Prodigieuses performances obligataires

Patrick Morel, Fixed Income Strategist

4 minutes de lecture

Combiner la «directionalité des taux» et le «positionnement sur la courbe des taux» surclassent toutes les stratégies.

Dans l’environnement actuel de taux historiquement très bas et de coupons tendant vers zéro, il est devenu illusoire d’espérer des performances obligataires provenant des coupons. Pourtant, étant à nouveau en fin de cycle, le ralentissement de l’économie est une fois de plus à l’origine de performances obligataires prodigieuses.

Depuis le dernier plus haut du cycle des taux du Trésor US en octobre 2018, les emprunts gouvernementaux à 10 et 30 années d’échéances ont réalisé des performances moyennes de 14% et 36% en seulement 10 mois, avec une mention spéciale pour les 50% l’emprunt du Portugal à 30 ans.

Il est urgent et impératif de se libérer du carcan
de la «gestion passive» d’achat-conservation.

Pour réaliser aujourd’hui, des performances obligataires, il est urgent et impératif de se libérer du carcan de la «gestion passive» d’achat-conservation et du concept fallacieux qui en découle de «rendement-à-l’échéance» (Yield-To-Maturity), car un taux n’est pas une performance.

1) Stratégie de la «directionalité d’un taux»

Un taux obligataire étant étroitement connecté à l’économie réelle évolue cycliquement au gré de la croissance économique. Chacun des cycles est composé de deux longues phases distinctes durant lesquelles le taux évolue dans des directions opposées, source de gains en capital lorsqu’il baisse et de pertes en capital lorsqu’il s’accroît.

Depuis 1981, le taux du Bund à 10 années d’échéance a évolué au rythme de la croissance conjoncturelle décrivant 6 cycles complets jusqu’en février 2018, d’une durée moyenne de 6 ans.

En conservant une même obligation durant chacune des phases, les mesures des performances cumulées et annualisées mettent en lumière l’existence d’une seconde source de performance, en plus du coupon, à l’origine d’importants gains et pertes en capital.

Cette grande asymétrie des performances entre les deux phases opposées de chaque cycle recommande d’implémenter une première stratégie de taux fondée sur leur directionalité, en n’investissant que durant les phases baissières, afin de capturer les gains en capital qui en découlent et se prémunir des pertes en capital durant les phases haussières.

En effet, la vente systématique depuis 1981 des Bunds à 10 ans durant chaque phase haussière a amélioré la performance moyenne de +4,2% par an, passant de 6,3% à 10,5%, soit un gain relatif de 67%.

2) Stratégie de «positionnement sur une courbe de taux»

La seconde source d’amélioration des performances obligataires provient du positionnement sur une courbe de taux, en choisissant parmi l’ensemble des obligations composant la courbe celle dont les caractéristiques vont maximiser la performance attendue.

Toute baisse d’un taux obligataire (DY) a pour effet immédiat de générer un gain en capital (DP) dont la mesure peut être approximée à l’aide de la formule DP = -DY*MDur, où la valeur de la Duration Modifiée (MDur) agit comme un levier sur la performance.

Intuitivement, pour une même baisse de taux, plus l’échéance de l’obligation est longue, plus sa mesure de MDur étant grande aura pour effet d’accroître le gain en capital. Par exemple, depuis le dernier plus haut du taux Bund à 10 ans le 2/2/2018, les taux des Bunds à 10 et 30 années d’échéance ont subi des baisses similaires de 134 et 150 points de base. Mais, la mesure de MDur du Bund à 30 étant de 29,9, soit 2,95 fois supérieure à celle de 10,2 pour le Bund à 10 ans, est à l’origine d’une performance au moins 3 fois supérieure de 45,5% contre 12,9%. Similairement, en émettant le 20/09/2017 un emprunt autrichien à 100 ans au taux de 2,1%, sa baisse de 1,13% combinée avec sa MDur, actuellement de 55, a généré une performance de 81% en moins de deux ans.

La chute des taux obligataires à des niveaux proches de zéro
est à l’origine d’une double conséquence sur les performances.

