement monétaire. Les actions des promoteurs immobiliers chinois progressent, le positionnement sur les métaux augmente.

Il est encore trop tôt pour présager de la fin du cycle de sous performance des métaux, à l'œuvre depuis le début de l'année: en moyenne, ces phases durent entre 14 et 16 mois. D’autant qu’à l'occasion de ses résultats, Arcelor Mittal révise à la baisse la demande d'acier aux Etats-Unis et en Europe: + 1% à +2% cette année, contre +2% à +3% attendus en début d'année. Les prévisions en Chine sont inchangées.

Si le mouvement actuel renforce le phénomène de backwardation sur les contrats sur pétrole et blé la courbe des taux américains nous envoie un message tout aussi particulier. Son inversion, aux Etats-Unis, est la plus longue depuis 40 ans. Voilà désormais plus d'un an que les taux à 10 ans sont inférieurs aux taux à 2 ans.

Historiquement, l'inversion de la courbe des taux était présage de fin de cycle. Mais dans leur dernier rendez-vous avec les marchés, les gouverneurs de la FED semblent avoir définitivement abandonné l’hypothèse d’une récession. Fallait-il en réalité se méfier davantage d’une repentification, à l’instar de celles qui en 1990, 2001 et 2007 avaient précédé l’entrée effective en récession?

Désorienté, le compas obligataire n’offre guère de secours aux investisseurs en actions, qui restent confrontés à plusieurs questions, malgré le regain d’optimisme.

A présent que la fin de la hausse des taux par la FED semble faire consensus, les fondamentaux peuvent-ils justifier une poursuite de la revalorisation des marchés actions? Faut-il s’appuyer sur les perspectives de hausse bénéficiaire en 2024 et croire en leur résistance aux défis des prochains trimestres? Les volumes d'affaires suffiront-ils à préserver les marges d'EBIT record dans un contexte ou le pricing power des entreprises peut céder du terrain avec le recul des indices de prix à la production?

Une éventuelle repentification de la courbe augura-t-elle d’une normalisation bienvenue ou d’un sombre présage, douloureux pour les marchés?

Enfin, le rebond des matières premières et les tensions des équilibres offre/demande causés par les conditions météorologiques, la guerre, la baisse des rendements agricoles et miniers est -il susceptible de remettre en cause le scénario désinflationniste auxquels adhèrent les investisseurs? Un nouveau choc d’inflation est-il encore possible?

A lire aussi...