Les banques centrales sont loin d’avoir tiré toutes leurs cartouches

Beat Thoma, Fisch Asset Management

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L’argent injecté dans le système mondial ces dernières années peut déferler n’importe quand sur le marché des biens et y faire exploser les prix.

La politique monétaire conventionnelle perd de son efficacité. Sous perfusion constante de liquidités, la conjoncture et le système financier mondial développent une dangereuse addiction aux mesures de soutien monétaire. Mais ce n’est pas pour autant que les banques centrales sont à court d’options. 

Outre les leviers traditionnels de politique monétaire que sont le pilotage des taux d’intérêt, l’ajustement des réserves obligatoires et les objectifs affichés, les banques centrales ont encore tout un éventail d’instruments à portée de main. Elles en ont d’ailleurs sorti un de leur chapeau après la crise financière que tout le monde connaît aujourd’hui: le programme d'assouplissement quantitatif (QE). Il s’agit là du rachat de titres sur le marché avec de l’argent frais créé par les banques centrales. Il en existe plusieurs variantes: achats d’emprunts d’Etat et d'obligations d’entreprises, voire d’actions. 

L’impulsion conjoncturelle est uniquement indirecte au travers
de l’augmentation des crédits octroyés et de l’effet de richesse.

Mais toutes ces formes de QE ont en commun l’augmentation de la liquidité et la génération correspondante de réserves excédentaires pour les banques privées. Dans le même temps, les prix des titres achetés augmentent. Malheureusement, il n’existe pas d’effet direct sur la demande en biens et services dans l’économie réelle. L’impulsion conjoncturelle est uniquement indirecte au travers de l’augmentation des crédits octroyés et de l’effet de richesse. Toutefois, ces effets ne sont pas systématiques et semblent même perdre de leur intensité depuis quelque temps.

La «monnaie hélicoptère» est-elle la solution?

Quoi que l’on en dise, le QE est plus efficace que la politique monétaire traditionnelle car il remplit activement les poches des acteurs du marché. Toutefois, la «monnaie hélicoptère» aurait un effet amplificateur significatif. Dans ce cas, la banque centrale fait tourner la planche à billets, comme pour le QE. En revanche, cet argent ne sert pas à acheter des titres, mais à effectuer des investissements directs dans l’économie réelle par le biais du financement des dépenses publiques, de coups de pouce à la consommation ou de crédits d’impôts ou d’autres mécanismes de transmission. C’est comme si un hélicoptère éparpillait de l’argent qui peut ensuite être investi ou dépensé. Et cet argent reste durablement dans le circuit économique et ne sera pas retiré ultérieurement comme c’est le cas des liquidités QE.

Au Japon, on parle de conversion des emprunts d’Etat
en obligations à coupon zéro perpétuelles.

Avec la monnaie hélicoptère, la banque centrale peut donc décider comment l’argent frais sera utilisé. L’efficacité est maximisée. La monnaie hélicoptère n’a rien de nouveau. Elle existait déjà dans l’Antiquité et n’a cessé d’être utilisée avec succès depuis. Dans le passé, on générait de la monnaie hélicoptère en réduisant la teneur en métal précieux des pièces tout en augmentant la quantité de pièces. Des difficultés sous forme de hausses massives des prix sont toujours survenues lorsque la planche à billets fonctionne trop pendant trop longtemps. Mais si l’on sait en faire un usage modéré, on obtient toujours la stimulation souhaitée avec une inflation limitée. Le graphique illustre la taille du bilan de la Banque d’Angleterre depuis 1694. Chaque fois que le bilan a augmenté, il y a eu une variante du QE ou de la monnaie hélicoptère. 

Bilan de la Banque d’Angleterre
Total de l’actif du Royaume-Uni en % du PIB nominal

Différentes banques centrales envisagent ouvertement de recourir à nouveau à la monnaie hélicoptère. L’ancien président de la Fed Ben Bernanke en chante les louanges depuis longtemps tandis que la Banque centrale européenne et la Banque du Japon lorgnent indirectement sur des stratégies qui y ressemblent. En fin de compte, c’est une question de présentation. C’est ainsi qu’au Japon, on parle de conversion des emprunts d’Etat (détenus par la banque centrale) en obligations à coupon zéro perpétuelles. Officiellement, ces titres restent dans le bilan, mais dans les faits, il s’agit d'un financement public par la planche à billets. Même si les banques centrales insistent auprès des marchés financiers et des populations sur le caractère exceptionnel de ces mesures, on espère un effet sur l’économie réelle sans dommages collatéraux. Celui-ci se dissiperait aussi au bout d'un certain temps, mais avec tout de même une hausse temporaire de la croissance et des investissements. Toutefois, le recours à la monnaie hélicoptère ne semble pas nécessaire pour le moment dans la mesure où la politique monétaire actuelle stabilise pour le moment la croissance économique mondiale.

Anticipations d'inflation en hausse: attention, danger!

Mais quand cela devient-t-il dangereux? Dès que l’inflation augmente, ou simplement les anticipations d'inflation. Dans ce cas, la monnaie hélicoptère serait non seulement rendue impossible, mais la politique monétaire actuelle, les QE en cours et la stimulation conjoncturelle seraient également remis en cause. Pour l’instant, l’inflation n’est pas un problème. Mais les liquidités qui ont été injectées massivement dans le système mondial ces dernières années sont encore là. Or, cet argent peut déferler à n’importe quel moment sur le marché des biens et y faire exploser les prix.

Les investisseurs devraient donc suivre avec attention les anticipations d’inflation. Le swap des échéances à 5 ans, qui chiffre les anticipations d’inflation des 5 années à venir (swap d'inflation 5 ans/5 ans) s’est révélé un indicateur efficace. Si celui-ci quittait son niveau actuel d’environ 2% pour atteindre les 2,6%, ce serait un signal d’alerte à prendre au sérieux.

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