Retour au Japon où tout – et rien – n’a changé

Pierre Mermod, BCV

3 minutes de lecture

Les traces laissées par la pandémie sont bien visibles, mais les constats de long terme demeurent sur une place financière aux atouts toujours ignorés par les investisseurs mondiaux.

De retour à Tokyo après trois ans et demi d’attente, alors que le pays a enfin décidé de rouvrir ses portes aux étrangers vaccinés, certains changements sautent d’emblée aux yeux. Ainsi, en va-t-il de l’accueil à l’aéroport. L’entrée dans le pays passe par la case quarantaine médicale. Une fois dûment enregistré sur un site du gouvernement, l’on reçoit un QR-code personnel. Muni de ce code, du passeport et de la preuve d’une triple vaccination, on obtient le droit de se présenter à l’immigration.

Autre ambiance dans la ville

La ville a aussi quelque peu changé. Le port du masque est toujours de rigueur dans les endroits fermés ou très fréquentés. Toutefois, plus de 90% des Japonais et des Japonaises continuent de porter leur masque même dans la rue. Certains appellent d’ailleurs le masque «leur sous-vêtement de visage», tant ils se sentent dénudés sans lui. Cette omniprésence du traumatisme causé par le COVID-19 n’augure rien de bon pour la reprise conjoncturelle.

Arrivé à l’hôtel New Otani, rendu célèbre par le film de James Bond «On ne vit que deux fois», l’impression de changement se confirme. Fini le nombreux personnel qui passe ses journées à attendre la clientèle. Des pancartes annoncent un peu partout la suspension de tel service ou de telle prestation. La pandémie a bon dos pour justifier des mesures d’économie, mais si l’on pense aux marges bénéficiaires des sociétés, ces décisions peuvent être interprétées comme autant de bonnes nouvelles.

Dans les rues, changements encore. Finies les queues de taxis qui patientent à tous les coins de rue. Avant la pandémie, l’âge moyen des chauffeurs de taxi dépassait 60 ans, soit l’âge de la retraite dans les grandes entreprises japonaises. Nombre d’entre eux semblent avoir quitté définitivement le métier. De plus, les vieilles Toyota Crown, que l’on voyait partout, ont été remplacées par un nouveau modèle plus petit, plus compact et noir qui cherche à ressembler aux taxis londoniens.

Le week-end, à Ginza, les Champs-Élysées de Tokyo, et à Shibuya, le quartier branché, un calme relatif règne pour l’heure. Les hordes de touristes chinois ne sont pas encore de retour et les Tokyoïtes –  qui cumulent la crainte de la contagion et les effets d’une inflation que ne connaissent pas les moins de 40 ans – semblent être devenus plus casaniers.

Au Japon, le nombre d’habitants est en recul. Parmi les actifs, les 65 ans et plus représentent 14% de la force de travail, contre 8% pour la tranche d’âge 15-24 ans.
Entre espoir et crainte

Après une quarantaine de meetings, moitié avec des entreprises japonaises cotées en bourse et moitié avec des analystes basés à Tokyo, les conclusions sont assez mitigées:

  • la reprise conjoncturelle, qui fait suite à la réouverture, est indiscutable, mais on est loin de l’euphorie, malgré l’argent économisé par les ménages durant le confinement et le retour des étrangers. Dans le commerce de détail, les bénéfices devraient être orientés à la hausse, mais les hard-discounters semblent avoir de beaux jours devant eux; les consommatrices et les consommateurs en veulent pour leur argent;
  • les entreprises ont bien travaillé, même durant le confinement. Le rythme des restructurations n’a pas fléchi et les bénéfices n’ont jamais été aussi élevés. La gouvernance continue de s’améliorer, ce qui se traduit par des notes ESG, pour le respect de critères environnementaux, sociaux et de gouvernance, en progression;
  • le sentiment dominant reste la crainte. Crainte d’un retour des contaminations, mais également crainte de risques conjoncturels, tant domestiques que mondiaux. La Banque du Japon est d’ailleurs la dernière banque centrale à maintenir des taux directeurs négatifs. Dans ce contexte, les prévisions de bénéfices, qui seront publiées ce printemps par les entreprises, devraient être encore plus prudentes que d’habitude.
Un constat persistant

Il est en revanche une constatation qui ne change pas. La dichotomie entre la santé des entreprises et leur valorisation boursière semble même s’être accentuée. Les bénéfices sont au plus haut, les bilans regorgent de liquidités et le niveau très bas du yen rend les sociétés japonaises plus compétitives que jamais. En revanche, la bourse japonaise ne parvient pas à se démarquer de ses consœurs occidentales et ne semble réagir qu’à ce qui se passe ailleurs.

Un tel écart entre le prix (ce que l’on paie) et la valeur (ce que l’on obtient) peut encourager à tourner le dos aux investissements indiciels et à accumuler des pépites qui sont de plus en plus nombreuses. Une approche thématique peut en outre paraître préférable à une approche sectorielle. Ceci dit, la patience s’impose. Car si l’on sait que le sentiment va tourner, impossible de savoir quand il tournera.

Des thématiques à long terme

Les tendances qui ont porté récemment l’économie nipponne se confirment également. Au Japon, le nombre d’habitants est en recul. Parmi les actifs, les 65 ans et plus représentent 14% de la force de travail, contre 8% pour la tranche d’âge 15-24 ans. Dans un tel environnement, la robotique et la digitalisation des processus ne peuvent que croître. Dans le reste du monde, la hausse des salaires peut conduire au même constat. Or, le Japon compte trois des cinq plus grands fabricants mondiaux de robots.

Parmi les autres thématiques appelées à se renforcer figure notamment l’économie circulaire ou l’automobile. Dans cette dernière industrie, la production a été freinée par le manque de semi-conducteurs et les problèmes de logistique, mais la demande est toujours présente.

À 13,3x les bénéfices attendus pour 2023 et à 12,4x ceux attendus pour 2024, la bourse japonaise présente un profil risque/rendement attractif. De plus, les actions versent en moyenne un rendement au dividende de 2,5%. Des dividendes qui devraient encore progresser, alors que le rendement des obligations gouvernementales à 10 ans s’affiche à 0,3%. Enfin, si les obligations et même le cash représentaient un investissement très recherché durant les années de déflation, le retour de l’inflation devrait retourner cet attrait en faveur des actions.

Après 2012, 2023?

Au cours des 30 dernières années, une opportunité majeure d’investir dans les actions japonaises s’est présentée. C’était en décembre 2012, lors du lancement de la politique des Abenomics, mesures de soutien à l’économie présentées par l’ancien premier ministre Shinzo Abe. Si la bourse continue d’ignorer la bonne santé des entreprises et si elle venait à baisser en raison de crainte d’une crise financière ou économique, une nouvelle opportunité se dessinerait. À une différence notable près: en 2012, le yen était surévalué; aujourd’hui, il est survendu.

A lire aussi...