Saignant, à point ou bien cuit votre Donald?

Philippe Szokolóczy-Syllaba

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Il y a différentes façons d’apprêter le Grand Schtrump lorsqu’on veut le servir en pâture, histoire de bien épicer la soirée.

On peut le proposer à la sauce Démocrate, une concoction qui sent certes le réchauffé, mais qui a le mérite de satisfaire l’appétit des palais les moins sophistiqués. La recette est simple, balancez tout et n’importe quoi, mélangez-y mot pour mot les dernières fake news que vous aurez entendues sur CNN/CNBC ou lues dans le New York Times ou le Washington Post, saupoudrez (avec un air entendu, très important) d’une dose de russophobie avec relents communistes, rehaussez avec du paprika (pour mettre en valeur ce teint carotte indispensable au succès de la recette), poivrez de bling bling et de deux trois anecdotes pas piquées des vers pour bien montrer que vous détestez la vulgarité (indispensable pour tenter de convaincre que vous êtes un authentique ami des arts, du libéralisme sous toutes ses formes, un esthète quoi, et que si vous enfoncez des portes ouvertes avec vos banalités, c’est parce que votre sensibilité a été heurtée par l’insupportable manque de goût et de savoir-vivre de cet odieux personnage) et arrosez le tout d’un parfum de scandale sur fond d’affaires de mœurs (en prenant une posture outrée de bon aloi).

La sauce peut prendre
si vos convives sont lobotomisés.

Servez froid, en vous drapant de formules à prétentions intellectuelles, lisses et sans substance, en citant vos héros hollywoodiens préférés, de Meryl Strip à Robert de Nigaud. La sauce peut prendre si vos convives sont lobotomisés ou appartiennent à la catégorie des mondains de la gauche caviar. Évitez toutefois de servir à quiconque doté de plus de 3 neurones, car risque d’indigestion immédiate avec conséquences gastriques pouvant contribuer au réchauffement climatique. Dans ce cas, toujours garder dans sa poche une pincée d’hydrocarbures bitumineux pour les proposer au réfractaire, qui généralement se calme assez vite devant cet argument de poids qui vient sérieusement rééquilibrer la recette. Éviter également de se vanter que la recette est à la mode, en argumentant que MSNBC a évoqué 455 fois Stormy Daniels en 2018. Si quelqu’un rétorque que cette même chaine n’a pas une seule fois mentionné la guerre au Yémen en 2018, débarrasser rapidement et passer au plat suivant.

Vous pouvez aussi concocter un cocktail à la sauce républicaine, mélangeant, d’un côté, statistiques du chômage encourageantes, chiffres économiques mirobolants, reprise de la confiance et, de l’autre, écrémage du Deep State, nettoyage en profondeur de l’appareil d’Etat, démantèlement des réseaux pédophiles, etc….Si la recette est un peu fade, il convient d’assaisonner avec moultes épices ce qui permettra par ailleurs d’étouffer cet arrière-goût pénible de mépris écologique, de souffre se dégageant des missiles sur la Syrie et d’astringence en réaction à certains propos et méthodes parfois dénués de finesse. Ne pensez même pas à poster la recette sur Slavebook, celle-ci étant par nature incompatible car ne pouvant être servie avec une montagne de sucre (Zuckerberg).

Comment le Grand Schtrump fait-il
pour ne pas se faire dégommer lui-même?

La recette qui m’intrigue le plus est toutefois beaucoup plus délicate à réaliser, car elle relève de l’équilibrisme, un exercice ardu mais gratifiant dans la mesure où il permet de ne pas verser dans le parti pris, mais elle peut donner de vilaines acidités si l’on n’a pas l’estomac solide. Certes je me régale du coulis de nouvelles de tous ces «méchants» qui sont en train de se faire dégommer les uns après les autres. Il est vrai que le nombre de démissions de postes clefs aussi bien sur le plan politique qu’économique, de non-renouvellement de mandats, de démissions, d’inculpations, voire même de disparitions ou zigouillages en règle (voir purge en Arabie Saoudite) depuis l’année dernière est impressionnant et sans précédent. D’un autre côté, je ne peux m’empêcher de me demander comment le Grand Schtrump fait-il pour ne pas se faire dégommer lui-même. Il n’a clairement pas que des amis et il s’est attaqué à de très gros poissons. Est-il envisageable qu’il parvienne à lui tout seul à rayer du menu le Deep State, le Lobby Militaro Industriel, les Démocrates et toute la cohorte d’affreux qui gangrènent le système? Cela paraît peu vraisemblable. D’abord, comment serait-il arrivé au pouvoir s’il ne bénéficiait pas de certains soutiens? Il n’a clairement pas réussi seul contre tous. Ensuite, s’il est encore en vie, c’est qu’il n’y a pas trente-six explications. Soit il est très malin, soit il est bien protégé, soit il ne représente pas une menace suffisante pour lesdits méchants. Probablement son antidote est un mix des trois.

