Le poids des mots

Valérie Plagnol, Vision & Perspectives

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L’humeur des investisseurs est-elle guidée par les médias et plus encore par leur ton? Une étude du FMI nous offre quelques clés d’interprétation.

C’est une recherche de longue haleine, menée entre 1995 et 2015, et de grande ampleur car elle porte sur 4,5 millions d’articles Reuters, que présente le FMI pour étayer son étude1. Son intérêt vient également du fait qu’elle porte sur un large échantillon de pays, développés et émergents. Ses conclusions sont édifiantes. Sont-elles pour autant surprenantes?

Constatons tout d’abord que la masse des informations collectées et étudiées a littéralement explosé ces quelques 25 dernières années. C’est ce que j’appellerais l’effet CNN, de l’information continue. On se souvient du choc des images provoqué par la diffusion en continu des reportages de la chaîne d’information américaine lors de la première guerre d’Irak. Sortie du cadre feutré des salles de marchés et de la presse spécialisée pour initiés, l’information économique et financière a aussi gagné les grands medias audio et télévisuels, auxquels se sont ajoutés les médias sociaux depuis une dizaine d’années. Et bien entendu, la technologie a accru la vitesse de propagation et l’étendue de la diffusion de ces informations.

Le poids de l’information n’est pas tout à fait le même
suivant la position du marché dans le cycle.

A travers la compilation de termes «optimistes» ou «pessimistes», permis par les progrès des traitements du langage, l’étude nous renseigne principalement sur l’influence croissante et même prédominante des nouvelles de dimension internationale sur les mouvements de marchés, par rapport aux informations plus locales. Ainsi, un changement brusque du flux d’information génère une hausse (optimisme), ou une baisse (pessimisme) de près de 25 points de base sur un marché, c’est-à-dire un mouvement 5 fois plus important qu’une simple nouvelle locale. De même, l’impact de cette nouvelle est 2 à 3 fois plus durable (1 à 3 semaines). Ainsi, le prix des actions comme les flux internationaux des capitaux, notamment en direction des marchés émergents, sont mus de la même manière et dans les mêmes proportions que les flux d’informations.

Cependant, quelques asymétries de comportement apparaissent. Le poids de l’information n’est pas tout à fait le même suivant la position du marché dans le cycle. Une nouvelles négative sera d’autant plus marquante (en fait 4 fois plus) qu’elle sera reçue dans un «bear market». Les marchés seraient donc plus sensibles au flux d’informations dans un marché baissier qu’en phase haussière. En outre, la nature et la provenance des informations n’est pas tout à fait la même non plus. Un marché haussier se nourrit tout particulièrement des nouvelles économiques et d’entreprises. Le «fil» des nouvelles en provenance des Etats-Unis y tient une place prépondérante. Un marché baissier prête plus volontiers l’oreille aux nouvelles économiques et aux risques géopolitiques, qui, dans ce cas-là touchent particulièrement les marchés émergents.

Il est intéressant de noter combien l’Amérique conserve une influence
prédominante sur les flux de nouvelles et sur les marchés.

Ainsi, le ton des médias, l’ampleur de la diffusion des nouvelles influent directement et sûrement le sentiment des investisseurs. Grâce aux nouvelles technologies  (big data, traitement du langage), les chercheurs du FMI affirment avoir mis au point un indicateur de suivi du sentiment des marchés qui «prédit avec plus d’exactitude que l’indice VIX, les fluctuations à venir des prix des actifs internationaux».

Outil supplémentaire et fin de «surveillance des marchés»: doit-on s’étonner pour autant de ces conclusions? L’ouverture des marchés de capitaux, l’inclusion de grands marchés émergents, le flottement généralisé des monnaies, et l’accès des fonds à toutes sortes de supports d’investissement dans un contexte de recherche de rendements, le trading à haute fréquence, sont autant de facteurs de standardisation des comportements des investisseurs. C’est dans ce contexte que l’information économique et financière circule elle aussi de plus en plus vite.

Il est aussi intéressant de noter combien l’Amérique conserve un poids et une influence prédominante sur les flux de nouvelles et par voie de conséquence sur les marchés. Pas étonnant que les tweets de Trump saturent les marchés. Mais cela ne va pas sans risques. En effet, depuis plusieurs années déjà, le FMI se penche parallèlement sur l’utilité de remettre en place – même de manière limitée – des mesures de contrôle des capitaux. Il s’agit de limiter les conséquences de la forte volatilité de ces  flux de capitaux, qui peuvent s’avérer nocifs pour le développement à long terme des économies les plus tributaires de ces financements.

L’analyse du sentiment des investisseurs en nous renseignant mieux sur leur humeur, peut conférer un peu d’avance. Mais dans cette exaspération du consensus, on peut légitimement se demander où sont passés les contrariants.

 

1 IMF Research Department working paper «Media sentiment and International Asset Prices», Samuel P. Fraiberger, Do Lee, Damien Puy, Romain Rancierre, December 2018

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