Le virus qui calme

Serge Ledermann, 1959 Advisors

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Le mois de janvier se termine sur une note pour le moins hésitante.

Janvier 2020: «copier-coller» de janvier 2018?

Les premières semaines de janvier 2020 ont encore démontré la dynamique forte qui pousse les marchés des actions vers de nouveaux sommets. Rien ne semble pouvoir freiner ce mouvement: ni la «presque» guerre entre l’Iran et Oncle Sam, ni la procédure de destitution de POTUS, ni l’abaissement par le FMI des prévisions de croissance pour 2020, ni l’accord commercial à minima entre les Etats-Unis et la Chine… Seule, vers la fin du mois, la propagation du coronavirus d’origine chinoise parvient à calmer quelque peu les ardeurs! On ne peut s’empêcher de comparer les belles intentions de ce début d’année la hausse massive des bourses au début de 2018, hausse vite réprimée par l’implosion de quelques fonds spéculant sur la volatilité («Volmageddon»). L’euphorie récente dans une configuration technique tendue a rappelé cet incident, incitant les investisseurs à faire preuve de plus de retenue.

Ainsi, le mois de janvier se termine sur une note pour le moins hésitante, les actifs de protection (or, obligations souveraines, franc suisse) enregistrant les meilleurs scores. Les reculs de cours dans les marchés des  actions restent toutefois contenus, la palme revenant encore aux Etats-Unis grâce à son secteur technologique (au sein duquel les mastodontes comme Apple, Microsoft et Amazon poursuivent leur avancée). Plus généralement dans le monde, les secteurs défensifs comme les services publics et la santé font sensiblement mieux que les secteurs cycliques (l’énergie est une nouvelle fois à la traine). Les obligations tirent bien leur épingle du jeu et contribuent à stabiliser les portefeuilles diversifiés.

Performance des classes d’actifs en janvier (clôture européenne du 30.1.2020) en devises locales)

Source: Banque Pâris Bertrand, Genève
Changement de ton à Davos, banques centrales en pause et indicateurs conjoncturels stabilisés

A Davos, les thèmes de l’environnement et de la responsabilité sociale ont dominé les débats. Seul et un peu à contre-courant, le Président américain est venu égrener sa longue liste de succès (essentiellement économiques) autoproclamés, sans soulever beaucoup d’émotion de la part d’une audience désormais habituée à son discours égocentrique. Plus concrètement, il convient de passer des discours aux actions et engagements forts comme la révision des principes comptables qui devront intégrer des éléments «durables», l’augmentation des financements «verts», les mesures de neutralité carbone de nombreuss entreprises ou encore le repeuplement de forêts. Certainement des efforts notables, mais loin d’être suffisants et de nature à calmer les jeunes générations. L’embarras croissant des représentants de l’industrie pétrolière confirme le malaise ambiant.

La publication au début du WEF de prévisions économiques prudentes de la part du FMI a créé de la confusion. Si les attentes pour la croissance mondiale en 2020 présentent un léger mieux (+3,3%) par rapport à 2019 (+2,9%, revu à la baisse), elles demeurent toujours en bas de fourchette. Certains ont relevé l’amélioration pour 2020, d’autres n’ont retenu que les révisions à la baisse…

Pas de net rebond de l'économie selon les dernières enquêtes Markit auprès des entreprises – les fameux PMI –  qui suggèrent que la croissance économique de la zone euro est stabilisée à un niveau modeste ( environ 1,2%, soit en ligne avec son potentiel à moyen terme). Ailleurs dans le monde, ces mêmes enquêtes n’indiquent pas de rebond significatif de l'activité, tant aux Etats-Unis qu’au Japon. Toutefois, le cycle d’assouplissement monétaire démarré début 2019 commence à déployer ses effets: reprise de l’immobilier, meilleures intentions d’investissement productif, consommation privée stable.

