La gestion des risques au coeur des préoccupations

Masja Zandbergen, Robeco

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Dix ans après Lehman Brothers, il est intéressant de se pencher sur le rôle clé que joue la gouvernance au sein du secteur bancaire.

 

Comme le temps passe vite... La crise financière internationale a débuté le 15 septembre 2008, soit il y a 10 ans. Elle a été marquée par un effondrement des marchés mondiaux après que Lehman Brothers soit placé à cette même date sous la protection du Chapitre 11 de la loi américaine sur les faillites. Je tiens à préciser que ce krach boursier n’a pas été le premier de ma carrière puisque j’ai connu la crise asiatique et l’éclatement de la bulle des valeurs Internet.

En revanche, les répercussions de ce krach, qui a marqué le début de l’une des plus graves crises financières de l’histoire contemporaine, ont été beaucoup plus étendues que celles de ces deux autres lourdes corrections boursières. J’ai l’espoir que la communauté financière ait tiré les leçons de cette expérience... qui a manifestement influé sur le regard que nous portons sur le secteur de la finance du point de vue de la gestion de vos investissements.

L’adéquation des structures de rémunération liée à la performance
restent au cœur de notre politique de vote.

Dans cette chronique, j’exprimerai notre opinion sur la gouvernance d’entreprise dans le secteur financier et détaillerai la raison pour laquelle nous engageons le dialogue avec les banques sur les questions ESG.  

Les répercussions profondes de la gouvernance

Hormis ses conséquences importantes et immédiates, la crise a donné lieu à de sérieux débats sur le rôle qu’ont joué les pratiques déficientes de gouvernance d'entreprise dans le krach boursier. Dix ans après la faillite de Lehman Brothers, la composition des conseils d’administration et l’adéquation des structures de rémunération liée à la performance restent au cœur de notre politique de vote.

L’incapacité des conseils d’administration à suffisamment bien identifier et gérer les risques a été considérée comme l’un des facteurs ayant contribué à la crise financière, soulignant ainsi la forte matérialité financière d’une supervision défaillante des conseils d’administration des entreprises. Depuis lors, le secteur financier a connu des mutations profondes. Les législateurs de la planète ayant jugé que les banques avaient été autorisées à prendre des risques excessifs, la réglementation de ce secteur a fait l’objet d’amendements significatifs, qui ont notamment concerné la structure de la gouvernance d’entreprise de nombreux grands établissements financiers internationaux.  

Les conseils d’administration doivent être dotés des compétences adéquates

L’un des principaux aspects de notre politique de vote lors des assemblées générales est l’analyse de la qualité de la gouvernance d’entreprise et donc de la capacité de l’entreprise concernée à comprendre et à réduire les principaux risques auxquels elle est exposée.

D’une manière ou d’une autre, un grand nombre de faillites survenues lors de la crise financière internationale de 2008 pourrait provenir d’une certaine façon de la manière dont étaient constitués les conseils d’administration des sociétés concernées.

Le rôle de la politique de nomination des administrateurs
joue un rôle crucial dans la réduction des risques.

À titre d’exemple, avant de se déclarer en faillite, le conseil d’administration de Lehman se composait de dix administrateurs, dont neuf étaient à la retraite, quatre étaient âgés de plus de 75 ans, et seulement deux d’entre eux étaient dotés d’une expérience des marchés financiers. Le comité d’audit du groupe comprenait notamment un producteur de théâtre dénué d’expérience dans le domaine bancaire, ainsi qu'en matière de gestion du risque ou d’audit. On ne peut pas dire que ce cas de figure soit l’exemple parfait d’une bonne pratique. Quelle est donc la situation actuelle des conseils d’administration des banques?

Nous sommes d’avis que le rôle de la politique de nomination des administrateurs joue un rôle crucial dans la réduction des risques. Elle doit avoir pour objectif de réunir les compétences nécessaires et favoriser l’indépendance des membres du conseil de surveillance et du directoire. Afin de gérer ces situations essentielles, il convient d’adopter une approche transparente et mûrement réfléchie qui consiste à affecter les administrateurs à des postes qui leur correspondent. Il est donc essentiel d’avoir recours à un processus de nomination approprié et efficacement structuré afin de garantir l’efficacité de la gestion des risques à long terme au sein du secteur financier.

Dans le cadre de notre approche en matière de vote, nous portons une attention toute particulière aux compétences des candidats aux comités audit, risques et crédit qui sont rattachés au conseil d’administration, afin de veiller à ce que ce dernier comprenne des administrateurs dotés d’une connaissance approfondie des risques et de la manière de les réduire. Nous recherchons plus particulièrement des candidats dotés d’une solide expérience du secteur et de la région dans lesquels exercent les entreprises, ainsi que des experts en externe qui savent remettre en cause les hypothèses qui prévalent concernant l’appétit pour le risque d’une société.

