Se préparer à un affaiblissement du dollar

Philippe G. Müller, UBS

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Le dollar a débuté l'année en forme. Il s'est apprécié de 3,5% face à l'euro. Il pourrait encore s'apprécier, mais cette tendance ne durera pas.

Plusieurs facteurs ont soutenu le dollar. Premièrement, l'épidémie de coronavirus a alimenté l'incertitude quant à l'ampleur et au timing de la reprise économique dans le sillage de la signature du premier volet de l'accord commercial entre les Etats-Unis et la Chine. Lorsque des événements à risque se produisent, le dollar américain profite généralement du repli des investisseurs vers les valeurs refuge. Par ailleurs, une croissance mondiale atone serait de mauvais augure pour les économies qui, à l'instar de l'Europe et du Japon, sont tournées vers l'export.

Deuxièmement, face à la perspective de rendements plus faibles, de nombreux investisseurs augmentent leur allocation stratégique aux actions au détriment des obligations pour atteindre leurs objectifs de rendement. Cela soutient le dollar étant donné le poids important du marché américain dans la capitalisation boursière mondiale. Troisièmement, les données macroéconomiques dans la zone euro sont décevantes par rapport à celles publiées aux Etats-Unis.

Compte tenu de l'accélération de la propagation du coronavirus en dehors de la Chine, une poursuite de l'appréciation du billet vert ne saurait être exclue à court terme. Toutefois, plusieurs facteurs devraient affaiblir le dollar face à l'euro d'ici la fin de l'année.

La chasse au rendement pèse
sur l'euro et soutient le dollar.
Rebond du commerce global

D'ici fin mars, la progression de l'épidémie sera sans doute largement enrayée en Chine et le gros de l'impact économique sera limité au premier trimestre. La Recherche d’UBS table sur un vif rebond de la croissance du PIB chinois à compter du deuxième trimestre grâce à un effet de rattrapage de la demande, ainsi qu'aux mesures de relance monétaires et budgétaires.

L'impact économique en dehors de Chine doit continuer à être surveillé, mais on peut s’attendre à ce que les répercussions négatives se feront surtout sentir au premier trimestre. Le rebond du commerce international qui devrait intervenir d'ici quelques mois profitera probablement aux économies franchement tournées vers l'export comme la zone euro, et moins aux économies plus fermées comme les Etats-Unis. Du coup, le différentiel de croissance entre ces deux régions du monde devrait se resserrer.

Opérations de portage en perte de vitesse

La chasse au rendement pèse sur l'euro et soutient le dollar. Cependant, l'écart de rendement à deux ans entre les Etats-Unis et la zone euro s'est resserré de plus de 150 points de base (pb) après avoir culminé à 354 pb en novembre 2018.

Les rendements obligataires demeurent nettement plus élevés aux Etats-Unis. Cependant, en cas de regain de la volatilité, historiquement faible à l'heure actuelle, et d'atténuation de la spéculation sur une poursuite de l'appréciation du dollar, les carry trades (opérations spéculatives sur l’écart de rendement) perdront de leur attrait. Par exemple, il suffirait que l'euro récupère le terrain perdu face au dollar depuis le 1er janvier pour effacer près de deux années de gains tirés des opérations de portage.

Conditions financières facilitées

Les conditions financières dans la zone euro sont toujours extrêmement souples. Cela devrait finir par donner un coup de pouce à l'économie européenne, ce qui soutiendrait la croissance et dispenserait la Banque centrale européenne (BCE) d'assouplir encore sa politique.

Les valorisations ne reflètent pas encore suffisamment
les risques liés à la présidentielle américaine.
Remise en question des taux négatifs

La question de l'efficacité des taux négatifs est de nouveau à l'ordre du jour, alors que la Suède vient d'y mettre un terme en ramenant ses taux directeurs à zéro après cinq ans d'expérimentation. La présidente de la BCE, Christine Lagarde, a promis d'examiner les effets secondaires des taux négatifs dans le cadre de la revue stratégique de la politique monétaire de la banque. Actuellement, la Recherche d’UBS estime que les taux directeurs resteront durablement bas. Cela dit, il se peut que la BCE soit désormais moins encline à les baisser.

Election présidentielle

Les valorisations ne reflètent pas encore suffisamment les risques liés à la présidentielle américaine. Cette échéance, qui devient un sujet de préoccupation grandissant pour les investisseurs, pourrait engendrer une sortie de capitaux placés aux Etats-Unis, ce qui pèserait sur le dollar.

Surévaluation du dollar américain

Le modèle de portefeuille de la Recherche d’UBS, qui compare les capitalisations actuelles des marchés d'obligations et d'actions avec leur moyenne des vingt dernières années, suggère que l'exposition des portefeuilles mondiaux au dollar américain n'a jamais été aussi élevée qu'aujourd'hui, tandis que, d'un point de vue historique, l'euro, la livre sterling et le yen sont nettement sous-pondérés.

Les modèles qui comparent la croissance du PIB du G10 et la valorisation des devises suggèrent que la valorisation de l'euro est cohérente avec la croissance atone que connaît la zone euro. Toutefois, la parité du pouvoir d'achat (PPP) montre que le dollar est surévalué, sa juste valeur face à l'euro étant de 1,30.

Au final, cet ensemble de facteurs va affaiblir le dollar au fil des mois. D’où le maintien d’un objectif de 1,19 pour l'EURUSD en fin d'année. Par ailleurs, il est peu probable que le taux de change baisse davantage, et ce pour deux raisons. D'une part, l'euro est déjà très faible et, d'autre part, si l'impact négatif du coronavirus s'accentue en dehors de la Chine, la Réserve fédérale a la possibilité de baisser ses taux. En effet, elle est prête à assouplir sa politique si elle observe des signes de difficulté.

Pour gérer leur risque de change, les investisseurs doivent envisager de délaisser
les obligations en USD au profit de celles libellées en EUR ou en CHF.

Même si l'affaiblissement du dollar pourrait ne pas intervenir immédiatement, les investisseurs feraient toutefois bien de prendre dès aujourd'hui un certain nombre de mesures pour couvrir leur portefeuille contre cette éventualité dans le courant de l'année.

Privilégier les actions libellées en EUR ou en CHF

Les investisseurs suisses et européens qui ont cherché à parer les rendements obligataires faibles, voire négatifs, en détenant des actifs libellés en dollar américain doivent désormais envisager d'autres moyens de stimuler le rendement de leurs portefeuilles. Par exemple: l'achat d'actions européennes versant de confortables dividendes ou la vente d'options. Pour gérer leur risque de change, les mêmes investisseurs doivent aussi envisager de délaisser les obligations en USD au profit de celles libellées en EUR ou en CHF.

Favoriser la diversification

Quant aux investisseurs basés aux Etats-Unis, qui ont profité de la vigueur du dollar en surpondérant les actifs américains, ils feraient bien de commencer à réfléchir aux avantages potentiels d'une diversification de leur portefeuille à l'échelle mondiale. Cette dernière permet notamment d'atténuer la volatilité d'un portefeuille et serait intéressante pour un investisseur américain si jamais le dollar cessait de s'apprécier.

Surpondérer les actions des marchés émergents

S'agissant des actions, la Recherche d’UBS surpondère toujours les actions des marchés émergents, qui présentent une valorisation plus attractive que celles des marchés développés. D'autant que la croissance des bénéfices s'annonce, cette année et les suivantes, plus forte dans le monde émergent. Un affaiblissement du dollar donnerait dès lors un coup de pouce supplémentaire aux actions émergentes.

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