Shinzo Abe surfe sous la dette

Valérie Plagnol, Vision & Perspectives

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La Banque du Japon a emmagasiné près de 40% de la dette du pays. Peut-elle se défaire de ce fardeau sans dégâts?

Au regard de l’augmentation de salaire de 0,1% que s’est octroyée le gouverneur Kuroda pour l’année fiscale en cours, la Banque du Japon ne donne certainement pas le signal de la hausse tant attendue des revenus et des prix – la deuxième flèche des Abenomics.

Arrivé dans les valises du Premier Ministre Shinzo Abe, le gouverneur de la Banque du Japon (BOJ), Haruhiko Kuroda, a accompagné la politique du gouvernement d’un programme massif d’assouplissement monétaire, au travers d’une vaste campagne d’achats d’actifs, de baisses de son taux directeur jusqu’à -0,1%, et même d’un «guidage» de la partie longue de la courbe des rendements obligataires, limitant drastiquement une quelconque hausse.

Le gouverneur de la Banque du Japon a bien rappelé que cette dernière
n’avait pas pour vocation de financer les déficits publics.

Après une période d’accélération, le soufflé de l’inflation est retombé. De l’aveu même de ses promoteurs, l’objectif d’une inflation de 2% reste hors d’atteinte, dans un pays où la population est en déclin.

Plus encore qu’ailleurs (en Europe et aux Etats-Unis notamment), l’accumulation massive d’actifs a conduit la Banque du Japon à une situation qui paraît désormais inextricable. Sur les six premiers mois de l’année, la BOJ a en effet accumulé plus d’actifs publics que le pays n’a généré de croissance en termes nominaux. 553‘600 milliards de yens contre une croissance de 552’800 milliards1. Au total, la Banque du Japon détient désormais dans ses coffres plus de 40% de la dette publique du pays.

Lors de son allocution devant la Diète, le gouverneur de la Banque du Japon a bien rappelé que cette dernière n’avait pas pour vocation de financer les déficits publics. D’autant que cette politique – comme ailleurs – en limitant le niveau des rendements, et même en poussant une partie de la courbe en territoire négatif,  pèse sur la rentabilité du secteur bancaire, voire le conduirait à prendre des risques excessifs.

La conjoncture japonaise s’annonce médiocre : au troisième trimestre le PIB du pays a reculé de 0,3% par rapport au trimestre précédent. Les marchés s’inquiètent déjà des conséquences d’une nouvelle hausse de la taxe à la consommation prévue pour octobre 2019, sans parler bien entendu du risque de retombée de la conjoncture après les JO de 2020.

La Banque du Japon reste soumise
à des pressions contradictoires.

La BOJ tente d’organiser la sortie de sa politique. Fin novembre, elle a annoncé une réduction du nombre de jours et des maturités d’achats des obligations d’Etat. Déjà au cours de l’été, de telles mesures avaient conduit à une remontée des rendements de la dette, le taux 10 ans JGB2 passant de 0,035% à 0,16% en septembre, pour revenir à 0,086% ces derniers jours. C’est aussi un risque supplémentaire de perte pour la BOJ, lorsqu’elle devra remplacer ceux des actifs arrivant à maturité. Car ces timides initiatives sont encore loin d’entamer – comme c’est le cas aux Etats-Unis – une réduction du bilan de la Banque Centrale, qu’elle n’envisage d’ailleurs pas à moyen terme. Mais la remontée des taux pourrait bien lui faire enregistrer des pertes sur son portefeuille, et de fait, la BOJ serait en train de provisionner son bilan en perspective d’une telle éventualité.

Il ressort des différentes interventions du Gouverneur Kuroda que la Banque du Japon reste soumise à des pressions contradictoires: d’un côté, elle ne peut ignorer que sa politique n’a pas produit les effets redistributifs qu’elle pouvait en attendre au travers d’une accélération significative et durable de l’inflation. De l’autre, le système bancaire du pays reste fragile et fragmenté, et souffrant du niveau des taux actuels, pourrait prendre de plus grands risques, comme d’ailleurs les investisseurs qui se tournent vers les marchés extérieurs.

De son côté, afin de dynamiser l’économie, le Premier Ministre tente de faciliter l’arrivée des travailleurs étrangers au Japon. De même, l’augmentation du taux d’activité des femmes et des personnes âgées peut-elle être portée à son crédit. Ces efforts restent toutefois insuffisants pour changer le cours descendant de la démographie, et le Japon, en pointe dans le développement de la robotique, aura de plus en plus besoin d’investissements productifs pour pallier ces manques.

 

1 Source Bloomberg.
2 JGB, Japanese Government Bond

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