Trump et le facteur malchance

Salima Barragan

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«Lors de la prochaine récession, la Fed pourrait ne plus être en mesure de nous sauver», affirme Yoram Lustig de T. Rowe Price.

A quelques mois des élections américaines de mi-mandat, nous avons rencontré Yoram Lustig, responsable des produits Multi-Asset, chez T. Rowe Price afin de discuter de l’économie américaine.

De la théorie des jeux…

L’ image controversée de Donald Trump en a fait la cible des critiques les plus virulentes. Est-ce que toutes ses politiques sont mauvaises? «Pas nécessairement», estime Yoram Lustig, qui trace un parallèle avec la théorie des jeux. «Les guerres économiques sont un jeu dangereux car l’on sait comment elles commencent mais jamais comment elles vont se terminer», explique-t-il à propos des rhétoriques commerciales. «Trump met la pression sur ses partenaires de négociation, mais cela pourrait lui éclater au visage. Avec ce genre de technique de négociation, il faut savoir prendre du recul, en espérant que les autres parties cèdent du terrain parce qu'elles ont plus à perdre. La Chine et l’Europe pourraient toutefois réagir par des mesures plus fermes, ce qui pourrait aggraver la situation», poursuit-il.

La politique fiscale expansionniste du président Trump vise à faire plaisir à son électorat, même si la phase du cycle économique américain ne justifie pas nécessairement un tel stimulus fiscal. La mise en place de barrières commerciales vise également à protéger son électorat. «Les USA sont le 2e exportateur mondial après la Chine et plus de 12% du PIB américain provient des exportations. Si la production américaine décline, ses électeurs, dont beaucoup sont des travailleurs peu qualifiés, en ressentiront les conséquences ce qui pourrait se retourner contre lui», explique-t-il. «Les mesures de relance budgétaire stimulent l’économie et tandis que les taxes douanières la refroidissent! Ces deux politiques simultanées pourraient s’avérer être un moyen intelligent de gagner les électeurs pour Trump tout en maintenant un taux de croissance sain de l'économie actuelle», rajoute Yoram Lustig.

...à la politique du chaos

Pour Yoram Lustig, il est encore prématuré pour tirer un bilan des «trumponomics», car l’on ne peut mesurer tous les impacts. «C’est une politique du chaos qui a créé trop d’incertitudes». 

Autre source d’instabilité, l’accroissement des inégalités durant la décennie passée, a été creusé par des politiques monétaires conciliantes. «Les banques centrales ont enflé les prix des actifs – en enrichissant au passage les actionnaires, alors que, sur cette même période, certains travailleurs n’ont pas vu d’augmentation sur leur salaire», explique Yoram Lustig. Les riches se sont donc enrichis, et les pauvres se sont encore appauvris. «Certains programmes censés protéger les classes défavorisées ont été supprimés. Des tensions sociales pourraient émerger si les politiques continuent dans ce sens», estime Yoram Lustig. D’ailleurs, une instabilité diffuse a favorisé la montée du populisme en Europe. «Le populisme émerge car un nouvel ordre mondial est en train de défier l’ancien», explique Yoram Lustic.

Le facteur Trump

Traditionnellement, la corrélation entre la performance les obligations et les actions a eu tendance à être négative, faisant des obligations de haute qualité un bon complément pour diversifier certain risque de baisse des marchés boursiers. En effet, dans un environnement «risk off», les investisseurs pourraient se séparer de leurs actions pour se réfugier dans les actifs dits sûrs. «Il y a quelques mois, nous avions des craintes au sujet de l’inflation, et une corrélation positive s’est installée, puisque la hausse de l'inflation pourrait nuire à la fois aux actions et aux obligations. Ce qui est un inconvénient pour les portefeuilles multi-actif. Mais avec l’apparition du risque de guerre commerciale, la corrélation négative pourrait être de retour!», explique Yoram Lustig. Grâce à, ce que le spécialiste nomme le facteur Trump, nous pouvons donc retrouver les bénéfices d’une diversification. «Les guerres commerciales pourraient ralentir l'économie et cela pourrait être négatif pour les actions, mais positif pour les obligations, ce qui ramènerait une corrélation négative. Si j'avais le choix, je préférerais que les actions se portent bien», analyse-t-il. Pour autant, Yoram Lustig ne chercherait pas à réduire sensiblement l’exposition actions, car on s’attend toujours à ce qu’elle génère la majeure partie du rendement global sur le long terme.

