La faiblesse des rendements constitue la nouvelle donne

Alex Rohner, J. Safra Sarasin Asset Management

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Les rendements obligataires devraient toucher un plus bas au cours des prochains moins. Leur redressement sera limité.

©Keystone

Près de 30% des obligations investment grade mondiales affichent un rendement à l’échéance négatif. Ce qui a commencé par un ralentissement de l'activité manufacturière mondiale s'est transformé en un ralentissement économique plus prolongé. En effet, les tensions commerciales entre les États-Unis et la Chine menacent de retarder et d'affaiblir un renforcement potentiel de l'économie mondiale. Les indicateurs avancés laissent présager une embellie, mais celle-ci prendra plus de temps et sera moins profonde que prévu. Même si nous prévoyons que les rendements toucheront un plus bas au cours des prochains moins, leur redressement sera limité.

La montée des tensions entre les deux superpuissances
économiques intervient au mauvais moment.

Avec le ralentissement de la croissance mondiale et l’escalade de la guerre commerciale entre la Chine et les États-Unis, les anticipations de taux à court terme se sont effondrées à l’échelle mondiale et les rendements des obligations d’État ont considérablement chuté dans tous les pays développés. Les banques centrales de la planète ont commencé à baisser les taux à court terme ou ont indiqué leur intention de le faire prochainement. L’encours nominal des obligations dont le rendement à l’échéance est négatif est passé à près de 30% de l’indice Barclays Global Aggregate (investment grade): l’extrême faiblesse des rendements des obligations sans risque constitue bien la nouvelle donne.

Presque 30% des emprunts de l’indice Barclays Global ont un rendement négatif 

Sources: Macrobond, J. Safra Sarasin, 15.08.2019

 

La montée des tensions entre les deux superpuissances économiques intervient au mauvais moment, l’économie mondiale étant en train de se remettre du ralentissement du secteur manufacturier amorcé au début de 2018. La dynamique des indicateurs avancés mondiaux, qui jusqu’à présent constitue une mesure fiable de l’activité économique mondiale à un horizon de six à douze mois, a commencé à se redresser, bien qu’à partir d’une base faible, ce qui laisse présager une embellie de la croissance mondiale en fin d’année. Il va de soi que toute perturbation de l’architecture actuelle du commerce mondial à ce stade retarderait voire compromettrait toute reprise naissante.

La dynamique des indicateurs avancés mondiaux commence à s’améliorer

 
Sources : Macrobond, J. Safra Sarasin, 15.08.2019
 
États-Unis: l’économie résiste, le secteur manufacturier continue de ralentir

L’économie américaine dans son ensemble résiste assez bien, tandis que le secteur manufacturier continue d’évoluer suivant le cycle des stocks, pénalisé par la guerre commerciale. Nous insistons sur le fait que le secteur industriel américain n’a cessé de s’essouffler au cours des derniers mois, comme le montrent les indices PMI. L’industrie américaine n’est clairement pas immunisée contre le ralentissement d’autres régions du monde et il existe un risque que la faiblesse actuelle du secteur manufacturier finisse par se propager aux services. D’autres indices des Fed régionales dressent un tableau plus mitigé mais indiquent toutefois également un repli du secteur industriel américain.

La dynamique des indicateurs avancés américains est proche d’un plancher

 
Sources : Macrobond, J. Safra Sarasin, 15.08.2019

 

Les marchés obligataires américains anticipent actuellement de nouvelles baisses des taux d’environ 100pb au cours des 18 prochains mois, soit un taux des fonds fédéraux (Fed Funds) attendu d’environ 1%, la Fed devant s’assurer contre un ralentissement de l’économie mondiale plus prononcé. Le segment de la courbe des rendements américains compris entre les échéances 2 ans et 10 ans ne s’est pas considérablement pentifié dans la mesure où les marchés doutent de la détermination de la Fed à réduire les taux. 

Les rendements américains n’augmenteront qu’une fois qu’il y aura des signes
plus tangibles de redressement de l’activité manufacturière mondiale.

En outre, le niveau extrêmement bas des rendements en Europe exerce clairement des pressions baissières sur les rendements des bons du Trésor américain à long terme, ce qui aplatit encore la courbe des taux. De ce point de vue, on est en droit de se demander si l’aplatissement actuel de la courbe des taux constitue un signal valide de récession pour l’économie américaine. Étant donné la forte interdépendance avec les rendements des obligations d’État dans le monde, nous pensons que les rendements américains n’augmenteront qu’une fois qu’il y aura des signes plus tangibles de redressement de l’activité manufacturière mondiale.

