La voie de la guérison – Weekly note de Credit Suisse

Burkhard Varnholt, Credit Suisse

5 minutes de lecture

Et pourtant, elle se redresse! Monnaie hélicoptère: dépenser sans compter. Signes d’espoir.

Lorsque des voix préoccupées par la crise et l’économie s’élèvent, nous interrogeons les marchés, car ils livrent de nombreuses informations permettant de se forger une opinion. Voilà pourquoi nous étudions des faits et des chiffres, nous demandant dans quelles conditions les bénéfices, les valorisations et les plans de sauvetage nous mèneront sur la voie de la reprise économique. Les mesures budgétaires helvétiques se démarquent à cet égard.   

Et pourtant, elle se redresse!

Dans les périodes d’adversité, il semble inévitable qu’un expert donne son avis à chaque coin de rue (ou plutôt sur chaque site web). Certains économistes prédisent un effondrement, d’autres une hyperinflation comme celle qui a sévi en Allemagne de 1914 à 1923. Du calme! «Tamensi movetur!», en français: «Et pourtant, elle se meut!» aurait affirmé Galilée avec force à propos de la terre alors qu’il défiait le tribunal de l’Inquisition il y a quelque 400 ans. Mais c’est en fait son contemporain, Giordano Bruno, condamné pour hérésie, qui a prononcé cette phrase sur le bûcher, plaçant toute sa confiance dans les lois de la nature. L’économie mondiale obéit elle aussi à ses propres lois, indépendamment de ce que certaines personnes croient ou voudraient faire croire. Elle ne s’effondre pas si aisément, notamment grâce aux niveaux élevés de la quote-part de l’État [46% en Europe et 38% aux États-Unis selon l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE)], à la solidité des institutions et aux planchers records des taux d’intérêt, lesquels facilitent le service de la dette des plans de sauvetage actuels. Mais en période d’incertitude, les marchés financiers eux-mêmes sont souvent le meilleur point de départ pour une évaluation plus précise de la situation. En effet, ils sont efficaces, parce qu’ils condensent les opinions de tous les acteurs en temps réel.

La connaissance des groupes

Le Professeur Jack Treynor (1930-2016), l’un des pionniers de la théorie moderne des marchés financiers, plaçait généralement la capacité d’analyse des marchés et des groupes au-dessus de celle des individus. Un jour, il a illustré son hypothèse en se livrant à l’expérience suivante: présentant un bocal de 850 bonbons à un groupe de 56 étudiants, il leur a demandé d’en estimer le nombre. Le chiffre moyen articulé par le groupe s’est élevé à 871, alors qu’un seul étudiant a fait une meilleure estimation1.  

Anticipations des marchés

Par conséquent, voyons comment les marchés anticipent la baisse des bénéfices des entreprises et de la performance économique. Pour ce faire, comparons ces deux facteurs avec ceux de la grande crise financière (2007-2009).

Il y a peu de temps encore, les marchés boursiers attendaient une contraction de 4,5% de l’économie mondiale et un recul des chiffres d’affaires de l’ordre de 28 à 50%, soit des valeurs nettement supérieures à celles de la récession de 2008/2009. Cependant, une reprise plus rapide qu’à l’époque n’est pas exclue. Le tableau 1 donne davantage de détails.

À titre de comparaison: crise financière et récession 2007-2009

À titre de comparaison, étudions la grande crise financière de 2007 à 2009 de son plus haut à son plus bas. À l’époque, la récession a duré nettement plus longtemps que ce que nous anticipons actuellement dans le sillage de la pandémie de coronavirus, premièrement parce qu’elle a été précédée d’une crise financière, deuxièmement parce que la réponse politique s’est fait attendre beaucoup plus longtemps, et troisièmement parce que les plans de sauvetage ont été nettement moins généreux qu’aujourd’hui.

Étudions également le récent redressement de l’indice chinois des directeurs d’achats. Même si nous analysons ces chiffres avec une grande circonspection, ils étayent l’hypothèse selon laquelle l’économie mondiale pourrait se ressaisir en peu de temps si nous parvenions à maîtriser rapidement la situation actuelle.

Davantage d’ours que de taureaux

Et voici un autre indicateur anticyclique révélateur de la situation en bourse: actuellement, ce sont les ours qui dominent les marchés, alors que ces derniers étaient généralement acheteurs dans de telles périodes par le passé.