«Nous devons surveiller l’effet de la hausse des prix du pétrole
et monitorer le marché du travail américain très tendu.»

De plus, bien que les investisseurs devraient couvrir leurs portefeuilles contre le risque d’inflation, il y a des raisons, selon Yoram Lustig, pour que l’inflation soit structurellement plus basse à l’avenir que par le passé. Cela est dû en partie à la décélération de la croissance de la population. Les personnes d’âge avancé ont tendance à investir principalement dans les obligations, ce qui génère une demande et un soutien à la classe d’actifs. De plus, la technologie pourrait maintenir les prix bas, ainsi que la production dans les pays où le coût de la main-d'œuvre est relativement bon marché. «Nous devons surveiller l’effet de la hausse des prix du pétrole et monitorer le marché du travail américain très tendu. D’ailleurs, nous pourrions ressentir une pression sur les salaires ce qui pourrait supporter un peu d’inflation cyclique. Nous pourrions arriver au pic de sa marge de fluctuation qui ne sera probablement pas aussi haute que par le passé. L’inflation dans les pays développés n’atteindra vraisemblablement plus 4% ou 5%», assure Yoram Lustig.

La récession à moyen terme

«Le cycle courant n’a rien de normal. Nous sommes dans une phase de ralentissement où l’expansion liée à la croissance globale synchronisée s’affaiblit. Les USA se portent encore bien, mais l’Europe et la Chine ralentissent. Et, bien évidemment, chaque jour, nous nous rapprochons d’une récession; d’ici peut-être 2 à 3 ans», prévoit Yoram Lustig, pour qui un bon indicateur conjoncturel reste la courbe des rendements américains qui s’aplatit, mais ne s’est pas encore inversée. «Néanmoins, la Fed devra être attentive, lors de sa prochaine hausse de taux, afin de ne pas envoyer des signaux préoccupants au marché, ce qui risquerait de provoquer une inversion de la courbe», rajoute le spécialiste. 

Sur le front du marché du travail, le bilan semble positif mais n’est pas imputable uniquement à l’administration républicaine. «Le taux de chômage était déjà en baisse sous Obama», tempère Yoram Lustig. «L’augmentation des salaires, par contre, ne prend pas, et le déficit n’est toujours pas sous contrôle. D’ici 2020, il pourrait atteindre 1 trillion de dollars!» souligne-t-il. «Dans la politique vous devez être chanceux. Obama a été chanceux, il est rentré dans une bonne période de marchés. Trump est rentré alors que le marché financier arrive dans une phase mature. Mais le problème, c’est qu’aucune action ne peut contrôler la chance. Un président américain a besoin de chance pour être la bonne personne au bon moment», rajoute-t-il.

«Le marché est négatif et nous donne une indication
que l’économie ne va pas bien ou que l’inflation risque de chuter.»

Le rendement du Trésor américain à 10 ans se situe à un niveau d'environ 3%. Ce rendement devrait, en théorie, correspondre à la somme de l’inflation et au taux de croissance du PIB réel. «Le marché est négatif et nous donne une indication que l’économie ne va pas bien ou que l’inflation risque de chuter. Avec un PIB à plus de 2% et une inflation à 2%, ce rendement devrait être autour de 4%», analyse Yoram Lustig. 

Le «quantitative easing» a créé des distorsions et la forte demande de bons de Trésor et d’obligations d’Etat de la part des investisseurs institutionnels a maintenu les taux bas. A ces niveaux, la marge de manœuvre de la Fed semble restreinte. Dans le passé, la Fed comptait aussi sur l’appui des grandes banques centrales mais aujourd’hui, leurs bilans sont devenus très larges et le QE a ses limites. «La Fed pourrait ne plus être en mesure de nous sauver lors de la prochaine récession», estime Yoram Lustig. «Les humains sont toujours très inventifs pour trouver de nouveaux outils. En 2008, il s’agissait d’acheter du temps et d’attendre que les choses évoluent», rajoute-t-il. Comment est-ce que la Fed pourra gagner du temps lors de la prochaine crise? Nous devrons attendre pour voir.