Les leçons du Brexit

Mohamed A. El-Erian, Allianz

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Les jours de l'accélération de la mondialisation économique et financière et des modes de croissance corrélés quasi incontestés sont révolus.

La question du Brexit à elle seule a accaparé le Royaume-Uni pendant deux ans et demi. L'opportunité, les modalités et le moment du retrait de ce pays de l'Union européenne, après des décennies d'adhésion, a naturellement dominé la une des journaux et a relégué à l'arrière-plan presque tous les débats politiques. Dans cette confusion, par exemple, sont passées à l'as toutes les discussions sérieuses sur la façon dont le Royaume-Uni doit stimuler la productivité et la compétitivité à un moment de crise économique et de fluidité financière.

En même temps, l'intérêt du reste du monde pour le Brexit a naturellement diminué. Les négociations du Royaume-Uni avec l'UE ont traîné en longueur grâce à de multiples moments de déjà vu et le consensus est que les retombées économiques seront beaucoup plus aiguës pour la Grande-Bretagne qu'au sein de l'UE – et encore moins dans les autres pays.

Les idées profondément ancrées des électeurs
sur l'identité, ne peuvent plus être négligées.

Pourtant le reste du monde est quant à lui confronté à d'importants défis. Les systèmes économiques et politiques traversent en ce moment des évolutions majeures, dont un grand nombre sont le fait de la technologie, du commerce, du changement climatique, des fortes inégalités et d'une colère en hausse sur le plan politique. Pour résoudre ces problèmes, les décideurs du monde entier feraient bien de retenir les leçons de l'expérience du Brexit au Royaume-Uni.

Lorsque les Britanniques ont voté à 51,9% contre 48,1% pour quitter l'UE, la décision a été un choc pour un bon nombre d'experts, de spécialistes, ainsi que pour les dirigeants des partis conservateur et travailliste. Ils avaient sous-estimé le rôle de «l'identité» comme moteur de l'organisation du référendum de juin 2016. Mais à présent, les idées profondément ancrées des électeurs sur l'identité, aussi bien réelles que perçues, ne peuvent plus être négligées. Bien que les politiques perturbatrices actuelles soient alimentées par la déception et la frustration économiques, l'identité reste leur fer de lance. Elles ont révélé et approfondi des divisions politiques et sociales aussi inconfortables qu'insolubles.

Les experts ont également prédit que l'économie britannique allait subir une baisse importante et immédiate de sa production à la suite du référendum de 2016. Dans l'événement, ils ont mal compris la dynamique de ce que les économistes appellent un «arrêt brutal» – c'est à dire un dysfonctionnement soudain et catastrophique dans un secteur clé de l'économie. Un exemple parfait est la crise financière mondiale de 2008, lorsque les marchés financiers ont été paralysés à la suite de perturbations dans leur fonctionnement et d'une perte de confiance mutuelle dans le système de paiements et de règlement.

Le cas du Brexit a été différent. Parce qu'on ne peut pas remplacer quelque chose par rien, il n'y a pas eu de rupture immédiate dans le commerce entre les Britanniques et l'UE. En l'absence de clarté sur le type de Brexit qui finirait par se concrétiser, la relation économique s'est tout simplement maintenue «telle quelle» et une perturbation immédiate a été évitée.

La question n'est pas de savoir si le Royaume-Uni va devoir
rendre des comptes sur le plan économique, mais quand.

Il s'avère que lors des mesures macroéconomiques et des prévisions de marché pour le Brexit jusqu'à présent, «court versus long» a été plus important que «soft versus hard» («hard» se référant à un retrait complet et très probablement désordonné du Royaume-Uni du marché unique européen et de l'union douanière). La question n'est pas de savoir si le Royaume-Uni va devoir rendre des comptes sur le plan économique, mais quand.

Néanmoins l'économie britannique fait déjà face à la lenteur des changements structurels. Il y a des preuves de la baisse des investissements étrangers et cela contribue à un niveau décevant d'investissement global de l'économie. De plus, cette tendance accentue les difficultés liées à la faible croissance de la productivité.

Il y a aussi des signes selon lesquels les entreprises ayant des opérations basées au Royaume-Uni ont commencé à déclencher leur plan d'urgence Brexit après une longue période d'attente, de planification – et d'attente renouvelée. En plus de démobiliser leurs investissements du Royaume-Uni, les entreprises devront aussi commencer à délocaliser certains emplois. Et ce processus devrait s'accélérer même si le Premier ministre britannique Theresa May parvient à faire passer sa proposition d'accord de sortie au Parlement.

Le processus du Brexit présente ainsi des risques associés à la fragmentation politique et économique et fournit un aperçu de ce qui attend une fracture de plus en plus marquée de l'économie mondiale si cela continue: à savoir, des interactions économiques moins efficaces, moins de résilience, des flux financiers transfrontaliers plus compliqués et moins d'agilité. Dans ce contexte, une auto-assurance coûteuse viendra remplacer une partie de la mise en commun du système actuel des mécanismes de fonds communs d'assurance. Et il sera beaucoup plus difficile de maintenir des normes mondiales, encore moins de poursuivre l'harmonisation et la coordination de la politique internationale.

Le fait d'être une économie étendue et relativement fermée
peut commencer à sembler plus attrayant.

Les stratégies d'arbitrage réglementaire et fiscal sont susceptibles de devenir elles aussi de plus en plus courantes. Et la politique économique va devenir un outil pour aborder les préoccupations (réelles ou imaginaires) liées à la sécurité nationale. Reste à savoir comment cette approche va affecter les arrangements géopolitiques et militaires actuels.

Enfin il y aura également un changement dans la façon dont les pays cherchent à structurer leur économie. Dans le passé, la Grande-Bretagne et d'autres pays se sont vantés de leurs «petites économies ouvertes» capables de tirer parti de leurs avantages nationaux au moyen de liens efficaces et astucieux avec l'Europe et le reste du monde. Mais à présent, le fait d'être une économie étendue et relativement fermée peut commencer à sembler plus attrayant. Et pour les pays qui n'ont pas cette possibilité – comme les petites économies d'Asie de l'Est – des blocs régionaux étroitement solidaires peuvent fournir une alternative utile.

Le désordre de la politique de partis a fait ressembler le processus du Brexit à une dispute nationale, parfois impénétrable pour le reste du monde. Mais le Brexit comporte d'importantes leçons pour et sur l'économie mondiale. Les jours de l'accélération de la mondialisation économique et financière et des modes de croissance corrélés quasi incontestés sont révolus. Nous vivons également dans une ère de considérable fluidité technologique et politique. Les perspectives de croissance et de liquidité vont certainement devenir encore plus incertaines et divergentes qu'elles ne le sont déjà.

Copyright: Project Syndicate, 2018.

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