Pas de pitié pour les dinosaures

Anne Barrat

2 minutes de lecture

Pour Marc Briand de Mirova, accepter le moins pire n’est pas la solution pour accompagner la nouvelle révolution industrielle et façonner le monde de demain.

Hier l’exclusion, aujourd’hui l’inclusion, bientôt (ou déjà) l’inclusion sous condition? A l’heure où l’industrie financière évolue, à mesure que s’améliore l’évaluation de la conformité des entreprises aux critères ESG et que ces derniers se précisent, vers une approche davantage inclusive des entreprises jusque-là au ban de l’univers d’investissement socialement responsable, d’aucuns tirent déjà la sonnette d’alarme. Inclure si et seulement les entreprises en question opèrent un virage à 180°, et non si elles se contentent d’améliorer leurs opérations pour être «un peu plus vertes». Marc Briand, responsable de la gestion obligataire chez Mirova, est de ceux-là.

Le monde dans lequel nous vivons, nos standards de vie, reposent sur l’utilisation de ressources carbonées que nous continuons à consommer comme si elles étaient illimitées. Un changement s’impose, qui suppose une révolution, explique Marc Briand: «Le 19e siècle a été celui de la première révolution industriel fondée sur le charbon, le 20e celle d’une deuxième révolution industrielle reposant largement sur le pétrole et les énergies fossiles. Le 21e siècle sera celui de la troisième révolution industrielle reposant sur les énergies renouvelables. Le défi de lier les aspects environnementaux et industriels est celui que nous, financiers et ingénieurs, devons relever main dans la main.» Il n’est donc pas question de subventionner ni de laisser perdurer des entreprises qui, même si elles visent une trajectoire de 2°C à horizon 2050, participent d’une économie carbonée, mais de favoriser les alternatives et d’investir dans la rupture. Historiquement, les ruptures ont toujours créé à plus ou moins brèves échéances de la valeur, inutile donc de la craindre.

La taxonomie verte ne va pas encore assez loin regrette Marc Briand, l’éligibilité des projets à un financement par une obligation ne va pas de soi.
Une logique de rupture, peu importe le benchmark

Qui dit rupture dit arrêter de vivre comme au 19e siècle ou au 20e et de financer les «dinosaures» insiste Marc Briand, par exemple les entreprises engagées dans une amélioration du raffinage ou dans du charbon propre ou encore dans de la nutrition nouvelle génération pour cheptel bovin. «Il y a un siècle, Hermès était un fabricant de selles, il figure aujourd’hui parmi les leaders de l’industrie du luxe. Cette trajectoire est à l’image de ce que nous cherchons à accomplir en accompagnant les entreprises dans leur transition, sans faire de compromis. Autrement dit, nous devons inclure et financer les meilleurs, c’est-à-dire les gagnants de demain.» Que les indices de référence incluent telle ou telle valeur qui ne fait pas partie de ces gagnants de demain n’influe pas sur l’approche de gérant ISR de conviction que revendique le responsable de la gestion obligataire qui rappelle que son rôle est d’assurer que les investissements soient non seulement cohérents avec cette stratégie de rupture, mais aussi rentables. «Le rôle des financiers est de mener une gestion active à la différence des ETF classiques et ainsi de réorienter l’épargne qui nous est confiée vers les projets qui contribuent à la révolution environnementale, industrielle, et énergétique nécessaire.»

Priorité au vert foncé

«Le véhicule d’investissement que nous privilégions sont les obligations vertes, explique Marc Briand. Et ce parce qu’elles nous permettent d’avoir un double impact : performance financière cohabite avec impact car l’argent emprunté finance très précisément des projets liés à la transition environnementale.» La difficulté ici tient à l’évaluation de la nuance de vert sur une échelle encore imprécise: la taxonomie verte ne va pas encore assez loin regrette Marc Briand, l’éligibilité des projets à un financement par une obligation ne va pas de soi. D’où le choix de ne retenir que les projets vert foncé, donc d’éliminer ceux qui ressemblent trop à du «business as usual», tout comme ceux dont la stratégie de l’émetteur n’est pas alignée sur une trajectoire à 2 degré. Il ne s’interdit pas en revanche de recourir à de l’overlay ou à des contrats futurs pour garder en portefeuille des projets vert foncé, stratégiques, temporairement moins rentables, et maintenir le niveau global de performance du portefeuille. Laquelle est suivie de près grâce au Greenium, «un outil de choix pour suivre la valorisation relative d’une obligation verte par rapport à une obligation conventionnelle, qui nous permet d’acheter au bon prix, conclut Marc Briand» Sur les près de 5 milliards d'euros d’obligations que gère Mirova, 3,6 milliards sont des obligations vertes et sociales, autrement dit 75% des encours obligataires. Le marché des obligations vertes s’est beaucoup développé depuis 2015, pour atteindre 1’200 milliards d’euros en 2021. Les obligations sociales et durables, quant à elles, connaissent un essor depuis 2019 et atteignaient en 2021 près de 400 milliards d’euros toutes deux.

A lire aussi...