Les taux d'intérêt bas pourraient prolonger l'impasse politique

Philippe G. Müller & Roberto Scholtes Ruiz, UBS

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Certains politiciens semblent compter sur les banques centrales pour amortir les effets négatifs de leurs manœuvres périlleuses sur l’économie.

©Keystone

Les soucis politiques continuent de ronger l'Union européenne (UE): l'Italie est le théâtre d'une réorganisation complexe de la coalition, les négociations pour constituer un nouveau gouvernement restent au point mort en Espagne et en Belgique, tandis que le nouveau Premier ministre britannique est empêtré dans une situation qui paraît inextricable.

Et l'Europe n'est pas la seule concernée. Le conflit commercial entre les Etats-Unis et la Chine perdure, encore une incertitude supplémentaire dans le contexte politique mondial. L'urgence d'un compromis semble peu palpable, malgré les craintes de récession.

Une explication à la rigidité des hommes politiques, malgré la dégradation de la conjoncture économique, serait le changement de positionnement des banques centrales et la chute des rendements obligataires qui l'accompagne. 

Les investisseurs, privés de rendement, ont continué à surveiller
les écarts des obligations souveraines périphériques en euros.

Les taux d'intérêt ultra faibles diminuent les coûts d'émission de dette publique, donnant davantage d'ampleur à l'espace budgétaire. Les investisseurs, privés de rendement, ont continué à surveiller les écarts des obligations souveraines périphériques en euros, confortés par la probabilité que la Banque centrale européenne réactive son programme de rachat d'actifs.

Les gouvernements européens en difficulté

L'an prochain, si les rendements devaient se maintenir à leurs niveaux abyssaux actuels, les trésoreries nationales de la France, de l'Italie et de l'Espagne paieront, en intérêts sur la dette, entre 0,3 et 0,4 point de pourcentage du PIB de moins qu'en 2019. Cela constitue un matelas confortable pour leurs budgets en 2020 qui permettrait d'augmenter les dépenses, de réduire les impôts et de reporter des réformes structurelles, tout en ne dépassant pas excessivement les objectifs de déficit.

Ces conditions de financement favorables et la résistance de la croissance économique ont permis aux politiciens de prolonger l'impasse en Espagne. Si le Congrès n'arrive pas à élire un Premier ministre pour le 23 septembre, de nouvelles élections auront lieu le 10 novembre. 

En Espagne, le parti socialiste devrait obtenir des votes de dernière minute
de la part de l'extrême gauche et ainsi éviter un quatrième scrutin depuis 2016.

Si le risque d'un quatrième scrutin depuis 2016 augmente, le scénario de base de la Recherche d’UBS table toujours sur le fait que le parti socialiste obtiendra des votes de dernière minute de la part de l'extrême gauche représentée par Podemos, même si c'est seulement pour empêcher les partis de centre-droite de reprendre le contrôle du gouvernement national.

Pour des raisons différentes, le calendrier budgétaire est plus serré en Italie. Si des élections ont lieu cette année, le nouveau gouvernement n'aura pas le temps d'esquisser un projet de budget pour 2020 et de le faire voter avant la fin de l'année. 

Dans ce cas, les clauses de sauvegarde approuvées par le gouvernement Monti déclencheraient une hausse de la TVA de 3 points de pourcentage (une collecte estimée à 23 milliards d'EUR ou 1,3% du PIB), qui aura sans doute un impact sur la demande intérieure et sur la croissance du PIB.

Les dysfonctionnements politiques et l'incertitude accrue
causent des dommages durables à l'économie.

La saga du Brexit semble aussi influencée par la dégringolade des rendements obligataires et l'empressement à agir de la Banque d'Angleterre. La menace d'une sortie de l'UE sans accord semble plus crédible si les dégâts potentiels sur l'économie peuvent être atténués par un coup de pouce budgétaire et des mesures décisives de la banque centrale. 

Une politique malsaine à long terme

Dans l'ensemble, on peut affirmer que la succession des réductions de taux d'intérêt et de programmes de rachat d'obligations depuis la Grande crise financière ont eu des conséquences politiques néfastes. Certains politiciens semblent avoir l'impression que, finalement, les banques centrales amortiront les effets négatifs de leurs manœuvres périlleuses sur l'économie et sur les budgets.

Même si le soutien à court terme est avéré, les dysfonctionnements politiques et l'incertitude accrue causent des dommages durables à l'économie. Ils se traduisent par des primes de risque et un coût du capital plus élevés, des taux de croissance structurelle plus faibles et des valorisations en berne. 

Aussi, cette combinaison de risques politiques et cycliques soutient la position de la Recherche d’UBS de sous-pondérer les actions de la zone euro et du Royaume-Uni au sein des actions des marchés mondiaux développés.

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