La clé réside dans l’indépendance

S’il est essentiel de posséder les bonnes compétences, les membres du conseil d’administration doivent également être capables d’exprimer leurs inquiétudes au moment opportun. De ce fait, l’indépendance des conseils d’administration est un autre aspect de la gouvernance d’entreprise qui joue un rôle clé dans la réduction des risques. Or, de nombreuses institutions financières, notamment aux États-Unis, continuent d’attribuer une double fonction à leurs PDG en les autorisant également à agir en qualité de Président du conseil d’administration.

Les structures de rémunération des entreprises ont encouragé
les cadres dirigeants à prendre des risques excessifs.

Afin de parvenir à une supervision efficace des équipes de direction, il est très important que le conseil puisse exprimer un avis indépendant et qu’il ne donne lieu à aucun conflit d’intérêt. Il est de la plus grande importance que le conseil d’administration soit en mesure d’agir en partenariat avec l’équipe de direction et que le PDG soit responsable vis-à-vis d’un conseil d’administration composé de membres dotés d’une connaissance approfondie de l’entreprise et des sujets à l’ordre du jour, tout en disposant d’une indépendance suffisante pour s’opposer à l’équipe de direction dès que les choses tournent mal.

On récolte ce que l’on sème

Cependant, la gestion des risques ne se résume pas à l’adoption de bonnes pratiques en matière de composition du conseil d’administration. Il existe une foule d’exemples de prise de risque excessive encouragée par des régimes de rémunération mal structurés et aux conséquences négatives sur le résultat d’une entreprise (et plus particulièrement d’une banque). Si les sociétés disposent de structures de rémunération des dirigeants qui favorisent une prise de risque excessive, ces derniers vont naturellement prendre des risques trop élevés. De nombreux observateurs ont soutenu que les structures de rémunération des entreprises ont encouragé les PDG et les cadres dirigeants à prendre des risques excessifs, et qu’ils ont joué un rôle clé dans les lourdes pertes subies en 2008.

Ainsi, l’examen approfondi des plans de rémunération des cadres dirigeants des entreprises dans lesquelles nous et nos clients investissent est une composante essentielle de notre politique de vote. Nous concentrons notre analyse sur l’alignement de notre politique de rémunération avec les intérêts des investisseurs et sur une publication exhaustive par le comité de rémunération des évaluations de performance des cadres dirigeants. Les indicateurs corrigés du risque jouent également un rôle prépondérant.

Quelles leçons tirer?

Dans l’ensemble, nous constatons que les méthodes de composition des conseils d’administration se sont améliorées dans les 10 années qui ont suivi la crise de 2008. À noter plus particulièrement que la réglementation a conduit les conseils d’administration à désigner plus de membres dotés d’expertise financière que lors des années précédentes. Néanmoins, il reste difficile de savoir ce qui se déroule à huit-clos, et donc d’évaluer la qualité des conseils d’administration. À ce titre, la publication des résultats de l’autoévaluation des administrateurs représente l’étape suivante qui permettra aux investisseurs de savoir comment les risques sont réduits au niveau du conseil d’administration.

Il ne suffit pas de se contenter de «cocher des cases»
pour respecter les critères d’une gouvernance d’entreprise efficiente.

La rémunération des cadres dirigeants demeure également une préoccupation essentielle, tant dans le cadre de notre politique de vote que de nos activités de dialogue avec les entreprises. Ce sujet occupe donc une place prépondérante dans ces activités d’engagement: Gestion du risque et culture au sein du secteur bancaire. Ce programme a pour but de savoir comment les banques déterminent leur degré de tolérance à l’égard du risque, mettent en œuvre leurs systèmes de conformité et de gestion du risque et gèrent leur culture en la matière. L’engagement sur ce sujet est nécessaire car la qualité de l’environnement de gestion du risque d’une société et la nature de sa culture ne peuvent être déterminés par la seule étude des rapports annuels, des déclarations sur le risque et d’autres documents publiés par la société.

Il ne suffit pas de se contenter de «cocher des cases» pour respecter les critères d’une gouvernance d’entreprise efficiente. En outre, s’il est vrai que l’existence de conseils d’administration dénués de conflits d’intérêt et que l’utilisation d’Indicateurs clés de performance dans la détermination des politiques de rémunération sont des aspects importants, la véritable solution réside bien entendu dans la culture d’entreprise. C’est la raison pour laquelle nous tenons compte, dans notre approche en matière d’engagement, d’une série plus large de facteurs, dont la culture, la rémunération liée à la performance basée sur des critères autres que financiers et la stratégie de l’équipe de direction. Les professionnels du secteur financier doivent avoir conscience que la finance n’est pas un objectif en soi mais tout simplement un outil destiné à promouvoir la prospérité socio-économique de l’ensemble des parties prenantes.

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