La recherche économique, un bastion macho?

Valérie Plagnol, Vision & Perspectives

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La science économique bien loin des préceptes qu’elle promeut, compte bien trop peu de femmes en son sein.

Lectrice assidue et attentive du magazine The Economist, je remarque que, pour la troisième fois en quelques mois, celui-ci consacre des articles de fond à l’absence – ou du moins à l’insuffisance critique – de femmes au plus haut niveau de la recherche académique en économie. Et à combien il est urgent d’y remédier. Le recrutement de chercheuses est insuffisant et beaucoup se plaignent de réelles discriminations.

C’est aujourd’hui une enquête de l’American Economics Association1 qui fait froid dans le dos. Elle révèle qu’interrogées, une très large majorité des femmes de la profession affirment avoir été victimes de harcèlement et de discrimination au cours de leur carrière. L’Association – dont l’ancien, l’actuel et la prochaine présidente ne sont rien moins que MM. Olivier Blanchard, Ben Bernanke et Mme Janet Yellen –, dénonce des pratiques qui vont d’actes d’abus de pouvoir manifestes à des formes plus subtiles de marginalisation.

Les femmes ne représentent qu’un tiers des doctorants
et moins de 15% des professeurs d’université.

Dans tous les compartiments du sondage, l’écart entre femmes et hommes dans leurs évaluations est particulièrement criant: 20% d’entre elles se déclarent satisfaites de leur carrière contre 40% des hommes. Plus inquiétant encore, 48% des femmes déclarent avoir été victimes de discriminations contre 3% des hommes. Et cela commence dès la fac: 18% des femmes (contre 7% des hommes) considèrent avoir été défavorisées dans leur capacité à trouver un poste d’assistante de recherche – souvent la première marche pour mener un projet de doctorat valorisant. 22% (contre 7% des hommes) ont été mal conseillées, et 35% enfin (contre 14%) ont rencontré des difficultés d’embauche à l’issue de leurs études. Plus généralement les femmes font part, à une très large majorité, du manque de respect pour leurs contributions et d’un dénigrement systématique du travail présenté, qui se manifestent souvent par des questions volontiers insultantes et humiliantes lors de communications publiques.

Le phénomène, on le sait, n’est pas propre aux Etats-Unis, ni à cette profession. Les statistiques, l’outil par excellence des économistes, sont accablantes. Les femmes ne représentent qu’un tiers des doctorants et moins de 15% des professeurs d’université. Pour l’Europe, un rapport de 2019 du ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche, dresse un tableau semblable: 10% de plus de diplômées de l’enseignement supérieur mais presque 30% de moins de femmes enseignants chercheurs. On le sait, le déficit de femmes dans les sciences dites «dures» – maths, physique, informatique et sciences de l’ingénieur – est une longue histoire. Il en est de même au plus haut niveau de la science et de la recherche économique. Ce qui inquiète, c’est que cet écart ne semble pas se réduire avec le temps, – ce qui n’est pas le cas d’autres domaines d’études menacés de surféminisation. Comment se fait-il que les femmes y soient le plus souvent découragées, moins promues?

Le manque de diversité dans ce domaine constitue
un coût d’opportunité et une perte de valeur certains.

Il existe de nombreuses preuves que les contributions scientifiques des femmes font l’objet d’évaluations plus sévères, ou qu’elles reçoivent moins de crédit que celles de leurs collègues masculins, dans le cadre de communications collectives. Apparait alors l’autocensure: l’enquête de l’AEA souligne que 46% des femmes sondées se sont abstenues d’intervenir lors d’un colloque de peur d’être «mal vues» contre 18% des hommes. Dérive supplémentaire, les femmes auraient tendance à cantonner leurs travaux à des domaines moins «en vogue» ou plus marginaux, donc moins valorisés par la communauté scientifique, recevant de ce fait moins d’écho public. Je ne fais que rappeler ici le scenario d’une spirale pernicieuse: découragement, dénigrement, désenchantement.

Comportements inappropriés, jugements biaisés, promotions rares, rémunérations inférieures sont autant de pratiques qui entachent la profession. Un état de fait d’autant plus outrageant qu’il s’agit d’un domaine où les chercheurs sont prompts à énoncer et recommander l’appoint des femmes dans la population active comme une contribution majeure à la croissance et à la productivité, sans pour autant en tirer les conséquences pour eux-mêmes. «Faites ce que je dis, pas ce que je fais», encore et toujours… Le manque de diversité dans ce domaine constitue un coût d’opportunité et une perte de valeur certains.

Bien sûr, les choses changent et quelques femmes atteignent enfin les sommets de la profession et y gagnent respect et considération au même titre que leurs collègues masculins. Il est toutefois difficile de corriger les comportements sans craindre en retour trop d’indulgence, ou encore le confinement par peur d’accusations de harcèlement. Mais ces arguments sont aussi une bonne excuse pour rester dans le déni. En attendant, l’American Economics Association s’est dotée d’un code de bonne conduite visant à corriger toutes les pratiques discriminatoires.

La science économique est bien celle qui est en principe la mieux équipée pour mesurer ces écarts, en analyser les racines, proposer et mettre en œuvre les solutions les plus appropriées. Il est grand temps de se rappeler que charité bien ordonnée commence par soi-même.

 

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