La Fed entre mandat interne et risques externes

Axel Botte, Ostrum AM

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Alors que Draghi actionne le pilote automatique, Powell optera-t-il pour une pause dans le cycle de resserrement?

Jerome Powell. ©Keystone

La fin de la semaine dernière a été difficile sur les marchés d’actions aux Etats-Unis. Le S&P 500 a enfoncé ses précédents points bas en 2018 pour s’établir sous 2600. La volatilité s’installe sur les actions alors que les Treasuries et le dollar sont globalement sans tendance.  

A l’inverse, l’Europe s’est stabilisée malgré un recul des indices boursiers à l’ouverture de lundi. La réunion de la BCE s’est révélée sans surprise. Le Bund se maintient à 0,25%. L’Italie ramène son objectif de déficit à 2% en 2019 sans coups de rabot sur les mesures annoncées. Le spread des BTPs à 10 ans se réduit à 270pb. Portugal et Espagne se resserrent.  

Sur les marchés émergents,
la stabilité des taux en dollars autorise une diminution des spreads.

Le crédit connait une accalmie liée, en partie, à la diminution des volumes traités en fin d’année. Le spread moyen sur le crédit ressort autour de 150pb contre Bund. Le high yield revient sous 500pb. L’iTraxx Crossover, chahuté ces dernières semaines, s’échange entre 330 et 340pb. Sur les marchés émergents, la stabilité des taux en dollars autorise une diminution des spreads. L’indice EMBI se détend de 9pb cette semaine à 389pb contre Treasuries.  

Fed: le marché entrevoit une baisse dès 2020
Le FOMC est sans nul doute l’évènement de la semaine financière. La trajectoire intégrée par les marchés a évolué fortement au cours des derniers mois. 
Les intervenants tablent en moyenne sur un revirement rapide de la politique monétaire après un ultime geste en 2019. 
Cette projection peut toutefois cacher une multitude de trajectoires allant d’une poursuite du resserrement à un allègement brutal en cas de rupture du cycle.  
 
La BCE en pilote automatique 

La BCE a envoyé un message de prudence tout en maintenant des prévisions compatibles avec une réduction de l’output gap et un retour de l’inflation à la cible en 2021. La croissance du PIB de la zone euro est projetée à 1,7% au cours des deux prochaines années. L’ajustement à la baisse des projections de PIB (-0,1pp en 2018 et 2019) apparait particulièrement optimiste compte tenu de la dynamique des enquêtes de conjoncture dans la plupart des pays membres de l’union monétaire. L’inflation diminuera à 1,6% en moyenne annuelle avant de remonter d’un dixième en 2020 et 2021 (1,8%). Une hausse des taux cosmétique est toujours envisagée après l’été 2019. Un relèvement de 10pb du taux de dépôt constituerait un geste symbolique sans réel impact sur l’activité ou l’éligibilité des titres aux programmes d’achat de la BCE. 

La question des TLTROs n’a pas été discutée.

Concernant la politique de réinvestissement, aucune date butoir n’est avancée pour un éventuel début de diminution du bilan de l’institution. Les proportions relatives des différents programmes seront figées à leur niveau de décembre 2018. L’asymétrie des flux défavorable au crédit en 2019 ne sera pas corrigée. Les réinvestissements d’emprunts publics corrigeront «dans la durée» les écarts accumulés par rapport à la clé de répartition. L’Italie, la France et, à un degré moindre, l’Espagne ont grandement bénéficié de la dérive du PSPP. La répartition du capital de la BCE sera actualisée le 1er janvier 2019. La nouvelle clé de répartition «obligerait» à acheter davantage de dette allemande au détriment des emprunts italiens et espagnols. L’ensemble des covered bonds sous forme de conditional pass-through ne sont plus éligibles au CBPP3. Enfin, selon la formule consacrée, la question des TLTROs n’a pas été discutée.  