Processus de guérison 2020/2021

Aux États-Unis, nous attendons en 2020 une chute des bénéfices par action de 163 à 125 USD au sein du S&P 500 (voir le graphique 6), mais il nous semble plausible que ceux-ci puissent se redresser à 150 USD en 2021. Cette évolution, étudiée sur une base trimestrielle, correspond en grande partie aux attentes du marché. 

Voilà qui soulève la question des ratios cours/bénéfices (PER) avec lesquels les bénéfices par action seront évalués à l’avenir. Supposons que les PER passent de 17,6 au début de 2021 à 14,4 en fin d’année, ce qui impliquerait un objectif de cours d’environ 2’700 (en 2020) et de 3’100 (en 2021) pour l’indice S&P 500 (il s’agit là d’hypothèses prudentes). Étant donné le niveau quasi nul des taux d’intérêts, les PER pourraient se redresser plus rapidement. Le facteur déterminant à cet égard sera la vitesse à laquelle l’économie pourra se libérer de l’emprise de la pandémie.

Pour illustrer cette réflexion, nous vous présentons notre scénario de reprise de façon graphique et numérique:



Monnaie hélicoptère: dépenser sans compter

Selon nos calculs, les États ont préparé des enveloppes de sauvetage budgétaire et monétaire d’un montant total de plus de 12’000 milliards de francs à travers le monde, un tiers de cette somme étant débloqué aux États-Unis. D’un point de vue économique, on peut en partie parler d’argent hélicoptère, cela ne s’opposant pas au fait que certains prêts individuels sont soumis à des conditions et qu’ils devront être remboursés ultérieurement. Les volumes convenus, en principe illimités, et les très longues périodes de remboursement correspondent aux principales caractéristiques de la monnaie hélicoptère. Ils s’expliquent d’une part par les taux d’intérêt nuls et, d’autre part, par la volonté des banques centrales de stocker patiemment les obligations dans leurs bilans. C’est notamment pour cette raison, nous le répétons, que les plans d’aide seront suffisants.

Le graphique 7 illustre l’ouverture des vannes monétaires en prenant pour exemple la Réserve fédérale américaine (Fed), laquelle a acquis la semaine dernière, pour la première fois de son histoire, un véhicule spécialement créé pour l’occasion qui réunit des obligations d’entreprise investment grade des marchés primaire et secondaire, gonflant ainsi son bilan à 5’200 milliards de dollars (contre 4’000 milliards auparavant). Si elle maintient cette cadence d’achats, le total de son bilan devrait doubler en l’espace d’un mois, pour atteindre 8’000 milliards de dollars.

En achetant des obligations d’entreprise, la Fed emboîte le pas pour la première fois aux banques centrales japonaise et européenne, lesquelles acquièrent de tels titres depuis un certain temps déjà. Ce faisant, elle est loin d’avoir épuisé toutes ses munitions. En effet, le total de son bilan correspondait à 25% du PIB américain avant la crise, contre 1,2 fois le PIB helvétique dans le cas de la Banque nationale suisse (BNS). Si la Fed poursuit ses achats au rythme actuel, le total de son bilan atteindra probablement quelque 50% de la performance économique américaine après la crise.

Comme nous l’avons mentionné, pratiquement toutes les banques centrales du monde ont réagi à la pandémie. En outre, les grandes nations ont adopté des mesures budgétaires gigantesques pour protéger leur économie. Le graphique 8 compare les actuels plans d’aide nationaux exprimés en pourcentage du PIB avec les dispositions de sauvetage prises lors des récessions de 2008/2009 et de 2001/2002.

La comparaison des plans de sauvetage internationaux fait ressortir deux choses. Premièrement, les mesures prises aujourd’hui correspondent à un multiple de celles adoptées lors des deux dernières récessions, ce qui permet d’espérer que le marasme actuel sera suivi d’une reprise plus rapide et que les préjudices pourraient être également moins importants que ne le craignent certains. 

