Objet économique non identifié

Bruno Cavalier & Laurent Denize, ODDO BHF AM

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Cette crise économique sort de tous les cadres usuels mais le rebond pourrait être tout aussi spectaculaire que la chute.

© Keystone

L’économie mondiale fait une expérience inédite. Dans des pays entiers, l’économie est au point mort à l’exception des activités essentielles, au premier rang desquelles le secteur de la santé.

Chacun a l’obligation de rester chez soi, pour certains en inactivité totale, pour d’autres en s’efforçant de télé-travailler en s’accommodant au mieux des diverses contraintes personnelles, technologiques et psychologiques. Cela implique une chute abrupte du volume et de la productivité du travail, autrement dit de la croissance économique. L’incertitude économique a atteint de nouveaux records, supérieurs mêmes à ceux de l’automne 2008. Tant que les «courbes» de l’épidémie ne seront pas aplaties, il y a tout lieu de penser que l’anxiété et l’aversion au risque peuvent encore s’intensifier.

Les prévisions de croissance vont désormais être ajustées massivement vers le bas. Là encore, il est probable que l’ampleur des révisions dépassera ce qu’on avait observé après la faillite de Lehman Brothers. De septembre 2008 à mars 2009, la croissance du PIB mondial des douze prochains mois avait été réduite de 3.3 points de pourcentage. Avant l’apparition du coronavirus, la croissance mondiale anticipée avoisinait 3%. Elle va maintenant passer en territoire négatif. C’est une première dans l’histoire post-1945. Nous ne sommes qu’au début de la vague des mauvaises statistiques économiques, qu’il s’agisse d’activité ou d’emploi.

Le coronavirus risque de se montrer plus coriace
que les étudiants du Quartier Latin.

Avec des secteurs largement à l’arrêt (restauration, tourisme, transport aérien) et d’autres gravement affectés par le confinement (production manufacturière, commerce de biens durables), il est possible que le niveau de PIB baisse de 5%, 10% ou davantage en quelques semaines dans de nombreux pays, chiffres évolutifs en fonction de la durée et de la sévérité des mesures de confinement. Après 1945, la plus forte contraction trimestrielle du PIB réel a été de 4,7% en Allemagne au premier trimestre 2009, et de 5,3% t/t en France t/t au deuxième trimestre 1968. Ce dernier exemple, quoiqu’assez ancien, peut éclairer sur l’impact d’une mise à l’arrêt de l’économie. En mai et juin 1968, la France a subi une grève générale accompagnant le mouvement de protestation estudiantin. La production s’était donc effondrée, puis une fois la révolte passée et la grève finie, elle a rebondi de 8% t/t. Le coronavirus risque de se montrer plus coriace que les étudiants du Quartier Latin.

S’il est entendu que le choc est historique, il faut aussi noter que la réponse au choc l’est tout autant. Les banques centrales ont réactivé en quelques jours tous les outils qui avaient été élaborés, en tâtonnant pendant des semaines ou mois, lors de la crise financière de 2008-2009. Selon les cas, on a eu des baisses agressives de taux directeurs, de nouveaux programmes d’achats d’actifs, la recréation de facilités de liquidité, une coopération internationale pour éviter la pénurie de dollar, un relâchement des contraintes réglementaires pour le secteur bancaire. Dans les faits, les banques centrales offrent une garantie illimitée aux États et aux banques pour soutenir l’économie. Le but est qu’il n’y ait pas, comme en 2009, un credit crunch global. C’est ce qui peut faire la différence entre une crise très sévère et de courte durée, et une crise très sévère mais aux effets cumulatifs.

La réaction des autorités budgétaires est plus hétérogène d’un pays à l’autre, mais la ligne générale consiste à offrir des garanties de prêts aux entreprises, notamment PME, et étendre les dépenses pour indemniser le chômage.

Cette crise économique sort de tous les cadres usuels. La modestie
oblige à dire que personne ne connaît le fin mot de l’histoire.

En somme le secteur public se substitue au secteur privé dont l’activité est perturbée, sans compter ce que cela représente en termes de dette additionnelle. Le processus de décision budgétaire est aussi plus long qu’avec la politique monétaire. S’y mêlent parfois des considérations partisanes comme l’illustre le cas américain. Il y a plus d’une semaine que le Congrès US discute d’un plan de stimulation. À ce jour, il n’est pas encore finalisé, ni voté. Cette crise économique sort de tous les cadres usuels. La modestie oblige à dire que personne ne connaît le fin mot de l’histoire.

Plongés dans l’inconnu… faut-il acheter?

Essayons de répondre à cette question en identifiant les indicateurs qui peuvent orienter les marchés dans cet environnement très complexe.

Premièrement, le ratio prix/bénéfices (Price(P)/Earnings (E)) n’est plus un indicateur fiable car les bénéfices sont difficiles à estimer après ce choc sans précédent. Concentrons-nous dès lors sur trois indicateurs essentiels:

  1. Le rendement des dividendes.
    Bien entendu, des questions se posent car de nombreuses entreprises vont être contraintes de réduire leur dividende. C'est vrai, mais la baisse des dividendes entre 2008 et 2010 a été d'environ 30% dans la zone euro entre leur point le plus haut et celui le plus bas. Supposons qu'une baisse de 50% se produise maintenant, l'Europe offrirait encore un rendement de 2,5% par rapport au rendement du Bund à 10 ans.
  2. La prime de risque sur les actions.
    Pour rappel, il s'agit de la différence entre le rendement attendu des actions, mesuré par 1/(P/E) et le rendement souverain sur 10 ans. Ce n'est pas si facile à évaluer, car les bénéfices sont à nouveau un paramètre de l'équation. Cependant les taux n'ont pas vraiment changé et les valorisations se sont effondrées.
  3. Cours sur actif net (Price / Book ratio)
    En Europe, nous avons atteint les niveaux observés en 2008, soit 1x l’actif net. Il s'agit généralement d'un signal d'achat. Nous n'en sommes pas encore là aux États-Unis, où les actions restent plus chères selon ce critère.
Cela peut sembler étrange après ce premier exercice, mais les valorisations
ne sont pas ce qui compte le plus en ce moment.

Enfin, les pertes sur les marchés représentent plus de cinq fois les bénéfices cumulés de 2019. Sur une période aussi courte (le pic du marché américain a été atteint il y a moins d'un mois), il ne s'agit pas d'une chute, mais d'un effondrement total!

Cela peut sembler étrange après ce premier exercice, mais les valorisations ne sont pas ce qui compte le plus en ce moment.

  1. C'est le récit de la large propagation de l'infection qui compte. Où en sommes-nous, voyons-nous un point d'inflexion? Un vaccin, un médicament ou une prolongation de la quarantaine?...
  2. Ensuite, et c'est peut-être tout aussi important, il s'agit pour beaucoup de la confiance dans les mesures prises par les gouvernements et les banques centrales. Et soyons clairs: les mesures sont impressionnantes et elles ont été prises à un rythme record. La combinaison de l'action de la FED et la forte coordination avec le Trésor constituent un puissant soutien à l'activité et aux marchés pour les mois à venir.