Ondes de choc – Weekly note de Credit Suisse

Burkhard Varnholt, Credit Suisse

6 minutes de lecture

 La crainte liée au coronavirus et au coût économique de la gestion de la crise a provoqué des ondes de choc en bourse.

À l’instar du gréement d’un bateau qui tangue dans des eaux tumultueuses et dont l’équipage est fortement sollicité, une grande confusion règne à bien des égards sur les marchés et dans les médias. La crainte liée au coronavirus et au coût économique de la gestion de la crise a provoqué des ondes de choc en bourse, lesquelles sont encore accentuées par la presse. Mais c’est précisément dans les périodes agitées que la prudence, le calme et le recentrage sur des qualités clés sont payants – et pas seulement dans le domaine des placements.

1. Tempêtes boursières: les rafales les plus fortes viennent de Chine

Depuis la grande crise financière de 2009, le S&P 500 a déjà surmonté 65 crises de panique (voir graphique 1). Y parviendra-t-il également avec la soixante-sixième, celle qui le secoue actuellement? Ou sommes-nous au début d’une longue baisse?

En dehors de la crainte du nouveau coronavirus, c’est une combinaison néfaste de plusieurs facteurs qui a déclenché la récente tempête boursière, des facteurs qui émanent principalement de Chine.

La République populaire traverse une période difficile, faisant face actuellement à au moins quatre préoccupations majeures, lesquelles affectent de plus en plus le reste du monde également, ce qui n’a rien d’étonnant:

  1. Virus et peur de son coût: la propagation du Covid-19 et ses conséquences ont davantage ébranlé l’économie et la société que tout autre événement isolé comparable survenu depuis l’adhésion de la Chine à l’Organisation mondiale du commerce. Le risque augmente de voir des entreprises étrangères réduire leurs relations d’affaires avec l’empire du Milieu en raison des perturbations de la chaîne d’approvisionnement mondiale. Parallèlement, les exportations européennes de montres et de voitures vers la République populaire ainsi que le tourisme chinois à l’étranger accusent un fort repli pour l’instant.
  2. Conflit commercial: il continue lui aussi d’affecter les marchés. En dépit de «l’accord de phase 1» récemment conclu, il serait prématuré de lever l’état d’alerte pour l’économie de la Chine. Les droits de douane américains pénalisent toujours les exportations de celle-ci vers les États-Unis, et la discréditation systématique de Huawei, l’une des entreprises privées chinoises les plus performantes, montre bien que l’harmonie et la paix ne vont pas régner de sitôt.
  3. Grogne sociale: bien que l’État et le gouvernement mettent tout en oeuvre pour surmonter la crise et revenir à la normale, le mécontentement social ne fait que croître, et ce à un moment où la dépendance démographique vis-à-vis de la jeune génération est plus forte que jamais étant donné l’important vieillissement de la population chinoise.
  4. Endettement: ces dernières années, les entreprises publiques et les consommateurs chinois ont amassé un volume de dettes considérable (voir graphique 2) bien que le plan économique national cherche à réduire celui-ci depuis deux ans déjà. Mais ce plan a été contrecarré par le conflit commercial en premier lieu et par le coronavirus actuel en second lieu. Un phénomène qui pèse également sur les banques du pays.

Alors que l’Occident répond généralement aux chocs économiques par des mesures monétaires, Pékin tend davantage à stimuler sa conjoncture par des investissements publics dans les infrastructures. Aujourd’hui pourtant, la Chine doit elle aussi jouer la carte monétaire, car la solidité de ses banques et même de tout son système financier en dépend. À cet égard, il est bon de savoir que les dettes en yuan (nettement plus élevées que celles dans d’autres devises) peuvent toujours être monétisées par la banque centrale en dernier ressort. Il se pourrait donc que le «virus de l’assouplissement monétaire» se propage en sens inverse, d’Ouest en Est.

2. Nouveaux planchers historiques des rendements obligataires: pas de panique!

Quelle est la bonne des deux réponses: «il y a un problème» ou plutôt: «lower for longer» (baisse prolongée)? Les deux, à court terme. Mais lorsque la tempête se sera apaisée, «lower for longer» s’imposera à nouveau.

Comme les problèmes dont souffre la Chine nous affectent également, les rendements des marchés mondiaux des capitaux ont chuté à de nouveaux planchers historiques ces derniers jours. Et comme le marché obligataire n’est pas une île, la bourse lui a emboîté le pas. Cette semaine, elle a été victime du cercle vicieux de la peur. Pourtant, les tempêtes boursières n’ont rien de nouveau, et celle-ci ne sera pas la dernière. Elles sont imprévisibles, mais il est possible de les gérer, voire d’en profiter, au moyen d’un bon processus de placement et d’une stratégie à l’épreuve des crises. Il importe à présent de garder la tête froide et d’évaluer les scénarios, les opportunités et les risques dans leur ensemble. Qu’est-ce qui va arriver, qu’est-ce qui compte, qu’est-ce qui change?