Une piste réside peut-être dans le rôle joué par QAnon, désormais dans la liste des 25 personnalités les plus influentes sur internet selon Times Magazine. La rumeur veut que QAnon serait la réponse du berger à la bergère par le Grand Schtrump au Deep State. QAnon serait le moyen utilisé par le Grand Schtrump pour passer certains messages au public, là où le Deep State utilise les MSM (Main Street Media) sous son contrôle. Et si l’on en croit les nombreuses références à l’armée contenues dans les posts de QAnon, une telle hypothèse permettrait de penser que celle-ci est le principal soutien de Grand Schtrump.

Les protagonistes donnaient davantage envie
de devenir pyromane que de griller des brochettes le dimanche.

Mais si le Grand Schtrump a été mis au pouvoir par et est sous protection du Pentagone ou du moins de certaines factions de l’appareil militaire, cela veut-il dire qu’il représente les intérêts du Lobby Militaro Industriel?  La réponse est sans doute bien plus complexe que ne le voudrait une vision manichéenne des choses et n’est probablement pas pertinente, car en tout état de cause, l’influence du Lobby Militaro Industriel est infiniment plus profonde qu’on ne se l’imagine. Il apparait donc illusoire de penser qu’un seul homme puisse bouleverser une donne aussi fermement établie, si tant est qu’il en ait vraiment eu l’intention. A cet égard, un article de Caitlin Johnstone avance l’idée dérangeante qu’en matière de présidents, il faut impérativement s’ôter de telles idées romantiques de la tête, car il n’y en aurait pas un pour rattraper l’autre. Finalement, ils seraient tous mus par le même type d’agenda. Seul le packaging changerait, car en gros le contenu resterait semblable. Sans doute faut-il résister à la tentation de croire au messie ou au héros salvateur qui résoudrait toutes les injustices de la terre. Nos voisins outre-Atlantique auraient-ils trop cultivé le mythe du super-héros, produit d’une sous-culture si bien décrite par Jim Shaw, artiste américain iconoclaste, pour continuer à se passionner pareillement pour leurs candidats?

Une étude américaine révélait que le candidat que les américains seraient le plus enclins à élire est celui qu’ils auraient le plus envie d’avoir parmi leurs invités à un barbecue familial s’ils en avaient la possibilité. Lors de la dernière élection, le choix a dû être cornélien car les protagonistes donnaient davantage envie de devenir pyromane que de griller des brochettes le dimanche. Au moins en Suisse, nous ne souffrons pas de tels dilemmes dominicaux en matière de choix politiques. Si tel avait été le cas, nous ne nous serions peut-être pas coltinés notre Grande Schtrumpette à nous (Evelyn), ce qui n’aurait pas été un moindre mal, mais tout compte fait, je préfère encore de loin notre système.

Pour conclure, je dirais que toutes ces recettes sont certes amusantes, mais il faut reconnaître qu’elles ne sont pas bien ragoutantes, voire carrément du type soupe à la grimace. Je terminerai donc avec la préconisation suivante: plutôt que de vous intoxiquer avec mes propos indigestes, bazardez-moi tout ça dans le vide ordure et concoctez-vous à la place une fiole de quelques grammes de légèreté, d’un zest de carpe diem, de notes de bonheur, ajoutez-y une bonne dose d’amour (et pourquoi pas d’humour), enrobez le tout d’une pincée d’élévation des consciences et prenez 5 gouttes au réveil, à midi et avant de vous coucher, pour rester dans une énergie de joie de vivre, de compassion et de gratitude. De temps en temps, n’hésitez pas à vous servir un bon verre de vin nature comme accompagnement.

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