Titres garantis par des œuvres d’art

Nicolette de Joncaire

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«Utiliser une collection comme collatéral d’une obligation est encore rare en Europe», explique Xavier Ledru de REYL & Cie.

Détail d’un tableau de Kazuo Shiraga.

Déjà développé aux Etats-Unis, le marché du prêt garanti par des œuvres d'art en est encore à ses balbutiements en Europe. Peu d’acteurs se sont engagés sur une voie qui pourrait représenter des milliards de dollars. 

Parmi les rares à s’y aventurer, la banque REYL & Cie lançait l’an dernier, en association avec LINK Management, Griffin Art Partners, une plateforme de titrisation luxembourgeoise spécialisée dans l’octroi de prêts sans recours garantis par des œuvres d’art. « Griffin Art Partners intervient sur des financements d’un à trois ans garantis par des œuvres d’art présentant une valeur d’estimation minimum d’un million d’euros, permettant ainsi aux collectionneurs et aux professionnels d’emprunter sur la base de leurs actifs » explique Xavier Ledru, responsable du projet chez REYL. 

Un collectionneur peut emprunter un montant représentant
généralement jusqu’à 50% de la valeur estimée de l’actif.

Le principe de fonctionnement des instruments rappelle celui des titres sur hypothèques, si ce n’est qu’en lieu et place de biens immobiliers, les prêts sont adossés à des œuvres d’art: en contrepartie d’une collection ou même d’une seule œuvre, un collectionneur peut emprunter un montant représentant généralement jusqu’à 50% de la valeur estimée de l’actif. 

Le financement des prêts est assuré par l’émission d’obligations compensées sur les chambres de compensations internationales et placées auprès d’une clientèle variée comprenant des personnes privées, des family offices, des banques privées ou des fonds de dette dont certains commencent à se positionner sur ce marché en croissance. Les œuvres sont généralement déposées auprès d’un organisme de stockage tiers pour en protéger l’intégrité mais peuvent aussi, à certaines conditions, rester en possession du collectionneur.

Des œuvres de grand prestige exclusivement

Dans ce partenariat, l’un des rôles de LINK Management, cofondé par Aude Lemogne et Aymeric Thuault, est de mener à bien la due diligence et l’évaluation des œuvres d’art sur la base de critères rigoureux, puis de présenter les prêts à la plateforme de titrisation. REYL pour sa part assure la titrisation des prêts et agit en qualité de représentant des investisseurs. 

A l’heure actuelle, les émissions de Griffin Art Partners sont garanties par des œuvres de tout premier plan, évaluées à plus du double du financement consenti sur la base d’estimations conservatrices. Monet, Gauguin, Cézanne, Picasso ou encore Basquiat, Warhol, Bacon ou Polke, seules les œuvres de prestige, dignes des grandes ventes publiques, peuvent entrer en lice.  Les maîtres anciens, plus délicats à traiter que les contemporains, exigent une documentation de premier ordre et des estimations plus conservatrices encore. « Pour structurer les quatre opérations qui ont été montées pour le moment, nos équipes ont examiné plus de 1 milliard d’euros de collatéraux » explique Xavier Ledru. «Après avoir testé nos process sur des opérations de taille modeste et au vu de l’appétit investisseurs que nous recevons, nous pouvons désormais considérer des opérations plus importantes. Nous examinons ainsi actuellement une collection d’une valeur de trente millions d’euros ou encore une œuvre contemporaine estimée à plus de 100 millions» ajoute-t-il.

Côté investisseurs, le potentiel de revenu est particulièrement attractif.

Les coupons trimestriels ou semestriels versés aux investisseurs se situent entre 5 et 10% de rendement annuel, un revenu appréciable dans une période de taux bas. « Le montant du coupon représente une prime due à une liquidité faible, voire inexistante, sur un investissement de type alternatif » note Xavier Ledru. En cas de baisse de la valeur d’estimation des œuvres, des mécanismes d’appels de marge ont été mis en place. 

Réserve de valeur peu explorée

Mature aux Etats-Unis, le marché des prêts garantis par des œuvres d’art ne compte encore que peu d’acteurs. «A peine une demi-douzaine dont quelques fonds britanniques et américains venus défricher le marché européen» estime Xavier Ledru. Une partie du financement des collections se fait par le biais du private equity mais peu de stratégies de dette, assorties d’un revenu régulier, sont proposées à l’heure actuelle et la demande s’intensifie. Côté emprunteurs, ces stratégies intéressent les grands collectionneurs, les galeries internationales et même les musées prêts à gager des œuvres pour financer l’achat de leurs collections. Côté investisseurs, le potentiel de revenu est particulièrement attractif sur une réserve de valeur encore peu explorée sur le plan financier. D’après le Figaro, sur un an à juin 2017, le chiffre d'affaires des ventes d'art contemporain continuait de grimper de 3,2%, avec des enchères avoisinant 100 millions de dollars sur certaines pièces dont celles de Basquiat, Modigliani, Lichtenstein ou Rothko.

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