Science-fiction ou science de la fiction

Philippe Szokolóczy-Syllaba

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Castro a fait passer CNN pour de la science-fiction. Nos élites disposent de moyens bien plus sophistiqués pour nous faire croire à la démocratie.

Je me rappelle de notre premier séjour à Cuba, c’était en 1995. Nous avions atterri à Santiago avec seulement la première nuit de réservée à hôtel. En nous promenant en ville le soir de notre arrivée, nous avions rencontré un jeune cubain qui voulait exercer son français. Sympathique, il nous avait tout de suite proposé de nous accueillir dans sa famille, car nous laisser payer l’hôtel lui paraissait incongru. Nous n’avons pas cherché à savoir où il habitait et avons accepté son invitation en nous disant que nous verrions bien. Il vivait avec ses parents, frères et sœurs dans une bâtisse en briques recouverte d’un toit de tôle, au milieu d’un bidonville. Des deux chambres à coucher de cette modeste cahute, l’une fût pour nous et ils s’entassèrent dans l’autre. Ma femme eut droit aux honneurs réservés à son rang dans la société cubaine, à savoir une chaise à la cuisine avec la mère et les sœurs, un couteau dans une main et une pomme de terre dans l’autre. Notre hôte m’emmena parader auprès des voisins, car ce n’était pas tous les jours que l’on pouvait se targuer d’avoir des étrangers à la maison.

Castro savait peut-être déjà avant l’heure
ce que nous avons mis beaucoup plus de temps à réaliser.

Le père, un professeur de gymnastique à la retraite, se jeta sur les magazines que nous avions achetés à l’aéroport de Genève. CNN tournait en boucle sur un poste de télévision qui me rappelait celui de mon enfance. Pendant 24h, il ne leva pas la tête des magazines qu’il feuilletait inlassablement. Finalement il se tourna vers moi et me montra quelques photos qui avaient retenu son attention et me dit: «c’est très beau tout ça, mais évidemment ça n’existe pas». Voulant bien faire, je m’empressai de l’assurer que ces images étaient de vrais endroits qui existaient bel et bien. Il eut l’air passablement bousculé par une telle révélation. Ces images n’étaient pourtant pas bien différentes de celles qui défilaient toute la journée sur CNN. Fort de ce nouvel enseignement, il se replongea avec application dans sa lecture ou plutôt relecture de Vogue maintenant que l’illustré était passé du statut de pure science-fiction à celui de fenêtre sur le monde. Le lendemain, il m’attira de nouveau à lui et me glissa: «d’accord j’ai compris, tout cela existe vraiment, mais alors ça- il me montrait du doigt la dernière pub Alfa Roméo- ça, tu ne me feras pas croire que ça existe».

Ce n’est qu’ensuite que j’ai compris que «le Barbu», comme on l’appelait à Cuba pour ne pas prononcer son nom à voix haute, avait convaincu son peuple que CNN, dont il ne pouvait empêcher la diffusion sur les ondes, n’était rien d’autre qu’un film de science-fiction. Sur le moment j’avais trouvé l’histoire merveilleuse. Comment faire en sorte que toute une nation ne croit pas en l’Amérique et s’estime bien lotie avec des carnets de rationnement à l’aube du XXIe siècle. Très fort le Barbu. Bien plus efficace comme contre-propagande que d’essayer d’interdire la diffusion de la propagande elle-même.

Ce n’est que récemment que j’ai compris l’ironie de cette anecdote. Castro ne croyait pas si bien dire, ou peut-être savait-il déjà avant l’heure ce que nous avons mis beaucoup plus de temps à réaliser: CNN est effectivement en bonne partie de la science-fiction. Même Larry King, l’ancien présentateur vedette de la chaine, ne craint plus d’affirmer que cela fait longtemps que CNN ne fait plus dans les nouvelles1. Ceci dit, ni plus, ni moins que les autres Main Stream Medias, que je continue de regarder de temps en temps – pas trop tout de même car avec l’âge, je m’écœure plus facilement – pour m’amuser à décrypter le véritable agenda derrière ces programmations, interviews, reportages et autres nouvelles orientées de façon à nous faire voir le monde sous l’angle voulu par la réalisation.

Les DramoCrates se frottent les mains d’avoir repris le Congrès.