Taux courts globaux (changement annuel, avancé de 24 mois et inversé, ligne mauve) et indicateur PMI global (ligne verte): l’effet de l’assouplissement monétaire commence à se faire sentir

Source: Cornerstone Macro

Si tout semble confirmer la stabilisation, les signes de reprise se font attendre. Néanmois, les premières données en provenance des indicateurs PMI régionaux américains laissent présager une amélioration notable en janvier déjà. Beaucoup d’espoirs reposaient également sur la Chine qui montrait une dynamique conjoncturelle plus positive, avant que n’arrive le virus…

On peut parler des quatre cavaliers de l’Apocalypse pour l’Empire du Milieu (pour paraphraser Louis-Vincent Gave): guerre commerciale, révolte à Hong Kong, fièvre porcine et enfin coronavirus. Pas de chance au moment où la Chine entre dans l'année du Rat! Partie en décembre de Wuhan, l’épidémie a forcé la mise en quarantaine de la ville et de la région (près de 60 millions d’habitants). Xi avertit le pays que la situation est «grave». Une fois n’est pas coutume, nous relevons la détermination et la transparence déployées par les autorités chinoises. Il est toutefois impossible d’évaluer l’impact, tant sanitaire qu’économique, de cette épidémie. Une comparaison forcément imprécise avec le SARS de 2003 montre que la situation pourrait se stabiliser dans  quelques semaines déjà.

Dans ce contexte nouveau, les perspectives de reprise de la conjoncture en Chine doivent certainement être tempérées (ou tout au moins repoussées à plus tard). Globalement, nous continuons à tabler sur le prolongement du cycle économique en raison de l’assouplissement monétaire mondial, de la stabilité des prix de l’énergie et la relative modération des coûts de la main d’œuvre. Il apparaît donc que les principaux risques à ce scenario de croissance pédestre sont principalement d’ordre politique (ou sanitaire).

Evolution du marché des actions chinoises (MSCI China, ligne bleue)  par rapport à l’indice global des actions en 2003 pendant le SARS (ligne orange): tout est revenu dans l’ordre en quelques mois!

Source: BCV

En parlant de politique, Davos et le virus ont fait passer au second plan la procédure de destitution de POTUS… En prévision des élections de novembre prochain, la campagne pour l’investiture démocrate démarre dans l’Iowa. Les premiers enseignements sur la base des sondages montrent que la course est serrée, avec toutefois un petit avantage à MM. Biden et Sanders. Celui qui sortira vainqueur de l’Iowa prendra à coup sûr l’ascendent sur ses adversaires de parti. Dans une course à la présidence très polarisée, on pourrait bien assister à une bataille de populistes (de droite et de gauche)! Les prochains mois seront certainement source de fortes émotions.

Cycle prolongé, bulle obligataire et investisseurs plus confiants

L’assouplissement monétaire de 2019 et l’appaisement de la guerre commerciale ont relancé la dynamique des marchés. Ces éléments nous permettent d’envisager une prolongation du mouvement au cours de prochains mois. L’apparition du virus - et le risque qu’il fait peser sur la croissance dans l’immédiat – incitera les banques centrales à demeurer accomodantes pour un bon moment, et la Chine à conconcter des mesures de relance. Par ailleurs, les interventions massives de la Réserve fédérale pour stabiliser le marché interbancaire contribuent également à soutenir les actifs risqués.

Après le parcours spectaculaire des marchés des actions – essentiellement portés par l’expansion de multiples de valorisation - en 2019, nous attendons que les bénéfices prennent le relais en 2020. Après une année blanche aux Etats-Unis (environ 0% de croissance), les prévisions les plus articulées pour l’année en cours font état d’une progression de l’ordre de 5 à 6%. Si les perspectives d’augmentation des revenus se précisent dans un environnement de taux bas et de contrôle du prix des matières premières, c’est l’évolution des charges salariales qui pourrait continuer à impacter les marges.