Cinq observations retiennent plus particulièrement l’attention:

  1. Actuellement, nous sommes probablement les témoins d’exagérations boursières tout à fait classiques, qui accroissent temporairement la volatilité des marchés.
  2. Les portefeuilles bien diversifiés ont résisté avec succès à cette volatilité jusqu’à présent. C’est très certainement la raison pour laquelle de nombreux investisseurs ont souscrit de nouveaux mandats de gestion cette année ou élargi ceux qu’ils possédaient.
  3. Les actions sont déjà relativement plus avantageuses qu’au début de l’année.
  4. La baisse des rendements obligataires se laisse relativiser dans une perspective à long terme. Nous estimons qu’elle reflète le coût des mesures de crise actuelles ainsi que le maintien probable de l’orientation expansive de la politique monétaire.
  5. La crainte d’une crise du crédit ou d’une récession à l’échelle mondiale nous semble exagérée. C’est pour cette raison et aussi parce que la peur n’est pas durable en bourse que nous nous attendons à ce que la crise actuelle génère des opportunités d’achat attrayantes.

Quelques détails intéressants pointent dans cette direction:

Actions déjà plus avantageuses qu’au début de l’année

En raison de la récente baisse des rendements obligataires et des cours boursiers, les primes de risque des actions et les ratios cours-bénéfice (PER) sont devenus plus attrayants. C’est pourquoi les actions sont déjà plus avantageuses qu’au début de l’année par rapport aux obligations. Jetons un coup d’oeil à ces primes et à ces ratios:

  1. D’après les estimations des spécialistes, la prime de risque des actions mondiales est actuellement supérieure à 5% pour les investisseurs suisses.
  2. Selon Bloomberg, les actions américaines, avec un PER de 20, se négocient déjà près d’un tier en dessous de leur valorisation équitable implicite (PER de 28) au vu des rendements actuels sur le marché des capitaux américain.
  3. Les PER suisses sont les plus fortement sous-évalués au regard des rendements extrêmement bas du marché des capitaux, bien qu’ils semblent actuellement moins pertinents que les primes de risque des actions.

Une perspective à long terme en dit plus sur le récent repli des rendements obligataires

Une perspective à long terme des rendements obligataires montre que leur repli de ces derniers jours n’est pas seulement la conséquence d’une apparente panique des investisseurs. Il s’inscrit également dans une longue tendance (voir graphique 3).

On peut en déduire trois choses au moins: premièrement, la fuite quasi panique dans les emprunts d’État traduit certes les anticipations de préjudices économiques, mais nous ne partageons pas les craintes d’une récession mondiale. La chute des rendements obligataires américains s’inscrit davantage dans une tendance de longue date «lower for longer». Quatre facteurs qui y sont liés ont induit un recul de l’inflation, des taux d’intérêt et des rendements du marché des capitaux en Occident d’abord, puis dans de nombreux pays émergents.

  1. La mondialisation fait baisser les coûts de production et les prix des biens de consommation.
  2. Le vieillissement démographique incite les institutions de prévoyance à investir de plus en plus dans les emprunts (à long terme), faisant ainsi chuter les rendements de ces derniers.
  3. Internet stimule la compétitivité des prix et affaiblit le pouvoir de fixation de ceux-ci par les entreprises.
  4. La politique monétaire expansive menée depuis 2009 par la Réserve fédérale américaine (Fed), la Banque nationale suisse (BNS), la Banque centrale européenne (BCE) et la Banque du Japon (BoJ) induit une baisse des taux nominaux, favorise l’endettement et stimule l’économie, entretenant ainsi la nécessité de maintenir les taux d’intérêt à un niveau bas.

Il existe en outre une relation stable à long terme entre les marchés obligataires et les marchés boursiers. La baisse des rendements des obligations augmente l’attrait des actions, stimule les rachats de leurs propres titres par les entreprises et intensifie la quête de placements rentables au-delà des emprunts, ce qui illustre le vieil adage «Not macht wendig» (l’urgence rend flexible). Il ne fait pas de doute que la pénurie croissante de placements obligataires (suisses) incite de nombreux investisseurs à chercher des solutions rentables dans les actions.

Et si le virus déclenchait une nouvelle crise de la dette ou une récession?