Parmi les trois composantes d’une MDur, sa mesure s’accroît d’abord avec l’augmentation de l’échéance de l’obligation, mais aussi avec la diminution de ses niveaux de coupons et de taux sur les marchés. Effectivement, la chute tendancielle des taux obligataires depuis 38 ans à des niveaux proches de zéro est à l’origine d’une double conséquence sur les performances aux effets cumulatifs. Premièrement, la chute drastique des coupons annihile cette source traditionnelle de la performance obligataire. Deuxièmement, l’accroissement «mécanique» et significatif des valeurs de MDur augmente les effets de levier de chaque variation de taux sur les gains et pertes en capital.

En effet, en 38 ans la MDur du Bund à 10 ans a presque doublé, passant de 5,8 lorsque le taux affichait 11,34% en 1981 à 10,3 actuellement avec un taux négatif. Donc, pour une même chute de son taux de par exemple 1%, le gain en capital s’est accru de +4,4%, passant de 5,8% en 1981 à 10,3% en 2019, doublant presque sa valeur. Cette chute drastique des taux a pour conséquence une contribution à la performance des coupons qui s’est écroulée, passant de 70% en 1981 pour devenir négative dans la situation actuelle de taux négatifs.

Performances

L’observation depuis 1981 des performances des principaux emprunts gouvernementaux cumulées durant chacune de leurs phases haussières et baissières à travers les 6 cycles complets et le dernier débuté en février 2018, ne laisse aucun doute sur les avantages des investissements obligataires selon des «stratégies de taux».

a) Stratégie de la «directionalité d’un taux»

Depuis 38 ans, en investissant uniquement durant les longues phases baissières des taux, la performance moyenne Bund à 10 ans s’est significativement améliorée de +4,2%, passant de 6,3%, sans stratégie de taux, à 10,5% par année investie. Similairement, la performance du Bund à 30 ans a progressé de +7,5% s’élevant de 8,6% à 16,1%, soit un accroissement relatif de 87%.

Plus globalement pour l’ensemble des emprunts gouvernementaux observés, l’implémentation de cette «stratégie de directionalité des taux» a amélioré les performances des dettes à 10 ans de +3,0% (1,5x), s’accroissant de 6,5% à 9,5%, et celles à 30 ans de +6,3% (1,8x), passant de 8,1% à 14,4% en moyenne par an.

Nouvelles stratégies d’investissements obligataires en gestion active.

En perspective de la performance moyenne du S&P500 depuis 38 ans de 8,8% par an, les 10,8% et 15,4% affichés par les UST à 10 et 30 ans mettent à mal la croyance selon laquelle les actions seraient plus performantes que les obligations. De plus, à ces performances obligataires devraient être ajoutées celles réalisées durant les phases de hausses de taux par les réinvestissements des liquidités dans d’autres classes d’actifs.

b) Stratégie du «positionnement sur une courbe de taux»

Au sein d’une courbe de taux d’emprunts gouvernementaux, la préférence pour une échéance à 30 ans au lieu de 10 ans a encore amélioré substantiellement les performances moyennes de +5,6% (1,5x) pour les Bunds, de +4,6% (1,4x) pour les UST, de +7,3% (2,2x) en Suisse et de +2,0% (1,2x) pour les Gilts.

Même sans implémentation de la première «stratégie de la directionalité des taux», la préférence pour les échéances à 30 ans au lieu de 10 ans a amélioré les performances obligataires des dettes allemandes, US, suisses et anglaises de respectivement +2,3% (1,4x), +1,8% (1,2x), +2,2% (1,5x) et de +0,3% pour les Gilts.

Conclusion

La chute tendancielle des taux obligataires depuis 1981 à des niveaux proche de zéro est à l’origine de nouvelles réalités qui bouleversent les investissements obligataires. Les performances provenant des coupons s’évaporant impose l’instauration de nouvelles stratégies d’investissements obligataires en gestion active, telles que les stratégies de taux, afin de capturer et maximiser les gains en capital lors des longues phases de contractions cycliques des taux.

Ainsi, parmi la palette des stratégies d’investissement capables de réaliser actuellement des performances obligataires, la combinaison de ces deux «stratégies de taux» fondées sur la «directionalité des taux» et le «positionnement sur la courbe des taux» surclassent toutes les autres, autant par l’ampleur des gains en capital réalisés, que par leurs profondes mécompréhensions du fait de leur absence de la Théorie financière.

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