La société paie déjà un prix élevé pour le changement climatique

Yves Hulmann

2 minutes de lecture

Joseph Stiglitz, prix Nobel, et Stefano Battiston (photo), finance durable de l’UZH, ont souligné la nécessité de mieux coordonner les efforts.

«Nous payons déjà un prix élevé pour le changement climatique», estime Joseph Stiglitz. ©Keystone

Un auditoire plein à craquer et un public très varié, constitué aussi bien d’étudiants, de professionnels de la finance que de simples curieux. A l’occasion du lancement de son nouveau centre de compétence pour finance durable («Center of Competence for Sustainable Finance», ou CCSF), l’Université de Zurich a fait salle comble jeudi soir en invitant Joseph Stiglitz. Le professeur à l’Université de Yale et titulaire du Prix Nobel d’économie en 2001 a profité de l’occasion pour plaider en faveur d’une meilleure prise en compte des véritables coûts résultant du changement climatique et pour livrer quelques-unes de ses recommandations.

Attention aux risques liés aux actifs échoués

Premier constat, les marchés financiers ne pas très doués pour anticiper les crises financières. Ils ne l’ont pas fait avant l’éclatement de la crise des «subprimes» en 2007 - et il y a peu de chances qu’ils prennent en compte correctement les risques à venir liés au changement climatique. «Certains préfèrent ignorer ces risques jusqu’au moment où ce n’est justement plus possible. C’est un peu ce qui se passe en Australie actuellement», a-t-il cité en exemple. Selon lui, les prix de certains actifs pourraient changer soudainement et il y aura certainement beaucoup d’actifs échoués, ou «stranded assets» en anglais, si certaines compagnies pétrolières ne peuvent plus valoriser leurs réserves.

Pourquoi les marchés ne sont-ils pas capables d’appréhender cette problématique? Selon le professeur américain, le changement climatique représente un «exemple de quintessence des externalités» qui ne sont prises en compte par les acteurs économiques. Il est selon lui évident que les marchés n’intègrent pas suffisamment la dimension d’«intertemporalité dans la fonction d’utilité». Les coûts sociaux des émissions de CO2 ne sont ainsi pas correctement pris en compte dans les prix de certains biens. Cette situation est, selon lui, encore renforcée par «l’idéologie de la non intervention de l’Etat», très marquée aux Etats-Unis en particulier.

L’innovation jouera certes un rôle clé pour freiner le changement climatique et atténuer son impact. Toutefois, si une hausse prix - par exemple, la fixation de tarifs plus élevés par tonne de CO2 - peuvent contribuer à réduire les externalités, on ne peut pas compter sur ce seul facteur d’incitation. «L'action ne peut pas se limiter à de seules interventions sur les prix», souligne-t-il. Au contraire, la question du changement climatique doit être abordée aussi sous l’angle de la réglementation, qu’il s’agisse des règles s’appliquant aux entreprises, celles en matière de publication ou des obligations fiduciaires.

Assez de capital et de force de travail sont disponibles

Par ailleurs, si l’attention du public est souvent concentrée sur les coûts supplémentaires liés à la transition énergétique, on sous-estime souvent ceux qui résultent lors de la survenance d’événements climatique extrêmes, qui atteignent parfois jusqu’à 2% du produit intérieur brut de certaines économies. «Nous payons déjà un prix élevé pour le changement climatique», estime Joseph Stiglitz.

«Indispensable de miser davantage sur l’interdisciplinarité pour faire progresser la recherche» selon Stefano Battiston.

C’est pourquoi le professeur plaide en faveur d’investissements beaucoup plus conséquents pour contrer ce changement. «On entend souvent dire que nous avons trop de forces de travail et trop de capital inutilisé. Et quand on aborde la question du changement climatique, soudainement certains affirment que nous n’avons pas assez de ces ressources à disposition», a-t-il ironisé. Pour la finance, le véritable défi sera donc d’orienter l’épargne de long terme vers les besoins d’investissements à long terme qui se rapportent à la transition énergétique.

Miser sur l’interdisciplinarité dans la recherche

Et quel rôle peut jouer la recherche? Lors d’un panel de discussion, Joseph Stiglitz et Stefano Battiston, professeur en finance à l’Université de Zurich, ont déploré que l’économie et la finance ne se soient pendant longtemps pas suffisamment préoccupées des questions liées au changement climatique.

Aux yeux de Stefano Battiston, il sera indispensable de miser davantage sur l’interdisciplinarité pour faire progresser la recherche dans ce domaine, laquelle doit pouvoir être absolument indépendante. C’est du reste un des buts poursuivis par le nouveau centre de compétence en finance durable (CCSF) qui se donne pour objectif de permettre une «recherche interdisciplinaire de classe mondiale».

A lire aussi...