La contagion protectionniste

Valérie Plagnol, Vision & Perspectives

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Reconquête de la souveraineté économique, protection de l’emploi… le virus du protectionnisme à doses de moins en moins homéopathiques.

Comment ne pas être frappés par cette évidence: à bien des égards, la crise du Covid-19 n’a fait qu’accélérer les tendances déjà à l’œuvre antérieurement. Parmi celles-ci, la contagion protectionniste a encore gagné du terrain. Nous l’avions déjà évoqué, le Covid-19 n’est que «la prolongation de la guerre commerciale sino-américaine par d’autres moyens1».  Donald Trump, en mauvaise posture dans tous les sondages pour sa gestion désastreuse de la pandémie, accentue les pressions sur la Chine, mais aussi sur l’Europe. Nouvelles mises à l’index de sociétés chinoises considérées comme étant sous l’emprise de l’armée, retrait des discussions sur la taxation internationale des GAFA etc. Pour le président américain en campagne, le thème est assez porteur pour qu’il aille jusqu’à suspendre les visas H1-B de travail temporaires pour les personnes qualifiées, cette fois-ci au nom de la protection de l’emploi et des travailleurs nationaux.

Ce que les Etats semblaient avoir évité au lendemain de la crise de 2008, risque cette fois-ci de progresser à grands pas. La pandémie et le confinement ont provoqué une contraction majeure des échanges mondiaux. L’OMC estime que le trafic de marchandises pourrait s’effondrer de 13% à 32% cette année. La reprise des échanges sera cruciale pour soutenir l’activité mondiale.

Nombre de nos gouvernements entendent promouvoir
le rapatriement de certaines productions.

Le rapport de la Commission Européenne pour l’année 20192, faisait déjà état de la montée générale des protectionnismes. Sans surprise, la Chine tient la première place parmi les pays les plus fermés, tandis que les Etats-Unis se montrent de plus en plus intransigeants. Les efforts de l’UE en faveur de l’ouverture des marchés tiers produisent quelques résultats qui peuvent se mesurer en milliards d’euros. Ils n’en restent pas moins modestes au regard des enjeux. De plus, ses objectifs toujours plus affirmés, manquent encore de points d’appuis et d’alliés: promotion du multilatéralisme, transition climatique et numérique, sécurité technologique et protection de la propriété intellectuelle.

Face à ces défis, l’Europe va devoir naviguer entre pressions extérieures grandissantes et complaisances internes.  Ainsi, dès le début de la crise, l’Union a-t-elle été prompte à renforcer les mesures de protection des entreprises vulnérables contre les investisseurs «vautours» de pays tiers. De même, à l’intérieur de l’Union, les autorités de la concurrence se sont empressées d’assouplir les règles en matière de contrôle des aides d’Etat. Elles ont également facilité les coopérations dites «licites» entre entreprises européennes, sans encourir le risque d’être condamnées pour ententes ou abus. Mais ces mesures d’urgence, au caractère théoriquement temporaire, ne risquent-elles pas de remettre en cause durablement les principes qui régissent l’organisation et la régulation de la concurrence au sein de l’Union?  Même après la réouverture de Schengen, la hausse attendue du chômage renforce la tentation de remettre en cause les principes de libre circulation des biens et des personnes.

La question de la souveraineté sanitaire s’est posée avec plus d’acuité, c’est une évidence. Pris de court, nombre de nos gouvernements entendent désormais promouvoir le rapatriement de certaines productions, et sécuriser les chaînes d’approvisionnement considérées comme essentielles. On ne saurait les en blâmer. Mais comment vont-ils s’y prendre? Au sortir de la crise, qu’adviendra-t-il des mesures exceptionnelles mises en œuvre et si coûteuses? Au nom de la protection des consommateurs et des emplois, qu’exigera-t-on en contrepartie des aides publiques d’urgence? Conditions d’opération, contraintes sur les politiques de recrutement, exigences sur la localisation? A l’extérieur l’Europe doit se préserver et lutter pour la réciprocité commerciale, ce qu’on nomme le «level playing field», mais ne risque-t-elle pas de se fragmenter de l’intérieur par le recours à des réflexes aussi anciens qu’inefficaces de rejet de la concurrence et de repli sur soi? Cela a été montré et démontré: l’absence de concurrence et la fermeture des frontières, comme la dévaluation, raréfient l’offre, augmentent les prix pour les consommateurs et font perdre des emplois.

Le «made in my country» fait florès un peu partout. Les publicistes ont bien saisi la tendance qui, à longueur d’annonce, nous font avaler du «local» et du «produit de chez nous». C’est tant mieux si cela résulte d’une plus grande efficacité concurrentielle de la part de nos producteurs.  C’est bien plus dommageable si c’est le fruit de monopoles à l’abri de nouvelles barrières.

A privilégier la protection à court terme, nous risquons de faire les mauvais choix et de sacrifier la liberté d’entreprendre sur l’autel de la relance. 

 

2 Report from the Commission to the Parliament and the Council on Trade and Investment Barriers

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