Le lourd passif des banques centrales

Emmanuel Ferry, Banque Pâris Bertrand

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Dix années de mesures massives d’assouplissement monétaire ont créé des effets pervers, qui seront les vecteurs de la prochaine crise financière.

La décennie écoulée a connu un cycle exceptionnel d’assouplissement monétaire de la part des banques centrales à la fois massif, non orthodoxe et, sinon coordonné, du moins calé sur un même objectif, à savoir éviter une mutation de la crise financière globale en spirale déflationniste. Dix ans après, il est toujours prématuré de dresser un bilan: le système financier demeure vulnérable à toute tentative de normalisation et l’économie mondiale passe d’une crise à l’autre sans vraiment retrouver un fonctionnement normal. Le lourd passif des banques centrales peut se faire en sept points.

  1. L’abaissement des taux d’intérêt à zéro, voire en territoire négatif, n’a pas stimulé les dépenses d’investissement. La persistance de cette trappe à liquidité est un constat d’échec.
  2. Les banques centrales ont reflaté avec succès l’ensemble des actifs financiers, éloignant dès lors le spectre déflationniste. Mais il faut remonter à la fin des années 20 pour avoir simultanément des records de valorisation à la fois sur les actions et les obligations. Cela augmente le caractère systémique d’une forte correction des marchés.
  3. Les banques centrales ont créé un aléa moral sur les marchés financiers, conduisant à une mauvaise allocation du capital et une forte préférence pour le rendement à n’importe quel prix.
     
     Les marchés financiers ne rémunèrent pas correctement le risque.
  4. L’action des banques centrales, combinant réduction des taux d’intérêt et injection de liquidités, a apporté une assurance de portefeuille aux investisseurs. Cette convexité a contribué au développement de la gestion passive au détriment de la gestion active. Cela affecte le processus de formation des prix des actifs et suscite des chocs ponctuels de marché (flash crash). Cette assurance de portefeuille mutualisée crée un aléa moral mais a un coût élevé (diminution de la rémunération de l’épargne liquide).
  5. Malgré le cycle d’appréciation des actifs financiers, il n’y a pas eu de retour de l’appétit pour le risque. Les marchés financiers ne rémunèrent pas correctement le risque. Les investisseurs favorisent les actifs de rendement et de qualité (valeur refuge). Cela se traduit par une bulle record des actifs de qualité, qui est plutôt compatible avec une grave crise financière.
  6. Le maintien des taux d’intérêt à un bas niveau et l’écrasement de la volatilité sont une incitation à s’endetter. Les Etats n’ont pas été incités à réduire leurs déficits et à faire des réformes structurelles. Les entreprises ont été incitées à racheter leurs actions en émettant de la dette. Cette relution artificielle conduit à abaisser les perspectives de croissance à long terme et crée une déconnexion entre valorisation actuelle (élevée) et future (faible).
  7. Enfin, il est reproché aux banques centrales d’avoir contribué à creuser les inégalités patrimoniales, alimentant largement le populisme.

Qu’ils soient justifiés ou non, les griefs portés à l'encontre de l’action des banques centrales risquent de conduire à une remise en cause des acquis des dites-banques centrales, que sont l’indépendance vis-à-vis du pouvoir politique et la crédibilité vis-à-vis des agents économiques et des marchés financiers. La nouvelle génération de banquiers centraux aura donc la lourde responsabilité de tenter de sauvegarder le modèle monétariste.

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