L’inconfortable normalisation de l’inflation américaine

William De Vijlder, BNP Paribas

2 minutes de lecture

La normalisation monétaire n’a rien d’inquiétant. C’est sur la réaction des entreprises les plus sensibles que l’attention devra se porter.

Le mois de février risque d’entrer dans les annales comme celui du basculement vers une nouvelle ère avec une correction de Wall Street après une période anormalement longue sans volatilité, trois statistiques d’inflation américaine qui ont dépassé les attentes, et des messages de la Réserve fédérale, de la Banque d’Angleterre et de la BCE qui témoignent, subtilement et à des degrés divers, de leur confiance en une accélération de l’inflation provoquée par la croissance.

A priori on devrait se féliciter de cette perspective de convergence de l’inflation vers l’objectif des banques centrales. Ces dernières seront en tout cas soulagées de cette «mission accomplie». L’inconfort sera plutôt du côté des marchés financiers qui appréhendent une politique plus restrictive qu’anticipé qui conduirait à une réduction des liquidités mondiales, normalisation de l’inflation rimant avec remontée des taux officiels. Rappelons que c’est l’absence d’inflation qui, pendant de longues années, avait obligé les banques centrales à maintenir une politique particulièrement expansionniste dans un effort de faire converger l’inflation vers leur cible d’environ 2%. Cette politique a, certes, dopé la croissance mais également et surtout, par le biais de liquidités abondantes (quantitative easing), les prix des actifs (immobilier, bourse, cours des obligations, etc.). Dans certains pays, elle a également conduit à une hausse de l’endettement, notamment celui des entreprises américaines.

Aux Etats-Unis, la combinaison de valorisations élevées et de ratios dette/fonds propres qui ont augmenté accroît donc la sensibilité à une normalisation de la politique monétaire, bien qu’au final l’effet net dépendra également de l’évolution de la croissance et de la confiance des investisseurs. Ces différents facteurs s’influencent mutuellement si bien qu’il est impossible d’anticiper le résultat final. La description des canaux de transmission permet néanmoins de focaliser l’attention de l’investisseur sur les points essentiels. Pour les marchés financiers, la hausse de l’inflation provoquant une remontée des taux officiels serait un enchaînement logique. Aux Etats-Unis, la normalisation monétaire se concrétiserait par quatre remontées de taux cette année et une poursuite de la réduction de la taille du bilan de la Réserve fédérale; en zone euro, la Banque centrale européenne arrêterait son QE en fin d’année avant de remonter une première fois ses taux vers la mi-2019. Ces politiques finiraient par peser sur l’activité: les taux de croissance, qui dépassent actuellement largement les taux de croissance potentiels, convergeraient lentement vers ces derniers. Pour les entreprises, cela se traduirait par une moindre hausse des bénéfices tandis que les plus endettées subiraient des charges d’intérêt plus importantes. Pour les investisseurs, cela nourrit la nervosité et donc leur sélectivité dans le choix des titres et actions, avec la distinction entre les entreprises résilientes et les autres.

En conclusion et assez ironiquement, la normalisation de l’inflation crée un certain inconfort: elle témoigne d’une activité économique bien orientée mais ne fait que rappeler que les marchés anticipent des mois à l’avance les développements dans l’économie. Si, d’un point de vue macroéconomique, le ralentissement auquel donnera lieu la normalisation monétaire n’a rien d’inquiétant, c’est sur la réaction des entreprises les plus sensibles que l’attention devra se porter. Quant aux banques centrales, on peut s’attendre à ce qu’elles continuent à faire preuve d’une grande prudence dans leur communication afin d’éviter des surprises qui amèneraient les marchés à surréagir.