Les tarifs douaniers, la nouvelle normalité

Philippe G. Müller & Geoffrey Yu, UBS

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Un conflit bilatéral attire l'attention. Les relations entre le Japon et la Corée du Sud se sont récemment dégradées.

© Keystone

Le conflit commercial sino-américain est devenu une plaie persistante pour les marchés: la plupart des gestionnaires d'actifs en auront tenu compte dans leurs décisions d'investissement. Il pourrait même signaler le début d'une période de tensions commerciales plus vastes.

En effet, toutes les relations commerciales majeures – nord-américaines, transatlantiques et même transpacifiques – ont récemment été mises à mal. Imposer des taxes douanières ou simplement rendre les échanges plus difficiles semble être la nouvelle norme en matière de gouvernance nationale, avec des implications croissantes sur les investissements et la croissance.

Le Japon a renforcé les contrôles
sur les importations sud-coréennes.

Depuis quelque temps, outre ces tensions importantes au niveau mondial, un conflit bilatéral en particulier attire l'attention. Les relations entre le Japon et la Corée du Sud se sont récemment dégradées et les deux pays s'imposent réciproquement des barrières commerciales. La semaine dernière, le Japon a renforcé les contrôles sur les importations sud-coréennes, tout en retirant le pays de sa «liste blanche» de partenaires commerciaux de confiance. En représailles, la Corée du Sud a fait de même.

Un conflit aux répercussions sérieuses pour l’Europe

Deux choses sont à noter ici. Premièrement, la source du litige réside dans des questions historiques, non liées au commerce. Deuxièmement, les deux pays sont très axés sur les exportations. Au cours des dernières décennies, ils ont sans doute été parmi les principaux bénéficiaires des échanges internationaux et de la mondialisation.

Normalement, chaque fois que le protectionnisme refait surface, n'importe où dans le monde, ils sont les premiers à plaider la cause du libre-échange. Les Etats-Unis ne semblent pas intéressés à s'impliquer ou à faciliter les pourparlers.

L'issue de ce litige aura beaucoup d'importance pour l'Europe également. Tout d'abord, il semblerait que la Corée du Sud pourrait à présent avoir du mal à maintenir sa production de semi-conducteurs et d'écrans, car de nombreux composants proviennent du Japon. Et comme semi-conducteurs et écrans sont eux-mêmes des éléments cruciaux des produits finis, fabriqués ailleurs dans le monde, l'impact se ferait sentir à l'échelle planétaire.

Il y a déjà eu des cas de violation des principes
du marché commun pour des raisons politiques.

Les chaînes d'approvisionnement internationales sont l'une des merveilles de l'économie moderne, mais lorsque des substituts sont difficiles à trouver, l'ensemble du processus peut s'effondrer assez rapidement.

Une guerre commerciale intra-européenne n’est pas impossible

Mais il y a une autre implication: à savoir que si une telle situation peut affecter deux des pays les plus libre-échangistes, cela pourrait arriver entre n'importe quels autres pays. L'Union européenne (UE) dispose d'un pouvoir de négociation considérable en matière d'échanges commerciaux, mais lorsqu'un conflit est déclenché pour des raisons purement politiques (ou populistes), le bon sens peut alors s'évaporer.

Qui peut affirmer que cela ne peut pas arriver entre pays européens? Il y a déjà eu des cas de violation des principes du marché commun pour des raisons politiques. Etant donné que le commerce intra-européen est au moins aussi important que le commerce extérieur de l'UE, les dégâts économiques causés par une version européenne du conflit actuel entre Séoul et Tokyo seraient dévastateurs. Naguère, une telle éventualité aurait été impensable, mais la nouvelle «normalité» – le commerce international comme arme politique – doit être prise au sérieux.

L’Union européenne résiste à la tendance conflictuelle

Sur une note plus positive, l'UE est sans doute le dernier bastion de l'ancienne normalité libre échangiste. Même lorsque des différends sont survenus, l'UE a privilégié la voie de l'OMC (par exemple le recours conjoint avec le Japon et les Etats-Unis contre la Chine, sur les droits de propriété intellectuelle) et reste l'un de ses plus fervents partisans, en principe comme en pratique. Les institutions internes de l'UE constituent également un puissant rempart contre les menaces de litiges politiques se muant en véritables conflits commerciaux.

Au vu des développements dans le monde, la Recherche d’UBS est d'avis que l'UE doit commencer à «sécuriser» son économie en protégeant les chaînes d'approvisionnement des turbulences, fortes ou légères, tout en encourageant le retour à la normalité par le biais des canaux adéquats, tels que le G20.

Les guerres commerciales ne font que des perdants, mais on semble l'oublier un peu partout. A contrario, le commerce intérieur florissant – et enrichissant – au sein de l'UE en est peut-être la meilleure preuve.

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