La courbe des taux américains 2/10 ans ne s’est pas encore pentifiée

 
Sources : Macrobond, J. Safra Sarasin, 15.08.2019

 

Zone euro: pas encore de redressement du secteur manufacturier

Le ralentissement du cycle manufacturier mondial a touché de plein fouet les principales économies européennes dépendantes des exportations, comme l’Allemagne. Les indices PMI manufacturiers sont tombés à des niveaux atteints pendant la crise de l’euro. Les indicateurs avancés laissent présager une amélioration au second semestre, mais, contrairement aux cycles économiques précédents, ils mettent beaucoup de temps à se redresser. L’efficacité des nouvelles mesures d’assouplissement monétaire diminue et le nécessaire coup de pouce budgétaire n’est pas encore à l’ordre du jour dans l’immédiat, bien qu’il soit de plus en plus probable. Néanmoins, nous prévoyons toujours que le secteur manufacturier mondial touchera un plus bas au cours des prochains mois et que les mesures de relance chinoises stimuleront indirectement les exportations européennes, mais que leur effet sera plus modéré que prévu.

Zone euro : l’indice PMI manufacturier allemand à un plus bas sur 10 ans

 
Sources : Macrobond, J. Safra Sarasin, 15.08.2019

 

La BCE a annoncé qu’elle était prête à prendre de nouvelles mesures de relance lors de sa réunion de septembre. Nous prévoyons des baisses de taux cumulées de 20pb au cours des prochains mois et une reprise des programmes d’achats d’actifs. Les anticipations de hausses des taux d’intérêt ont été constamment repoussées, ramenant les rendements des Bunds en territoire nettement négatif. 

Compte tenu du soutien à venir de la BCE,
les spreads devraient continuer de bien évoluer.

Actuellement, les prix du marché n’impliquent aucune hausse des taux de la BCE pour les quatre prochaines années. Même avec une amélioration modeste des prévisions de croissance, les taux devraient s’ajuster légèrement a la hausse. Par conséquent, nous anticipons que les rendements obligataires toucheront un plus bas au cours des prochains mois et qu’ils augmenteront légèrement jusqu’à la fin de l’année, mais qu’ils resteront toujours en territoire nettement négatif. Ces derniers mois, les spreads de crédit des pays périphériques ont produit de très bonnes performances. Compte tenu du soutien à venir de la BCE, les spreads devraient continuer de bien évoluer, même si un nouveau resserrement sera difficile.

Royaume-Uni: les perspectives restent sombres

L’incapacité des responsables politiques britanniques à s’accorder sur les modalités de mise en œuvre du vote en faveur du Brexit prolonge les incertitudes qui planent sur les entreprises britanniques et affecte de toute évidence leurs plans d’investissement. Si les ménages britanniques continuent de dépenser, à la faveur des tensions sur le marché du travail et de taux d’intérêt très bas, les indicateurs de sentiment des entreprises fléchissent considérablement à mesure que les incertitudes concernant le Brexit augmentent. Il faudra encore au moins plusieurs mois avant que nous ayons une idée plus claire du déroulement du scénario du Brexit. Quelle que soit l’issue, les entreprises continueront de reporter leurs plans d’investissement faute de la visibilité dont elles ont grand besoin. L’économie britannique restera donc relativement atone, avec des taux d’intérêt à des niveaux très bas.

Les rendements obligataires resteront faibles

Les chiffres de la croissance mondiale continuent de fléchir, ce qui fait craindre un ralentissement synchronisé encore plus prononcé de la croissance, aggravé par une nouvelle escalade de la guerre commerciale. Les marchés obligataires anticipent d’ores et déjà d’importantes nouvelles mesures d’assouplissement monétaire sous la forme de baisses de taux. Comme nous prévoyons que la reprise mondiale mettra plus de temps que prévu à se concrétiser, les rendements resteront à des niveaux très bas et pourraient même baisser un peu au cours des prochains mois. Il faudra attendre des signes tangibles d’amélioration dans le secteur manufacturier pour que les rendements trouvent un nouveau plancher.

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