Ralentissement en zone euro: pourquoi?

Philippe Waechter, Ostrum AM

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Le changement d’allure est plus rapide que ce qui était anticipé en début d’année 2018.

©Keystone

L’économie de la zone euro ralentit et pourrait même voir son activité se contracter autour de la fin de l’année 2018 en raison des récessions allemande et italienne et de la très faible dynamique constatée en France. Ce changement d’allure est plus rapide que ce qui était anticipé en début d’année 2018. A l’époque, après une croissance très robuste l’année précédente, il était attendu le maintien d’un rythme d’expansion proche : pas d’accélération mais une progression toujours rapide de l’activité. Cela permettait d’anticiper une croissance plus endogène, via l’emploi, les revenus et l’investissement provoquant alors un processus plus autonome susceptible d’immuniser en partie la conjoncture de la zone en cas d’éventuels chocs extérieurs.

C’est cette accélération à la baisse qui est troublante car de solide, la situation de plusieurs pays est devenue fragile. C’est le cas de l’Allemagne pour qui le commerce extérieur est désormais un frein à la croissance, c’est le cas en Italie ou en France où la demande interne n’a plus l’allure souhaitée.

D’où vient cette perception d’une dégradation rapide de la conjoncture en zone euro?

Le premier signal que tous les conjoncturistes ont noté est le repli très rapide des indices d’activité mesurés à travers les enquêtes menées auprès des chefs d’entreprise. D’un point haut situé au dernier trimestre 2017, l’indice synthétique s’est replié rapidement et de façon monotone tout au long de l’année 2018. Il n’a pas été constaté de rebond. C’est ce que l’on voit sur l’indice Markit de la zone euro pour le secteur manufacturier. Cet indicateur en phase avec le commerce mondial ralentissait franchement et durablement. Cette allure s’est accompagnée d’un repli des commandes domestiques et externes. Cette alerte est majeure compte tenu du rôle de l’industrie manufacturière dans la dynamique du cycle économique. C’est une source d’impulsion pour l’ensemble de l’économie. Les services n’ont pas ce rôle de locomotive. C’est pour cela que les économistes avaient, tout au long de 2018, les yeux braqués sur ce type d’indice.

On a des allures similaires sur les enquêtes Markit à l’échelle de chaque pays mais aussi en observant les enquêtes nationales type INSEE ou IFO. Sur la dernière partie de l’année, les inquiétudes se sont faites un peu plus fortes en raison du passage en territoire négatif pour l’enquête Markit de l’indice italien d’abord puis en décembre de l’indice français.

Que dire des données d’activité observées?

Ces enquêtes n’ont pas été infirmées par les données en «dur». Les indicateurs de la production industrielle de chaque pays ont chuté parfois très fortement au dernier trimestre (chiffres d’octobre et novembre). En Allemagne, l’acquis pour le dernier trimestre à la fin du mois de novembre est de -8% en taux annualisé. Cela est considérable. On voit sur le graphe que tous les pays connaissent un repli significatif de leur activité industrielle tout au long de l’année. En outre, des histoires locales peuvent accentuer ces aspects. C’est par exemple le repli très rapide des commandes de biens d’équipement en France depuis le mois de novembre et l’incertitude provoquée par les mouvements sociaux.

Et le consommateur?

Dans le même temps, le consommateur est moins optimiste et la dynamique de ses dépenses est moins vive avec le temps qui passe. Après un point haut au début du printemps 2018, l’indice de confiance des consommateurs se replie. Il est encore au-dessus de la moyenne historique mais l’allure à la baisse est marquée. Quant à l’allure de la consommation des ménages, on note que l’accélération des dépenses s’est faite au premier semestre 2017. Depuis le rythme de croissance s’est franchement ralenti à 1,1% sur un an contre 2,8% à la mi-2017.

Le ralentissement du commerce mondial est-il déjà observable dans les comportements?

L’inflexion sur la demande externe s’observe notamment via le profil des exportations allemandes. On constate sur ce graphe, l’impact du ralentissement du commerce mondial et les effets des contraintes qui pèsent sur les échanges internationaux. En volume, le commerce extérieur pèse négativement sur la croissance tant pour la zone euro que pour l’Allemagne.

En d’autres termes, les signaux sont tous plutôt dans le même sens, montrant une activité qui ne rebondit pas?

Absolument.

Quelles sont les raisons de ce changement d’allure?

