Qui veut encore investir en Europe?

Serge Ledermann, 1959 Advisors

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L’Europe politique doit se ressaisir si elle veut constituer une alternative valable aux USA et à la Chine lancés dans leur bras de fer commercial.

Le bras de fer commercial engagé par l’administration américaine vise surtout à freiner, voir casser, la course de la Chine à la domination mondiale dans un certain nombre de domaines stratégiques comme la digitalisation, la technologie médicale, l’aéronautique ou les technologies de l’environnement. Cet affrontement sera féroce et de longue haleine, ce qui ne manque pas d’inquiéter – à juste titre – les économistes et les investisseurs de tout poil. Et l’Europe dans tout çà? J’ai bien peur que le «Vieux Continent» - qui n’a peut-être jamais mieux porté son nom – fasse partie des dommages collatéraux de ce combat de titans. 

Je constate que les flux de fonds des investisseurs internationaux passent de moins en moins par l’Europe: cette année encore, toutes les régions ont enregistré des flux positifs, malgré une évolution moins linéaire des performances qu’en 2017, sauf en Europe! Pire, depuis 2008, l’indice de la bourse américaine distance l’indice européen d’environ 130% (exprimé en dollar), conséquence de la croissance beaucoup plus dynamique des bénéfices des entreprises aux Etats-Unis. Tout le monde a réalisé que la composition des indices est très différente d’une région à l’autre avec le rôle déterminant que jouent les géants mondiaux de la digitalisation, largement domiciliés en Amérique du Nord. Il est bon également de relever que d’autres géants  se développent rapidement en Asie (en Chine plus spécifiquement), d’où le bras de fer évoqué plus haut. Il est vrai que les deux régions concernées sont homogènes, regroupant des populations importantes et parlant la même langue, ce qui facilite grandement la prolifération rapide de ces services. 

Les errances politiques de l’Union Européenne n’encouragent
aucunement les investisseurs extra-européens à s’intéresser à la région

De leur côté, les indices européens sont encore trop encombrés de secteurs et entreprises en lien avec les états  ou actives dans un secteur financier qui reste largement en souffrance. Les sociétés les plus dynamiques se recrutent dans des secteurs de petite taille (luxe, mécanique fine, consommation de niche…) ou sont demeurées privées. Enfin, il existe aussi des phénomènes techniques, comme les rachats d’actions, qui ont largement contribué à dynamiser la cote américaine au travers de deux effets, la réduction du nombre de titres en circulation par société, mais également par la diminution du nombre de sociétés cotées (par la montée en puissance du Private Equity qui garde de nombreuses sociétés à l’abri des marchés publics).

Sur un plan plus philosophique, les errances politiques de l’Union Européenne -exprimées entre autre par le Brexit et la rébellion italienne vis-à-vis de Bruxelles sur les questions budgétaires – n’encouragent aucunement les investisseurs extra-européens à s’intéresser à la région. Ces investisseurs considèrent ces débats comme des «querelles de cour d’école» complétement déconnectés des réalités du monde actuel! Par conséquent, mes contacts professionnels, tant en Asie qu’aux Etats-Unis, m’indiquent qu’ils font désormais l’impasse sur l’Europe… Le constat que la sociale démocratie ou la démocratie libérale européenne (selon la définition que chacun veut donner à l’évolution politique du Vieux Continent depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale), basée sur l’Etat Providence, le respect de l’état de droit et des libertés individuelles, ne répond plus aux aspirations des citoyens est en soi très inquiétant. Cette approche n’est pas non plus parvenue à prendre ancrage en Amérique Latine, ni en Asie, malgré diverses tentatives toutes plus ou moins infructueuses. 

Les tendances autocratiques observées aux Etats-Unis
et en Chine s’avèrent propices à l’investissement.

En période d’incertitude ou d’insécurité, l’instinct tribal semble reprendre le dessus et guider les préférences politiques. C'est très visible aux Etats-Unis, et de manière croissante en Europe. Le programme rassembleur de l’Union européenne s’étant arrêté en chemin, les citoyens cherchent leur salut dans un modèle différent, plus proche de leurs angoisses et – il faut bien l’admettre – beaucoup plus clientéliste. Par conséquent, les tendances autocratiques observées tant aux Etats-Unis qu’en Chine s’avèrent propices à l’investissement dans ces pays. Dans la même veine, le changement de président au Brésil a été salué par la hausse de la bourse.

L’Europe politique doit se ressaisir et présenter un nouveau visage, moins éclaté, moins rigide et surtout moins éloigné de ses électeurs   si elle veut se présenter comme une alternative valable aux deux titans engagés dans leur bras de fer commercial. Le temps presse et les enjeux sont colossaux.

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