Le résultat est efficace, puisqu’une partie non négligeable des spectateurs de ces «jeux télévisés» se passionnent au point de passer leurs journées à s’entredéchirer. J’entendais une connaissance dire à la veille des midterms elections qu’il priait pour que le cauchemar Trump cesse enfin. Il cristallisait en ses mots son anxiété palpable à l’autre bout du fil et le drame que certainement des millions d’américains avaient réussi à se créer de toutes pièces dans leur tête, convaincus que leur vie était soudainement devenue un enfer maintenant qu’un candidat pour lequel ils n’avaient pas voté étaient aux commandes. Et pire, il était persuadé que ces élections pouvaient y changer quelque chose. Une naïveté presque touchante si elle n’était pas affligeante.

Les élections passées, les DramoCrates se frottent les mains d’avoir repris le Congrès en se jurant de ne voter aucune loi, de remettre en selle leur bouledogue Mueller, d’exiger les déclarations fiscales du Grand Schtrump et de semer assez de zizanie pour préparer le terrain pour la Présidentielle de 2020. Les RepusByzantins se félicitent d’avoir consolidé le Sénat de façon à pouvoir placer leurs vizirs aux postes clef du pouvoir judiciaire, Cour Suprême en tête, et ainsi initier la vague d’arrestations promise depuis belle lurette, à commencer par certains membres du Congrès dans l’optique de reprendre la majorité du Lower House. Intrigues, coups bas, divisions, déchainements de sombres passions, stratégies machiavéliques, quel beau spectacle que cette politique de bas étage où tous les coups sont permis sous le prétexte de la sacro-sainte liberté d’opinion et de parole. En gros, just more of the same old rubbish, comme diraient certains de mes amis philosophes.

Il faut croire que la nature humaine est ainsi faite. L’homme a besoin de s’accrocher à des convictions pour avoir le sentiment d’avancer et de se battre pour elles pour avoir l’impression de vivre, même si elles sont absurdes et bien éloignées de l’essentiel. Les médias l’ont parfaitement compris et ont développé une faculté insidieuse mais efficace à nous glisser dans nos assiettes le ferment avec lequel nous nourrissons les convictions que nous laissons petit à petit pénétrer dans notre inconscient.

Comment imaginer que nos dirigeants ne parviennent pas
à nous faire gober que nos idéaux consuméristes sont un rêve?

Dernière distraction pour sustenter ceux en mal d’opinion ou de convictions en lien avec la thématique de la science-fiction, le documentaire Above Majestic, dont on ne sait pas si c’est du lard ou du cochon2 et qui nous révèle tout sur les Secret Space Programs du gouvernement américain et la présence maintenant ouvertement envisagée par les autorités et les Main Stream Medias d’extra-terrestres dans l’Univers et, qui sait, sur Terre…3

Je sors d’un pancha karma en Inde, littéralement «cinq actions», soit un rituel de cinq traitements de nettoyage et purification sur le plan physique mais avec des répercussions intéressantes sur le plan de la clarté des idées. Mens sana in corpore sano. Hautement recommandé pour prendre un peu de recul par rapport à l’actualité. Un exercice bénéfique qui ne risque toutefois pas de se développer outre mesure en Occident: si Castro avait réussi à faire gober aux cubains que l’Amérique était une fiction, comment imaginer que nos dirigeants ne parviennent pas à nous faire gober que nos idéaux consuméristes sont un rêve, le plus beau auquel nous puissions aspirer. Un rêve auquel il faudrait que nous soyons prêts à tout sacrifier pour le défendre, surtout si des extra-terrestres se trouvaient mal inspirés de vouloir nous le dérober. Nos élites disposent de moyens infiniment plus sophistiqués que le Lider Maximo pour nous maintenir dans l’illusion de la démocratie, du choix et de la liberté et l’on voit mal le pancha karma remplacer à large échelle la prise de pilules roses en cas de doute existentiel. 

Mais je ne désespère pas, car j’aperçois autour de moi un nombre grandissant de personnes bien intentionnées qui réalisent que le choix véritable n’est pas celui proposé par un simulacre de démocratie, mais celui de trouver en elles-mêmes la confiance et la force de se libérer des diktats de la société et de l’emprise de leur propre mental. Lorsque que l’on parvient à être en paix avec soi-même, les problèmes qui nous tombent dessus tendent à devenir autant de pistes ou leçons pour nous guider vers les solutions. La fâcheuse propension à tenir rigueur aux autres ou aux circonstances de la vie pour expliquer notre malheur a vocation à se dissiper miraculeusement. Puisque que nous avons évoqué la science-fiction à plusieurs reprises, n’oublions pas que nos opinions et les ressentis qui en découlent ne sont avant tout que des vues de notre propre esprit. Ah Ego, quand tu nous tiens…

 

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