Le premier point est qu’à la fin de 2017 la croissance de la zone euro a atteint son pic. A partir de ce moment-là, l’expansion de la zone a ralenti, incapable de poursuivre sur un tel rythme. L’activité plus limitée a réduit la contribution de la zone à la croissance du commerce mondial. Les exportations de la zone ont, après le pic de février 2018, vu leur contribution au commerce mondial ralentir nettement. Le marché moins porteur ne dégageait plus les mêmes opportunités pour les pays de la zone. Pour les importations, le pic a été observé en mars 2018. En d’autres termes, l’impact de l’Europe sur le commerce mondial s’est réduit tout au long de l’année qui vient de s’écouler. L’amélioration de 2017 était passé. Cela veut dire que l’impulsion de la zone était plus réduite mais que les autres pays n’ont pas non plus compensé ce moindre dynamisme.

Le prix du pétrole n’a-t-il pas joué un rôle?

La hausse du prix du pétrole a eu un rôle important sur la dynamique du pouvoir d’achat. La contribution de l’énergie au taux d’inflation est passé de -0,4% en 2016 à 0,62% en 2018 pour la zone euro. Alors que dans le même temps, le taux d’inflation sous-jacent restait stable au voisinage de 1%. Toute la volatilité de l’inflation a résulté du prix de l’énergie. De ce fait, l’allure du pouvoir d’achat a été très dépendant du prix de l’or noir.

D’autres éléments ont joué?

Le climat international a aussi pesé fortement sur le développement de l’activité notamment en raison des menaces sur le commerce mondial après les sanctions américaines sur la Russie et l’Iran mais aussi les droits de douane américains plus élevés portant un risque de guerre commerciale. D’autres développements ont pesé sur la perception de la conjoncture. La situation des pays émergents a changé d’allure au printemps 2018. La hausse du billet vert a affaibli de nombreux pays émergents. Le ralentissement de la zone Euro n’a pas été neutre pour eux car l’Europe est un partenaire majeur de nombreux émergents. Les crises dans les pays endettés en dollars ont pénalisé la dynamique des échanges provoquant ainsi la perception d’un risque plus fort à l’échelle global.

La croissance européenne a été forte
mais a buté rapidement sur des contraintes physiques.

En 2017 tout le monde évoluait dans le même sens et il y avait une coordination, au moins implicite, à l’échelle globale. Tout au long de l’année, cette dynamique plus coordonnée et plus coopérative s’est effilochée.

Au-delà de l’activité ne pouvant aller plus vite pour des contraintes techniques, quelles sont les raisons de cette inflexion plus rapide qu’attendu?

La croissance européenne a été forte mais a buté rapidement sur des contraintes physiques. En France, le taux d’utilisation des capacités de production. Le point remarquable est que finalement cette dynamique n’a pas été relayée par la mise en œuvre d’une politique coordonnée à l’échelle de la zone.

De ce point de vue, la position française est intéressante. Au début de l’année 2018, pour des raisons budgétaires, le gouvernement français a décidé de reporter une partie de la baisse de charge sur les salaires.

Initialement, la hausse de la CSG devait, pour les salariés, être plus que compensée par la baisse des charges payées par les salariés. Cela avait forcément un coût budgétaire. Il a donc été décidé de faire la baisse des charges en 2 temps, en janvier puis en octobre. La conséquence immédiate de ce choix est le très fort recul du pouvoir d’achat au cours du premier trimestre 2018.

L’hypothèse du gouvernement, confirmé par la suite par un relèvement à 2% des prévisions de croissance pour 2018, était que l’environnement international était suffisamment fort au sein de la zone pour compenser le frein français. Le freinage de la croissance française a été fort au premier trimestre, fragilisant ainsi la croissance de la zone. Pour fixer les idées, la contribution de l’économie française à la croissance trimestrielle du PIB est passé de 0,6% (taux annualisé) en moyenne sur les 4 trimestres de 2017 à 0,16% au premier trimestre 2018. Les français ont pensé que la dynamique européenne les porterait, faisant ainsi d’une pierre deux coups : bénéficier de la croissance et améliorer l’allure du budget. Cela n’a pas fonctionné car tous les pays de la zone connaissaient, fin 2017, une croissance trop rapide par rapport à leurs capacités.

L’Allemagne n’a plus donné l’impulsion qu’elle engendrait précédemment.

Par la suite, d’autres histoires en Europe ont pénalisé la situation de la zone euro. En mai, la mise en place du gouvernement italien est une source majeure d’incertitude. Ce changement dans la perception de la situation italienne s’est traduit par une hausse rapide des taux d’intérêt de la péninsule et un écartement des taux italiens vis-à-vis des taux allemands. Dès l’été 2018 la situation conjoncturelle s’est dégradée en Italie, notamment sur le marché du travail.

