Produits structurés: les places indépendantes prennent le relais

Cyril Gomez

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CAT FP et strukis.com créent une plateforme totalement indépendante et multi-émetteurs. Le point avec Hans-Peter Kellenberger de CAT FP.

Hans-Peter Kellenberger, Chief Sales Officer chez CAT Financial Products.

Mai 2019, Timothy Bonacci, CEO de Luma Financial Technologies (LFT), plateforme multi-émetteurs de produits structurés aux États-Unis, avait formulé une prédiction ambitieuse. Selon lui, le négoce de produits structurés réalisé sur les places de marché électroniques, qui occupent 5 à 10% de toutes les transactions, pourrait décupler à 50% environ d’ici le milieu de l’année 2020. Le CEO estime que l’apport des fintech est tel que les participants de marché n’auront pas d’autre alternative que de se tourner en masse vers ce médium.

Les économies de coûts, la transparence de l’offre et une plus grande efficacité des processus grâce à l’automatisation figurent parmi les principales contributions des fintech. De nombreuses fonctionnalités des places de marché numériques pour les produits structurés ne sont pas étrangères aux conseillers en investissement, dans la mesure où elles font déjà partie des systèmes en place liés aux et instruments traditionnels. «Les produits structurés deviennent accessibles aux conseillers dans un mode et un environnement qui leur sont déjà familiers», observe Donald Pogan, Chief Operating Officer de LFT.

En Suisse, une dynamique similaire semble s’installer, au vu du nombre croissant d’acteurs cherchant à s’émanciper du contrôle des grandes banques. Depuis 2012, le courtier indépendant CAT Financial Products (CAT FP), basé à Zurich, dispose de sa propre plateforme technologique automatisée, couvrant toutes les étapes du trading. Ce, deux ans après avoir lancé la première plateforme de gestion de cycle de vie des produits structurés. Fin 2018, celui-ci a également lancé une plateforme multi-actifs entièrement numérique pour l’émission et le négoce de certificats activement gérés (AMC).

«Plusieurs banques et clients nous ont fait savoir qu’une plateforme multi-émetteurs
indépendante qui ne soit pas contrôlée par une banque était souhaitée.»

Autre pionnier, également zurichois, la fintech GenTwo propose depuis 2018, année de sa création, la structuration et l’émission de produits innovants via un fonds commun de créances ou special-purpose vehicle (SVP) totalement indépendant du cédant, éliminant ainsi le risque de contrepartie. La plateforme ouvre ainsi la voie à la titrisation d’actifs sous-jacents innovants et peu liquides, tels que le vin, les tokens ou les œuvres d’art. En Suisse romande, citons la société lausannoise Finanzlab, créée par deux anciens spécialistes de la Banque Cantonale Vaudoise (BCV), Gilles Corbel et Vincent Bonnard. Finanzlab se spécialise dans la conception, la sélection et le courtage de produits structurés sur mesure et vise à décharger les clients de toutes les tâches liées à l’analyse en leur offrant toute l’information nécessaire.

Plus récemment, il y a environ deux semaines, CAT FP et la fintech zurichoise strukis.com ont annoncé la fusion de leurs plateformes respectives. CAT FP met à disposition sa solution de cycle de vie des produits baptisée CUGLOS, combinée avec la plateforme multi-émetteurs «click-and-trade» de strukis.com, celle-ci permettant aux gestionnaires d’actifs, family offices, banques et autres investisseurs institutionnels de configurer des produits structurés et trouver les émetteurs proposant la meilleure offre.

«Plusieurs banques et clients nous ont fait savoir qu’une plateforme multi-émetteurs indépendante qui ne soit pas contrôlée par une banque était souhaitée», explique dans un communiqué Giuliano Glocker, CEO de CAT FP. «Les discussions préliminaires avec les banques et les asset managers montrent qu’il existe un intérêt certain pour cette plateforme et nous avons déjà reçu des engagements initiaux de leur part», confirme Hans-Peter Kellenberger, Chief Sales Officer (CSO) chez CAT FP, contacté par Allnews.

La nouvelle plateforme inclura toutes les étapes de trading, fournissant les cours indicatifs, des services d’évaluation de meilleure exécution et de carnet d’ordre, ainsi que des services de reporting pour ne citer que ces fonctionnalités. Celle-ci sera proposée en tant que plateforme individuelle ou combinée, tout en étant également accessible sous marque blanche. Elle sera aussi dotée d’interfaces connectées aux fournisseurs de données, aux systèmes de gestion de portefeuille des gérants, ainsi qu’aux systèmes informatiques des banques. Et ce tout en se voulant évolutif, dès lors que la solution est conçue non seulement pour les systèmes actuels des institutions financières mais également pour les systèmes futurs.

«Je ne pense pas que l’industrie suisse des services financiers
soit en retard par rapport au reste du monde.»

«Toutes les autres plateformes de produits structurés sont détenues par des banques. Les investisseurs sont donc totalement dépendants de la stratégie de celles-ci», insiste Hans-Peter Kellenberger. «Notre place de marché, en revanche, est ouverte à tous types d’émetteurs et permet la meilleure exécution, et ce sans limite», poursuite le CSO. «C’est une place de marché primaire pure et cible principalement les banques et les grands asset managers», ajoute-t-il. Avant de souligner que les coûts y sont faibles, les négociations très efficaces et que, dans le cadre de la plateforme de gestion de vie des produits (Life-Cycle Management Platform), l’investisseur se voit offrir tous les services réunis en un même lieu.

Enfin, face à l’entrée sur le marché des entreprises fintech pure play, le temps est-il compté pour les grands établissements bancaires traditionnels, comme l’a suggéré l’équipe d’analystes de Morgan Stanley dans un volumineux rapport publié en 20181? Ceux-ci attirent en effet l’attention sur le fait que les dépenses d’investissement technologiques se limitent le plus souvent à l’intelligence artificielle, les transactions mobiles et la cybersécurité, tandis qu’une fraction seulement est investie dans leur système bancaire central (CBS).

«Je ne pense pas que l’industrie suisse des services financiers soit en retard par rapport au reste du monde», nous confie Hans-Peter Kellenberger. «Il existe un grand nombre d’entreprises éminemment innovantes en termes de développement des fintech et de numérisation. Mais les grandes banques universelles vont devoir changer certains aspects de leurs services.» L’expert remarque que la digitalisation sera «un problème majeur pour ces grandes banques», pouvant constituer «un mauvais signal pour leurs personnels», dans la mesure où l’intégration des nouvelles technologies financières peut se traduire par des suppressions d’emplois.

 

1 A Call To Arms, Morgan Stanley Research, 16 septembre 2018.