Lehman et les marchés obligataires 10 ans après

Craig MacDonald, Aberdeen Standard Investments

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Craig MacDonald, responsable des produits à revenu fixe d’Aberdeen Standard Investments revient sur son expérience.

 

Il y a dix ans, la faillite de Lehman Brothers a provoqué des ondes de choc dans tout le système financier et ce sont probablement les marchés obligataires qui ont été le plus touchés par le vent de panique de cette époque. Nous revenons ici sur l’expérience de Craig MacDonald, responsable des produits à revenu fixe d’Aberdeen Standard Investments et l’interrogeons sur les enseignements tirés.

Qui était votre employeur le jour de la faillite de Lehman Brothers?

Je travaillais au sein de l’équipe des produits à revenu fixe de Standard Life Investments, à Edimbourg. La faillite de Lehman est intervenue pendant le week-end, c’est donc le lundi suivant que son impact s’est fait pleinement sentir.

Quel souvenir gardez-vous de cette journée?

C’était vraiment dramatique. Par comparaison, tout le reste semblait n’avoir aucune importance. Les conséquences ont été considérables. Dans notre équipe, le choc a été accompagné d’un soulagement, car nous ne détenions pas de titres de dette de Lehman.

En tant qu’investisseur, en quoi est-elle comparable au début du resserrement du crédit (credit crunch) de l’été précédent?

L’enjeu était beaucoup plus important. Début 2007, nos propres économistes étaient de plus en plus préoccupés par les États-Unis. Nous avons donc vendu, cet été-là, la majeure partie de notre exposition aux obligations américaines à haut rendement. La faillite de Lehman a signalé une crise majeure.

Aviez-vous le sentiment qu’un événement de cette ampleur allait se produire?

Non – mais nous avions généralement une sous-pondération sur les États-Unis et leurs banques. Dans le cadre de notre exposition bancaire, nous préférions des banques à large assise plutôt que des banques d’investissement véritables. Ces dernières présentaient un risque de négociation pour compte propre supérieur et étaient moins liquides, car elles n’avaient pas les bases de dépôt importantes des grandes banques classiques. Nous étions également méfiants à l’égard des notations de crédit élevées des banques d’investissement. Pour autant, nous n’avions pas anticipé l’effondrement de Bear Sterns ou de Lehman. Mais nous avions constaté qu’il s’agissait des maillons faibles de la chaîne.

Quels sont les principaux enseignements tirés de la manière dont les marchés se sont comportés durant les mois qui ont suivi immédiatement la faillite de Lehman?

Il faut retenir que les corrélations augmentent toujours dans les périodes haussières et baissières. La majeure partie des actifs bancaires à risque ont sous-performé pendant la crise, en raison de leur évaluation au cours du marché. Mais la crise a également mis en évidence l’importance de la différenciation, autrement dit du choix d’entreprises capables de résister à la tempête.

Après la disparition de Lehman, on a craint que le marché ne cible les maillons suivants de la chaîne, comme Morgan Stanley et Wachovia. Mais elles étaient mieux armées que les maillons les plus faibles et elles sont parvenues à survivre, grâce à l’intervention réglementaire.

Outre les bulles financières créées par l’assouplissement quantitatif (QE), notre réponse à la crise financière a-t-elle eu des conséquences imprévues inquiétantes sur les marchés du crédit?

L’intervention réglementaire a été déterminante pour éviter une crise encore plus grave. Mais les régulateurs ont peut-être péché par excès. Le niveau de réglementation du système bancaire américain est désormais élevé; le curseur était donc probablement allé trop loin. L’un des effets pervers du système est que les petites et moyennes entreprises – représentant, par bien des aspects, le cœur même de l’économie américaine – ont dû se battre pour obtenir des financements. Ce n’est qu’au cours des deux dernières années qu’elles ont pu à nouveau respirer, les réglementations ayant été allégées.  

La réaction de l’opinion publique a également joué un rôle. La confiance est désormais moins grande, avec un sentiment d’injustice à l’égard du renflouement des banques – même si ces renflouements ont préservé les emplois et les économies de la population. De manière fort compréhensible, la colère est bien présente – et elle pourrait rendre plus difficile une réaction efficace en matière de réglementation à la prochaine crise.

Quels enseignements tirez-vous des dix années qui se sont écoulées depuis la faillite de Lehman?

L’un des principaux enseignements est de rappeler à chacun que lorsque les États-Unis éternuent, le reste du monde s’enrhume. Il n’y avait aucune échappatoire, que ce soit au Royaume-Uni, en Europe ou dans les marchés émergents. Et le même scénario se reproduira la prochaine fois.

Mais la prochaine crise ne sera probablement pas focalisée sur les banques. Bien que les banques ne soient pas dénuées de risque aujourd’hui, le système bancaire s’est certainement amélioré. Il y a dix ans, certaines banques avaient un effet de levier pouvant atteindre 30. Elles détenaient des registres de titres considérables, mais elles étaient les premières à vendre en cas de crise et ne pouvaient donc pas fournir de liquidités. De nos jours, elles ont un effet de levier inférieur, sont plus stables et leurs activités de négociation pour compte propre sont plus limitées.

Quels enseignements avons-nous omis?

Bien que l’effet de levier soit moins important dans le monde, l’endettement inscrit au bilan des entreprises reste élevé. Nous constatons un effet de levier accru sur les marchés privés également. Une approche prudente s’impose donc.

L’autre enseignement que nous aurions dû tirer est que si la complexité contribue à répartir les risques, elle ne permet pas de compenser des créances irrécouvrables ou un endettement excessif. La confiance excessive dans la complexité a eu une grande part de responsabilité lors de la dernière crise et il convient d’en tenir compte à l’avenir.

Ce constat a-t-il modifié votre attitude en matière de gestion de portefeuilles de crédit?

S’il est nécessaire d’adopter une vision mondiale, les connaissances locales ont leur importance. La crise nous a incités à mettre en place, à Boston, une équipe dédiée aux États-Unis, qui s’est avérée très utile depuis sa création.

Dans la déroute qui a suivi jusqu’en mars 2009, quels ont été vos meilleurs achats pour les clients?

Pendant la crise, nous détenions de nombreuses obligations d’État que nous avons pu vendre pour garantir la liquidité. Cela nous a permet d’ajouter des produits à risque, immédiatement après la crise. Les obligations de certaines entreprises de premier plan se négociaient avec des rendements très attractifs. Anheuser-Busch et BMW, par exemple, offraient un coupon de 8%, ce qui est exceptionnel.

Où se situe le risque majeur sur les marchés du crédit?

En dehors du pétrole, nous estimons que les secteurs des produits de base sont chers. Si nous pensons que certains risques bancaires présentent un bon potentiel, ils nécessitent de longs consensus, ce qui nous rend un peu fébriles. Selon nous, les défauts seront limités l’année prochaine, ce qui devrait procurer des rendements élevés à condition de ne pas aller trop loin en matière de risque.

Existe-t-il des signes d’une autre crise imminente?

Tant que la Réserve fédérale américaine ne relève pas les taux trop rapidement et que les hostilités commerciales entre les États-Unis et la Chine en restent au stade d’escarmouches et non de guerre totale, nous pensons que l’année 2019 devrait être relativement favorable.

Il est cependant impossible de connaître l’évolution à venir des systèmes financiers, entreprises ou portefeuilles d’investissement. Tout ce que vous pouvez essayer de faire est de rester vigilant face aux risques. C’est ce qui a marché pour nous en 2008.

Voir églament: Aberdeen Standard Investments (Switzerland)