Le régulateur de cryptoactifs le plus entreprenant

Cyril Gomez

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La Suisse a très tôt compris l’importance d’un cadre réglementaire transparent et exigeant. Le point avec Patrick Heusser de Crypto Broker.

Depuis le rebond très remarqué de 15% de Bitcoin (BTC) le 26 octobre dernier, celui-ci a (encore) reflué de plus de 25% (au 3 décembre) à un peu plus de 7200 dollars. Fin octobre, le chef d’État chinois, Xi Jinping, avait exhorté son pays à «considérer la blockchain comme une percée importante pour l’indépendance de l’innovation technologique». Ce que les marchés avaient alors hâtivement interprété comme un signal acheteur pour les cryptomonnaies.

Mais le momentum était de très courte durée, à l’instar de ce qui avait observé entre décembre 2017 et janvier 2018. Les investisseurs ont en effet compris que Pékin n’était favorable qu’aux blockchains et non aux cryptomonnaies. La banque centrale chinoise a en effet rappelé aux marchés leur relative aversion du trading de cryptomonnaies sur leur territoire. 

«Nous continuerons de maintenir une situation de forte pression et adopterons des mesures de surveillance, telles que des entretiens, des inspections et des interdictions pour surveiller les institutions participant aux activités en monnaie virtuelle afin de résoudre en temps voulu les risques associés», a assuré l’institut monétaire il y a quelques jours.

«Il est important de faire la distinction entre les cryptomonnaies, d’un côté,
et les monnaies numériques et paiements électroniques, de l’autre.»

«Les Chinois n’ont jamais été favorables aux cryptomonnaies», explique Patrick Heusser, Senior Crypto Currency Trader chez Crypto Broker, filiale de la holding Crypto Finance basée à Zoug. «Il est important de faire la distinction entre les cryptomonnaies, d’un côté, et les monnaies numériques et paiements électroniques, de l’autre», poursuit Patrick Heusser dans un entretien avec Allnews. Expliquant que la Chine soutient depuis quelques années le processus de numérisation de leur devise nationale, le renminbi.

«Fin octobre, Pékin s’est contenté de souligner qu’il est en effet favorable à la blockchain, mais pas aux cryptomonnaies», remarque Patrick Heusser. «Et pour peu que vous creusiez plus à fond ses déclarations, vous vous rendrez compte que même au niveau de la blockchain, la Chine n’envisage même pas la possibilité des blockchains sans permission, mais uniquement les blockchains permissionnées ou privées, telles que l’architecture Corda développée par R3.» 

Il n’est en effet pas requis dans une blockchain publique telle qu’Ethereum de fournir son identité, de sorte que les transactions demeurent anonymes. «Selon moi, la Chine saisit tout-à-fait les avantages liés à des blockchains permissionnées pouvant être utilisées dans le cadre d’un renminbi numérique, ce qui lui permettrait de mieux superviser ou contrôler sa devise», estime le trader de Crypto Broker.

Ceci étant dit, la Chine est loin d’être le seul facteur déterminant de l’adoption des cryptomonnaies et des actifs cryptographiques en général. Dans son étude publiée au début du mois de novembre, SEBA Bank, qui a obtenu en août de cette année une licence bancaire octroyée par la FINMA, recense au moins trois éléments fondamentaux caractérisant un environnement de marché cryptomonétaire propice à l’investissement institutionnel. Éléments qui ne diffèrent guère de ceux qui caractérisent les marchés financiers traditionnels.

A savoir, en premier lieu, la qualité des infrastructures. C’est-à-dire la présence d’acteurs offrant des services régulés et sophistiqués, tels que les services de trading, de dépôt («custody») et de prêts. Vient ensuite la réglementation, qui «établit des règles de navigation» claires. Puis, reposant en grande partie sur ces deux éléments, le troisième réside dans la conscience et l’intérêt publiques, d’où découle la demande. En ce sens, estime SEBA Bank, la Suisse figure «au haut de la liste des pays offrant le degré de certitude et de transparence réglementaires le plus élevé».

De fait, l’avenir du négoce des actifs cryptomonétaire repose en grande partie sur l’identification des parties, condition sine qua non pour la possibilité même d’une régulation viable. «Afin d’être en conformité avec la règle de voyage (Travel Rule) formulée par le Groupe d’Action Financière (GAFI) entourant les transferts entre un fournisseur de services d’actifs virtuels (VASP) et l’entité requérante, certains détails doivent être communiqués», précise Patrick Heusser.

«Avons-nous besoin de toutes ces cryptomonnaies? Pas vraiment…»

«Le nom, le numéro de compte, l’adresse physique, le numéro national d’identité ou numéro d’identification du client, ainsi que la date de naissance et le numéro de compte du bénéficiaire doivent connues et confirmées par le régulateur afin de satisfaire les exigences réglementaires de reporting», énonce le trader. En termes d’infrastructures, notons qu’il existe plus de 300 plateformes d’échanges de cryptomonnaies dans le monde et toutes sont loin de répondre aux critères des investisseurs institutionnels.

Ce qui ne signifie pas que les plateformes non régulées finiront nécessairement par disparaître. «Dans la finance traditionnelle, il existe aussi ces deux catégories de plateformes, celles dédiées aux investisseurs institutionnelles et celles conçues pour les investisseurs privés. Elles peuvent toutes deux coexister. Il est possible que sur le long terme ces plateformes se consolident, aussi bien dans le segment institutionnel que privé.»

En revanche, Patrick Heusser estime peu probable que toutes les cryptomonnaies, dont le nombre dépasse actuellement 1500, aient des chances de survie sur le long terme. «Avons-nous besoin de toutes ces cryptomonnaies? Pas vraiment… La plupart des coins ne figurant pas dans la liste des 50 principales monnaies ne jouissent pas d’une liquidité suffisante», observe le trader suisse. 

Qui ajoute qu’un nombre important de cryptomonnaies sont hautement corrélées, de sorte qu’elles ne fournissent aucun effet de diversification entre elles, bien qu’elles puissent offrir une diversification par rapport aux autres classes d’actifs. «Il revient à chaque investisseur d’analyser chacune d’entre elles pour juger de leur éligibilité au sein d’un portefeuille. Ceci est valide aussi bien pour les investisseurs institutionnels que privés», insiste Patrick Heusser.

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