Les enjeux cachés de cette guerre commerciale

Patrick Morel, Fixed Income Strategist

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Et si cette escalade n’était pas une réaction impulsive, mais le fruit d’une stratégie planifiée à long terme?

En déclanchant un conflit sur les taxes à l’importation de 25% sur l’acier et 10% sur l’aluminium, les USA ont fait voler en éclats la «pax economicus» instaurée implicitement depuis la grande Dépression de 1929, selon laquelle une guerre tarifaire escaladée en guerre commerciale paralyserait le commerce international, détruisant la croissance économique. Alors, pourquoi prendre de tels risques?

Impact domestique

Au niveau macroéconomique, toute hausse tarifaire généralisée sur un bien ou service a pour double effet de creuser encore plus le déficit de la balance commerciale par l’augmentation des importations en valeurs et d’atténuer le déficit budgétaire grâce aux nouvelles recettes fiscales.

Toute taxe d’importation supplémentaire
s’apprentie à de l’inflation!

Pour les consommateurs, le report quasi-systématique sur les prix de vente d’une hausse de coût implique que toute taxe d’importation supplémentaire s’apprentie à de l’inflation! Plus globalement, ces nouvelles recettes fiscales pour le gouvernement qui sont ultimement payées par les consommateurs possèdent les caractéristiques de la TVA, équivalant à un impôt indirect.

Toutefois, n’étant qu’aux prémices d’une guerre commerciale, les montants engendrés demeurent encore peu significatifs, surtout comme solution de financement du récent cadeau fiscal en matière d’imposition des entreprises.

Pourquoi prendre le risque de déclancher une guerre commerciale? S’agit-il d’un coup d’esbroufe ou existerait-il une motivation plus profonde révélant une stratégie à beaucoup plus long terme?

Impacts internationaux

La décision US d’exonérations discrétionnaires, temporaires et surtout négociées avec chacun des pays «amis» a pour conséquence de provoquer d’irréversibles distorsions des règles du commerce international, instaurant des rapports de force avec chacun de ses «partenaires» commerciaux et nouveaux rivaux économiques, tels que la Chine.

Historiquement, la formidable croissance US durant les «30 Glorieuses» a coïncidé avec l’émergence de sa classe moyenne au phénoménal appétit pour la consommation. Epargnés par les affres de la 2e guerre mondiale et à la recherche de nouveaux débouchés pour écouler ses surplus, les USA ont une première fois modelé le visage du commerce international afin de favoriser les exportations des grandes entreprises transnationales avec l’aide de l’OMC et du FMI, en faisant tomber les barrières commerciales pour accroître leurs ventes en volume et en garantissant la stabilité du dollar contre les autres devises afin de faciliter le rapatriement de leurs profits.

Le monde est en train de vivre une nouvelle période de profondes
mutations de transfert de leadership international.

Paradoxalement, après avoir été le plus fervent défenseur du libéralisme économique et de la supériorité des marchés, qui s’autorégulant seraient seuls capables de fixer un juste prix, les USA sont aujourd’hui en train de les renier. Modifiant à nouveau les règles du jeu, ils réécrivent les règles du commerce international fondées cette fois-ci sur des rapports de forces, tels qu’à travers l’extraterritorialité du droit américain (FATCA, JASTA…) et son arme financière des amendes, ainsi que la signature d’accords de type privé entre les grandes entreprises et des gouvernements étrangers (TTIP, TISA…).

L’explication réside certainement dans le fait qu’après un siècle de suprématie du USD, le monde est en train de vivre une nouvelle période de profondes mutations de transfert de leadership international dans les domaines économique, financier et monétaire. Refusant cet état de fait, les USA mettent tout en œuvre pour retarder, voire tenter d’empêcher sa fin de règne. Pourtant cette évolution modifiant les rapports de force à travers le monde est inéluctable à l’image des pays dits «émergents», qui représentent près de 85% de la population mondiale, dont l’éclosion de la classe moyenne en Chine et en Inde représente déjà une population plus grande que l’ensemble des habitants des pays dits «développés».

A l’aube des «30 Glorieuses asiatiques» et de l’émergence de leurs nouvelles classes moyennes, leur nouveau moteur de croissance à long terme fondé sur la consommation domestique sera aussi à la recherche de débouchés, afin d’exporter leurs surplus de production alors domestique. Il semblerait alors naturel qu’ils souhaitent bénéficier à leur tour de tous les avantages de la formidable «machine à exporter» que représente le commerce international actuel aux barrières tarifaires poussées au plus bas depuis plus d’un demi-siècle.

Il semblerait que les grands perdants
soient la population américaine.

De plus, la domination du USD au cœur du non-système monétaire international s’estompe lentement, mais sûrement. Dans son rôle de monnaie de réserve internationale, l’USD a baissé à encore 62,7% en 2017, perdant 7,8% depuis son plus haut de 71,5% en 2001. Par contre, la part des paiements domestiques et internationaux en USD a cédé 4% supplémentaires en 2 ans à 39,9%, alors que celle en EUR a gagné 6,3% par atteindre 35,7%. Si la Chine est considérée par les USA comme son «ennemi économique», l’Europe représente alors son «ennemi monétaire».

Ainsi, un désir d’escalade jusqu’à provoquer une guerre commerciale pourrait être expliqué par le refus des USA de céder les rênes du leadership économique international à la Chine ou plutôt un groupe de pays, tels qu’arpentant la «Route de la Soie» ou les BRIC, préférant la politique de la terre brûlée.

Au regard de la récente suppression des surtaxes négociée avec la Chine et les suspensions temporaires concédées à l’Europe, il semblerait que les grands perdants soient la population américaine et les «partenaires» commerciaux, tels qu’en Europe.