La hausse du coût du travail (courbe rouge, en % de la valeur ajoutée brute, échelle de gauche) aux Etats-Unis érode les marges (courbe bleue, en % de la valeur ajoutée brute, échelle de droite)

Source: Gavekal

Pour les grands marchés européens, 2019 ne s’est pas révélée meilleure qu’aux Etats-Unis sur le plan de l’évolution bénéficiaire (léger recul attendu). Enfin, c’est dans les marchés émergents que les bénéfices ont le plus reculé l’an dernier (environ de 12% au dernier pointage), mais nous entrevoyons une reprise plus soutenue de manière sélective cette année, avec une préférence pour l’Asie (pour autant que la crise sanitaire se termine rapidement). En terme de positionnement, la qualité et la visibilité restent recherchées, aussi longtemps que les indicateurs d’activité ne montrent pas des signes concrets de rebond. L’amorce de reprise du segment «value» au cours du dernier trimestre semble avoir fait long feu, les titres de croissance étant repartis de l’avant ces dernières semaines, ainsi que les titres plus défensifs. Sur un plan plus général, nous observons la détermination de nombreux investisseurs à doter leurs portefeuilles de sociétés présentant les meilleurs profils de durabilité, ainsi que celles dont l’impact sur le climat est le plus positif. Nous considérons que ce mouvement (que nous avons déjà engagé depuis de nombreuses années) est appelé à se renforcer à l’avenir.

L’anxiété générée par l’irruption du virus a donné un bon prétexte pour corriger la situation  de sur-achat des principaux indices. Pour l’heure, la correction reste modeste, comme lors de l’incident «guerrier» du début de mois… Nous attendons un recul plus marqué des cours pour engager plus de capital sur les actifs risqués.

Indicateurs à court terme du sentiment des opérateurs (ligne du bas) en zone de sur-achat depuis quelques semaines

Source: Ned Davis Research

Dans les marchés de taux, la bulle des rendements négatifs est toujours bien présente! La stratégie des grands argentiers est de maintenir les taux d’intérêt à un niveau très bas, et surtout constamment inférieur à celui de la croissance économique nominale, de manière à prolonger le cycle. La stabilisation de la croissance et de l’inflation devrait donc permettre aux banques centrales de ne pas avoir à toucher à leurs taux directeurs ces prochains trimestres, offrant par conséquent peu de potentiel de plus-values aux segments souverains. Dans ce contexte, l’approche sélective dans le crédit se justifie encore, malgré la compression des spreads. Touefois, la persistance de taux très bas permet la survie de nombreuses sociétés «zombies» (qui ne gagnent pas le coût de leur dette!), dont il convient de se départir dans le phase actuelle du cycle.

Evolution des taux longs en Europe et aux Etats-Unis: proche des plus bas

Source: BCV

Malgré le ton «guilleret» des marchés dans les premiers jours de l’année, les prix des actifs de protection sont restés soutenus. Le franc suisse s’est apprécié unilatéralement et – plus frappant – l’or a repris son ascension pour dépasser ses meilleurs niveaux des derniers mois. L’été dernier, nous avions relevé la relation très forte entre l’augmentation spectaculaire des emprunts à rendement négatif et l’attrait retrouvé pour l’or. Cette relation n’est plus d’actualité, le métal jaune réagissant désormais à d’autres forces comme la faiblesse attendue du dollar par exemple.

Taille du marché obligataire produisant des rendements négatifs (courbe grise) et cours de l’once d’or en dollar (courbe orange, échelle de droite)

Source: Financial Times

Nous maintenons notre positionnement équilibré à l’entame de 2020: actions proches du point neutre, sous-pondération des obligations (toujours avec le même mix crédit, dette émergente en dollar et souverain), et sur-pondération des actifs réels (or et immobilier). A nos yeux, les principaux risques pour 2020 sont d’ordre politique (intensification de la crise au Moyen-Orient ou mauvaise humeur présidentielle générant de nouveaux tarifs douaniers par exemple), financier (chocs techniques comme le levier sur les opérations d’arbitrage sur les bons du Trésor US, recul des bénéfices d’entreprise) ou encore sanitaire comme nous le voyons actuellement. Nous pensons qu’un durcissement monétaire ou un dérapage inflationiste ne sont pour l’heure (et probablement pour longtemps) pas dans les cartes. Les performances attendues sur toutes les classes d’actifs pourraient être encore positives en 2020, mais largement inférieures à celles de la cuvée 2019.

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