Le mouvement s’est accéléré récemment avec le repli des échanges allemands évoqué plus haut. Les débouchés allemands, pénalisés par le ralentissement du commerce mondial mais aussi très certainement par l’impact des mesures douanières, se sont réduits et l’Allemagne n’a plus engendré l’impulsion qu’elle engendrait précédemment.
Les trois grandes économies de la zone ont connu tout au long de 2018 des événements qui ont pesé sur la conjoncture. Comme il n’y a pas eu de mesures contra-cycliques suffisantes, les chocs se sont cumulés, accélérant le repli de l’activité.

Quid de la politique économique qui doit pouvoir compenser ces évolutions?

La politique monétaire est restée accommodante mais sans éléments supplémentaires. Elle a pu même avoir un côté restrictif lorsque la BCE a annoncé la fin du Quantitative Easing pour décembre 2018 et le début de la normalisation des taux d’intérêt à l’horizon de l’automne 2019.

Du côté budgétaire, le déficit public de la zone Euro a continué de se réduire. De 1% du PIB en 2017, le déficit public tend vers l’équilibre en 2018. Au deuxième trimestre 2018 il était de 0,1%. Dans ses prévisions d’automne la commission européenne fait l’hypothèse d’un déficit public de 0,7% du PIB.
Le policy-mix de la zone euro est plutôt restrictif en n’alimentant pas la demande immédiate pour soutenir la croissance économique.

Que peut-il se passer maintenant?

Le premier point est que les incertitudes qui ont pesé sur la zone euro ne sont pas levées. La problématique liée au Brexit, la question italienne sur sa croissance et sa politique budgétaire, le ralentissement du commerce mondial, plus récemment le shutdown prolongé aux USA et les troubles sociaux en France, rien de tout cela n’a trouvé de solution en ce début d’année. C’est un point d’attention puisque l’incertitude provoque des comportements attentistes.

Le second point est que le repli du prix du pétrole va se traduire par des transferts de pouvoir d’achat vers les ménages et les entreprises. Ce sera un facteur de soutien à l’activité. Néanmoins, le repli du prix de l’or noir est modéré. Le prix de 60 dollars reste fort au regard des 5 dernières années. Seule l’année 2018 a eu un prix plus élevé.

Le troisième point est qu’en dépit d’un dollar fort, la compétitivité de l’économie de la zone euro ne s’est pas franchement améliorée. Le taux de change réel est resté relativement stable. L’effet d’impact fort sur la compétitivité de la zone a été limité.

La vraie problématique est de savoir comment on pourra s’écarter
durablement à la hausse de la croissance de 1,5%.

Le point à relever est que la croissance de la zone euro converge vers sa croissance potentielle. Selon la BCE la croissance potentielle de la zone est de l’ordre de 1,5%. On tend vers ce chiffre. La vraie problématique est désormais de savoir comment on pourra s’écarter durablement à la hausse de ce chiffre.

Cette réflexion est vraie aussi pour la France. La croissance potentielle est de l’ordre de 1,3/1,4%. Cela implique que la dynamique de pouvoir d’achat ne pourra pas durablement progresser au-delà de ce chiffre et que la politique économique doit permettre de desserrer cette contrainte pour connaitre une croissance plus élevée dans la durée et donc une dynamique de l’emploi et de revenus plus élevés. On peut jouer à la marge sur la redistribution mais la France est déjà un pays très égalitaire et donc les possibilités de redistribuer davantage sont limitées.

L’arbitrage de la politique économique est soit de tout faire pour améliorer à terme la croissance potentielle soit de redistribuer dès maintenant des revenus qui n’existent pas avec un risque de maintenir la croissance potentielle à un niveau trop réduit.

Finalement, on a cru que la croissance de 2017 était redevenue la norme, ce que vous dites c’est que la norme sera probablement davantage 2019 que 2017?

Exactement. Les questions qui ont été posées depuis n’ont pas trouvés de réponses et de nouvelles incertitudes sont entrés en jeu. Des incertitudes globales comme les tensions entre la Chine et les Etats-Unis sur le leadership technologique mais aussi locales avec l’impact d’une croissance réduite en Europe et sans politique correctrice.

Les périodes de politique économique restrictive, cela a été montré notamment par Joachim Voth, sont marquées par des troubles sociaux. C’est aussi pour cela qu’il est nécessaire de mettre en œuvre les conditions d’une croissance plus robuste dans la durée. Cela passe par l’innovation, bien sûr, mais surtout par la formation et l’amélioration des compétences. C’est une nécessité pour s’intégrer dans un monde qui échappe un peu à l’Europe et dans lequel il nous faut être toujours présent.

L’objectif de la politique économique doit être de se donner les moyens de maintenir la croissance autour du potentiel quitte à être moins obsédé par la réduction du déficit public. L’austérité n’est jamais bonne conseillère lorsque la situation macroéconomique est fragile.

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