Un cercle vicieux

Andrew Fraser, Aberdeen Standard Investments

2 minutes de lecture

Le prochain cas «Lehman» pourrait bien se trouver en Europe, selon Andrew Fraser d'Aberdeen Standard Investments.

 

D'une certaine manière, la réglementation mise en place dans les années qui ont suivi la chute de Lehman Brothers est une réussite.

L’époque où les banques cherchaient à gonfler leur bilan sur la base de fonds propres limités est révolue. Aujourd’hui, la prudence a fait son retour dans l’économie réelle, accompagnée d'une activité de prêts plus réaliste.

Néanmoins, une vaste portion du casse-tête réglementaire n'a jamais été menée à bien, et c’est un fait inquiétant. De nombreuses banques européennes demeurent vulnérables à une crise de la dette souveraine européenne comme celle que le vieux continent a déjà vécue.

Les coûts d’emprunt des pays les plus fragiles
et de leurs banques ont évolué de pair.

Celle-ci avait débuté avec l’effondrement de l’économie grecque et de ses banques, et l’élargissement des spreads en Italie, en Espagne, en Irlande et au Portugal. Un lien dangereux existait alors entre certaines économies et leurs banques locales. Les coûts d’emprunt des pays les plus fragiles et de leurs banques ont évolué de pair, les entrainant dans un cercle vicieux dont l’issue se trouvait être l'insolvabilité.

En mai dernier, l’Italie a prouvé, comme si une piqûre de rappel était nécessaire, que ce cercle vicieux pouvait se remettre en mouvement très rapidement. Les coûts d’emprunt des banques italiennes et les rendements souverains ont grimpé en flèche de concert, en raison des inquiétudes suscitées par l’arrivée d’un gouvernement populiste. Les banques italiennes détiennent près de 40% de l’ensemble des obligations souveraines du pays. Les coûts d’emprunts, bancaires et souverains continuent donc d’augmenter.

Pour mettre un terme à ce cercle vicieux, la solution la plus simple serait de renforcer, via une hausse des exigences de fonds propres, le coût de détention des obligations souveraines par les banques ou d'imposer des limites plus rigoureuses. Rehausser le niveau des fonds propres devant être détenus par les banques dans le cas d’exposition aux emprunts d’État permettrait protéger leur bilan lors de crises souveraines. Cela les forcerait à revoir leur exposition globale aux dettes souveraines et éviter une trop forte concentration, les incitants à diversifier leurs expositions. Elles pourraient ainsi mieux faire face aux brusques variations de rendements de ces obligations.

Un grand nombre de banques européennes
ne dispose pas d'un accès immédiat au capital nécessaire.

Plus facile à dire qu’à faire. Revoir les exigences de fonds propres se révèlerait en effet compliqué en raison de la manière dont le risque souverain est perçu. Si, en temps normal, les investisseurs n’en tiennent quasiment pas compte, en période de stress, ils paniquent et la hausse des spreads ne semble jamais suffisante pour refléter l'évolution rapide de leur perception du risque. C’est l’une des raisons pour lesquelles le cercle vicieux est particulièrement pernicieux: les investisseurs se soucient peu du risque souverain jusqu’au moment où ils se mettent à paniquer.

Un grand nombre de banques européennes ne dispose pas d'un accès immédiat au capital nécessaire et devrait par conséquent l'augmenter. Cela se traduirait par une réduction de leur portefeuille en emprunts souverains. Même si c’était une bonne chose en soi, la vente soudaine d’obligations souveraines risquerait de peser sur les cours et générer une certaine instabilité au sein des marchés obligataires.

Se poserait également la question de savoir qui rachèterait ces obligations. La BCE, qui représente de loin le premier acheteur d'emprunts d’État européens, se retire peu à peu du marché en mettant un terme à son programme d'assouplissement quantitatif (QE).

Néanmoins, ces risques à court terme pourraient vraisemblablement être limités si l’on accordait aux banques suffisamment de temps pour satisfaire ces nouvelles exigences. De telles périodes de transition doivent faire l’objet d'une mûre réflexion. Si elles se révèlent trop courtes, les marchés reflètent immédiatement les nouvelles contraintes réglementaires dans les cours. Les autorités de Bâle ont cependant démontré leur capacité à calibrer la mise en œuvre des ajustements nécessaires pour les rendre efficaces.

Les tentatives destinées à rompre ce cercle vicieux ont échoué
davantage pour des raisons politiques que pratiques.

L’augmentation des exigences de fonds propres en regard du risque souverain est incontestablement réalisable. La Belgique est le premier pays européen à avoir appliqué en 2014 une pondération du risque sur les emprunts d’État. Une mesure qui s’est traduite par une hausse de 4,4 milliards d'euros des actifs pondérés par le risque au sein de la plus grande banque belge, KBC.

La Suède a quant à elle déployé en 2017 une loi qui nécessitait que les banques appliquent une pondération du risque sur les obligations souveraines et municipales. Cette opération a renforcé de 9 mds SEK les actifs pondérés par le risque de SEB, l’une des premières banques locales.

En définitive, les tentatives destinées à rompre ce cercle vicieux ont échoué davantage pour des raisons politiques que pratiques. L’Union bancaire européenne devait en principe y remédier et prévenir la résurgence de la crise de la dette souveraine.

Mais celle-ci s’est enlisée dans des désaccords concernant la répartition des risques parmi ses membres et le projet demeure à ce jour incomplet. Ce statu quo est inquiétant dans la mesure où le populisme poursuit sa progression en Europe et l’Italie a montré à quelle vitesse la victoire écrasante des partis populistes pouvait remettre en mouvement le cercle vicieux. Gardons donc un œil sur l’Europe, le prochain «cas Lehman» pourrait bien s’y trouver.

Voir églament: Aberdeen Standard Investments (Switzerland)