Mesures de soutien exemplaires en Suisse

Deuxièmement, on remarque que les plans de sauvetage helvétiques semblent modérés en comparaison internationale. La Suisse ferait-elle trop peu pour protéger son économie? Non. En effet, comme toujours dans la vie, ce n’est pas seulement la quantité qui compte, mais aussi l’efficacité. Dans le cas présent, le concept difficile à mesurer de l’efficacité des aides gouvernementales d’urgence peut être évalué sur la base de trois critères: 1) rapidité, 2) ciblage, 3) durée. Étudions les mesures de soutien helvétiques (dont mes collègues Maxime Botteron, Franziska Fischer et Emilie Gachet ont récemment établi une précieuse vue d’ensemble) à l’aune des critères suivants:

  1. Rapidité. Aucun pays occidental n’a agi aussi vite que la Suisse – du concept jusqu’à la mise en œuvre. Les crédits-relais garantis par la Confédération ont été versés aux PME helvétiques par les banques en l’espace d’une semaine seulement. Tous ceux qui ont été les témoins directs de cette coopération intelligente, pragmatique et engagée entre les autorités fédérales et cantonales et toutes les banques suisses ont été profondément impressionnés par cette performance. Chapeau!
  2. Simplicité. Le plan de sauvetage s’est principalement appuyé sur des structures connues et éprouvées: registres du commerce numériques, chômage partiel, relations bancaires existantes.
  3. Ciblage. Une déclaration plausible d’avoir subi un préjudice économique direct à cause de la pandémie était la seule condition préalable au versement d’un prêt d’urgence.
  4. Efficacité. Le traitement des crédits-relais par les banques commerciales suisses est probablement le meilleur moyen de garantir l’efficacité et le ciblage, d’autant plus que ces banques doivent elles-mêmes supporter 15% des risques de défaillance pour les gros prêts.
  5. Caractère transitoire. Les crédits-relais ne sont accordés que pendant l’état d’urgence. Le soutien du chômage partiel est limité à douze mois.

Constat: bien que la Suisse soit probablement le pays le plus mondialisé d’Europe et qu’elle soit particulièrement affectée par la pandémie, elle a relativement bien soutenu son économie. C’est ce qui explique notamment notre préférence pour les actions helvétiques, lesquelles affichent la troisième meilleure performance depuis le début de l’année en comparaison internationale (sur la base de tous les indices MSCI d’après Thomson Reuters) avec un repli de 13,3% «seulement», derrière la Chine (-12,1%) et le Danemark (-6,7%). 

À titre de comparaison: les actions de la zone euro s’inscrivent à -27,9% et les actions américaines à -23,6% depuis le début de l’année, les plus mauvaises performances au niveau régional étant signées par l’Asie (-18,3%) et l’Amérique latine (-36,1%) sur la même période.

Signes d’espoir

Y a-t-il des raisons d’espérer? Qui sait? Certains experts font état de facteurs positifs, d’autres se concentrent sur les points négatifs. Il semble certain que le nombre d’infections et de décès va continuer à augmenter, mais nous avons également vu la semaine dernière que les taux moyens de contamination et de mortalité se stabilisaient dans les pays les plus touchés. Selon Mike Ryan, responsable des programmes sanitaires d’urgence de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), il se pourrait que la pandémie atteigne bientôt son pic en Europe2. Une étude réalisée par la faculté de médecine de l’Université de Washington attend un pic à la mi-avril aux États-Unis et une baisse des taux de décès en dessous de dix par jour en juin3.

Tôt ou tard, le développement effréné de traitements, de vaccins, de tests et d’équipements médicaux devrait permettre de surmonter la pandémie. Les responsables de l’entreprise pharmaceutique américaine Abbott Laboratories pensent être parvenus à mettre au point un test de dépistage qui donne un résultat fiable en cinq minutes si le patient est positif au coronavirus et en treize minutes s’il est négatif4. En Suisse, Roche élabore des tests similaires. Et la liste devrait s’allonger. De manière générale, les spécialistes étudient l’efficacité a) des antiviraux existants et nouveaux, b) des immunomodulateurs et c) des médicaments pour les maladies pulmonaires5. Autant de raisons d’espérer.

En raison des vacances de Pâques, la prochaine Weekly note sera publiée le vendredi 17 avril.

1 http://wisdomofcrowds.blogspot.com/2009/12/jelly-bean-experiment.html
2 https://www.bloomberg.com/news/articles/2020-03-30/who-says-coronavirus-outbreak-in-europe-maybe-approaching-peak
3 https://www.reuters.com/article/us-health-coronavirus-usa-forecast/coronavirus-could-kill-81000-in-u-ssubside-in-june-washington-university-analysis-idUSKBN21E00Z
4 https://eu.usatoday.com/story/news/health/2020/03/28/coronavirus-fda-authorizes-abbott-labs-fast-portable-covid-test/2932766001
5 https://www.vfa.de/de/arzneimittel-forschung/woran-wir-forschen/therapeutische-medikamente-gegen-die-coronavirusinfektion-covid-19

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