Stupeur et tremblements sur les marchés du pétrole

Marie Owens Thomsen, Indosuez Wealth Management

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Les rendements potentiels sont désormais plus intéressants dans la production d'énergie alternative que dans l'énergie fossile.

Les mots nous manquent pour décrire les événements inédits qui viennent de frapper l’économie et les marchés. Pour la première fois dans l'histoire nous assistons à un arrêt «volontaire» de l'économie mondiale suivi d'une réduction telle de la demande de pétrole que le contrat à terme de mai sur le WTI a affiché un prix fortement négatif . Le 20 avril, ce contrat est tombé à -37,6 USD/baril, un niveau à partir duquel il s'est redressé mais qui reste négatif.

La problématique se situe, entre autres, au niveau de la capacité de stockage puisque toute personne susceptible de prendre physiquement livraison du pétrole conformément au contrat devrait le stocker quelque part. Or, le centre de stockage de Cushing aux Etats-Unis contenait 55 millions de barils le 10 avril, et sa capacité totale (de quelques 76 millions de barils) devrait être atteinte début mai.

La demande de pétrole pourrait toutefois atteindre un creux au cours de ce mois d'avril grâce à une reprise progressive de la demande de la Chine, mais le manque d'espace de stockage a maintenant également un impact sur les contrats à terme à plus longue échéance. Le Brent résiste mieux que le WTI tout en diminuant néanmoins à environ 22 USD/baril. Selon certaines informations, 13% du parc de forage américain a été fermé au cours de la dernière semaine, mais la production ne diminue pas assez vite vis-à-vis de la réduction du stockage disponible. Outre la baisse de la demande mondiale de pétrole, le profil des contrats à terme, qui offre des prix plus élevés pour les contrats à échéance plus lointaine, incite encore plus à stocker maintenant et à vendre plus tard à un prix plus élevé. 

Notez qu'à en juger par la forte augmentation des flux entrants dans les ETF sur le pétrole la semaine précédente, les acteurs du marché avaient annoncé, à tort, un creux du niveau du pétrole juste avant que les prix ne deviennent négatifs! Le prix des fonds a ensuite baissé en fonction des prix des contrats à terme.

L'environnement économique actuel aurait été
bien plus dramatique si le prix du pétrole avait augmenté.

Les fluctuations du prix du pétrole affectent les marchés et l'économie réelle de manière différente. Une baisse marquée du prix du pétrole a tendance à faire baisser les prix des autres actifs. C'est particulièrement le cas des titres de crédit, car de nombreux producteurs de pétrole de schiste vont voir leur note baisser et risquent le défaut lorsque les prix chutent. Ce qui a tendance à se répercuter sur le segment plus large des titres à haut rendement.

L'économie réelle, en revanche, se porte mieux lorsque le pétrole est moins cher. Bien entendu, les pays producteurs de pétrole souffriront grandement de la baisse actuelle des prix, mais en tant que groupe, ils ne représentent qu'environ 17% de l'économie mondiale et leur perte sera compensée par les gains des importateurs de pétrole. Ce phénomène se reflète peu dans les chiffres actuels car le commerce mondial est freiné par la pandémie, ce qui entraîne une détérioration de la balance des comptes courants de la plupart des pays. Il n'en reste pas moins que l'environnement économique actuel, déjà extrêmement tendu, aurait été bien plus dramatique si le prix du pétrole avait augmenté, comme cela a souvent été le cas lors des crises précédentes.

Le moment est venu de supprimer les subventions aux énergies fossiles
et de les remplacer par des programmes d’aides sociales.

La baisse du prix du pétrole entraînera également une diminution des dépenses gouvernementales en matière de subventions énergétiques. Au niveau mondial, un peu plus de 6% du PIB est alloué aux énergies, dont une bonne partie est octroyée aux énergies fossiles. L’absurdité de ces politiques est illustrée de façon frappante par le fait que ces subventions sont supérieures aux dépenses mondiales en faveur de l'éducation, qui représentent moins de 6% du PIB mondial. Le moment est venu de supprimer les subventions aux énergies fossiles et de les remplacer par des programmes qui aident directement les ménages vulnérables.

Au-delà des subventions en faveur des énergies fossiles, il y a la question de réduire sa consommation qui doit se concrétiser si l'on veut tailler dans les émissions de gaz à effet de serre. On suppose souvent que le faible prix du pétrole entrave la transition vers d'autres sources d'énergie. Cependant, il pourrait bien en fait l'accélérer. Les investisseurs recherchent invariablement le meilleur rendement possible de leurs investissements. Aux prix actuels, les rendements potentiels sont désormais plus intéressants dans la production d'énergie alternative que dans l'énergie fossile. Espérons donc que quelque chose de positif puisse sortir de cette crise.  Car ce serait le moment idéal pour que les décideurs politiques rectifient le tir envers l’énergie fossile.

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