Du calme, du calme. Bien sûr, les importantes mesures de protection prises en Chine, dans le nord de l’Italie et dans d’autres pays ont un coût économique élevé. Mais en République populaire précisément, nous voyons très nettement qu’un retour rapide au plein emploi compte parmi les grandes priorités de l’État, de la société et du gouvernement. Et il ne fait guère de doute que la Chine atteindra cet objectif dans un proche avenir. Même si le choc induit par le coronavirus affecte fortement les entreprises sensibles, notamment dans le secteur pétrolier ou le monde bancaire chinois, une analyse froide de la situation globale s’oppose toujours au scénario catastrophe d’une crise du crédit ou d’une récession à l’échelle mondiale.

Pourquoi? Premièrement, les consommateurs occidentaux économiquement solides et disposés à dépenser soutiennent les marchés. Le bon taux d’occupation des capacités dans le secteur de la construction et dans de nombreuses entreprises de services, la santé réjouissante du marché de l’emploi, la hausse des salaires et le niveau élevé de l’épargne privée constituent une base résistante pour les ménages privés, dont la demande représente plus de la moitié de l’ensemble de l’économie d’après la Banque mondiale.

Deuxièmement, on observe toujours une croissance saisonnière au printemps. En 2020, cette période sera probablement marquée, dans de nombreux pays, par une élévation des dépenses budgétaires, notamment dans les infrastructures. En outre, comme les vagues de de la grippe hivernale traditionnelle s’apaiseront, le nombre d’heures travaillées aura tendance à augmenter.

Troisièmement, contrairement à une idée largement répandue, les intérêts de la dette grèvent moins que jamais les revenus du secteur privé actuellement, comme le montre le graphique 4. En Europe, ce phénomène est encore plus marqué qu’aux États-Unis, car la charge des intérêts y est inférieure.

Nous voyons donc que les chiffres s’opposent aux craintes d’une crise du crédit ou d’une récession imminente. Les entreprises qui souffrent d’un recul de la demande lié aux turbulences actuelles vont privilégier le chômage partiel ou les licenciements plutôt que la suspension du paiement des intérêts. Et les ménages privés se portent dans l’ensemble suffisamment bien pour supporter les contraintes. Les agences de notation et les marchés obligataires mondiaux confirment cette opinion.

En Suisse, une analyse approfondie des données de la BNS met en évidence que la majeure partie de l’endettement croissant des entreprises ne concerne pas les investissements dans des machines ou des usines mais la construction d’immeubles de rapport. Or, les propriétaires de ces derniers sont depuis plusieurs années les bénéficiaires inattendus de cette longue période de taux bas.

Enfin, les investisseurs ne devraient jamais négliger la réaction de la politique monétaire. Il semble en effet de plus en plus probable que les banques centrales prendront des mesures de stimulation si les récentes turbulences boursières devaient se prolonger.

Que se passera-t-il si nous nous habituons au virus?

Un virologue suisse expérimenté m’a confié qu’il ne serait pas possible de se débarrasser rapidement du coronavirus et que nous devrions, bon gré mal gré, nous accommoder de sa présence. Cela nous rappelle le virus bien connu de la grippe, dont on recense entre 112 000 et 275 000 cas et plusieurs centaines de décès chaque année en Suisse, selon l’Office fédéral de la santé publique. Voilà bien longtemps qu’il fait partie du quotidien de notre société. Vue sous cet angle, la crainte actuelle du Covid-19 devrait s’apaiser après un certain temps, tout comme la panique boursière qu’elle a déclenchée. On peut supposer que les investisseurs exploiteront alors les exagérations du marché et qu’ils évalueront à nouveau les actions et les obligations de manière différenciée, sur la base de leur attrait fondamental.

3. Fortes vagues: implications pour les investisseurs

Conformément à la House View du Credit Suisse, nous avons réduit la pondération des actions à la fin janvier déjà. Les performances de nos mandats de gestion se maintiennent. Si la correction actuelle se prolonge, nous estimons qu’elle devrait plutôt procurer des occasions d’acheter que des raisons de vendre. Mais nous n’en sommes pas là.

Notre Chief Investment Officer mondial, Michael Strobaek, a diffusé hier une lettre d’information sur notre House View dont je vous recommande la lecture. En outre, notre analyste spécialisé dans l’industrie pharmaceutique a publié une étude des répercussions de l’épidémie de coronavirus sur ce secteur à travers le monde, laquelle vaut également la peine d’être lue.

Enfin, nous observons dans la crainte du virus une confirmation structurelle de certains de nos Supertrends. Par exemple, des thèmes tels que «Edutainment» ou «Numérisation du secteur de la santé» – et l’automatisation de la société en général – tirent profit des nombreuses mesures prises pour prévenir la propagation de l’épidémie actuelle et de maladies futures. Au cours des décennies passées, la part des investissements des entreprises dans les technologies de l’information est passée de 20 à 47%. Et il est probable que cette tendance va se poursuivre. Notre préférence pour les placements dans la croissance et la technologie devrait une fois de plus se révéler judicieuse et continuer également à servir de ligne directrice aux investisseurs.

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