Fed: une pause mais trois hausses en 2019 

L’évènement de la semaine est sans nul doute le FOMC. Le marché a effacé deux des trois hausses envisagées en septembre par les banquiers centraux américains. La question est de savoir si les éléments extérieurs tels que le protectionnisme, la situation européenne ou la volatilité financière prévaudront sur le mandat interne de la Fed centré sur l’inflation et le chômage. La situation économique des Etats-Unis avec une croissance deux fois supérieure au potentiel et un taux d’inflation conforme à la cible n’appelle aucun allègement monétaire. L’environnement actuel justifierait pleinement une politique restrictive afin de combattre l’accumulation de mauvaises dettes, rendant plus difficile la gestion du ralentissement lorsqu’il surviendra. Les dernières données d’emploi et de ventes au détail préfigurent une croissance forte au 4T 2018. 

Mais le marché est toujours prompt à espérer le retour du put de la Fed, dès que la volatilité s’accroit sur les marchés financiers. Le Brexit et le conflit commercial entre la Chine et les Etats-Unis constituent deux obstacles au redressement des échanges mondiaux. Il est possible que le communiqué fasse mention de ces risques externes. La baisse des points morts d’inflation, quoique liée au pétrole et à la gestion des risques financiers, pourrait être relevée également. Dans ce contexte, on peut imaginer que la Fed choisira le timing de ses prochains mouvements de façon moins automatique. Jusqu’à présent, les hausses de taux ont toujours eu lieu lors des FOMC suivis par une conférence de presse. Or, en 2019, chaque réunion donnera lieu à une conférence de presse. Ainsi, une pause parait compatible avec le maintien de trois hausses des taux.  

Rester prudent 

Les principaux marchés de taux font preuve d’un certain attentisme en amont du FOMC. Le Bund cote autour de 0,25%, soit environ 10pb sous sa valeur d’équilibre. Le spread 10-30 ans allemand remonte cependant cette semaine de 5pb. Le marché souverain primaire s’est fermé à l’exception de l’Italie. Les derniers développements sont interprétés comme une détente entre Rome et Bruxelles. L’affichage d’un déficit à 2,04% en 2019 se base pourtant sur des hypothèses fumeuses d’économies de fonctionnement et une réduction de 2 milliards d’euros du coût estimé du revenu citoyen. Le spread à 10 ans s’est réduit sous 270pb. Les spreads core y compris l’OAT sont inchangés.  

Les financières, l’énergie et les industrielles
sous-performent largement aux Etats-Unis.

Aux Etats-Unis, le T-note reste soutenu par les flux fuyant la chute brutale des marchés d’actions. Les investisseurs continuent de réallouer sur l’actif sans risque. Le S&P cote sous 2600 en baisse de près de 3% en 2018. Sur un mois, seuls les services publics affichent une performance positive (+3,6% contre -4,8% pour le S&P 500). Les financières, l’énergie et les industrielles sous-performant largement. Le niveau sans précédent de la margin debt laisse envisager une dynamique auto-réalisatrice de ventes forcées d’actions américaines. Un biais acheteur de Bund et de T-note reste approprié.

Le marché du crédit termine une année délicate. La présence de la BCE sur les marchés du crédit va devenir anecdotique avec seulement 5 milliards d’euros de réinvestissements prévus à l’horizon de novembre 2019. Les primes à l’émission réapparaissent. Le spread moyen sur l’investment grade européen ressort à 150pb. Le marché du high yield européen évolue toujours dans un environnement de volatilité élevée. Les flux sont nettement vendeurs sur l’ensemble de l’année de sorte que l’activité sur le marché primaire s’est ajustée d’un tiers par rapport à 2017. Les valorisations actuelles (les spreads se situent autour de 500pb contre Bund) pourraient raviver la demande d’obligations privées spéculatives.  

Les marchés émergents semblent les mieux placés pour profiter d’une pause de la Fed et d’une légère baisse du dollar. Les spreads sur la dette externe se sont resserrés sous le seuil de 400pb contre Bund.

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