L’euro des populistes

Barry Eichengreen, Université de Berkeley

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La majorité des Italiens veulent deux choses: un nouveau leadership politique et l'euro. La question est de savoir s’ils peuvent avoir les deux ensemble.

 

L’aspect nouveau leadership est incontestable. Les deux partis populistes pouvoir, la Ligue et le Mouvement Cinq étoiles (M5S), ont ensemble rassemblé 50% des suffrages exprimés lors de l'élection générale du 4 mars et, par conséquent, disposent de majorités dans les deux chambres du parlement du pays. Leurs majorités sont peut-être minces, mais l'élection, lors de laquelle les principaux partis de centre-droite et de centre-gauche n’ont obtenu que 33%, était un désaveu retentissant du statu quo.

Le deuxième aspect est moins bien connu, mais encore moins controversé: les sondages récents montrent que 60 à 72% des Italiens sont favorable à l’euro. Certains estiment que la monnaie unique protège leur épargne, tandis que d'autres la considèrent comme un emblème du statut de l'Italie en tant que membre fondateur de l'Union européenne. Or, si les motifs diffèrent, l'équilibre de l'opinion publique, lui, est clair.

Si ses premières mesures ne parviennent pas à stimuler l'économie,
le nouveau gouvernement perdra son soutien populaire.

Se pliant à cette réalité, les partenaires de la coalition ont maintenant abandonné l'idée de sortir de l'euro et ont retiré cette possibilité de leur «contrat» ainsi que sur leurs sites web respectifs. Paolo Savona, un adversaire pur et dur de l'euro, a été empêché d’accéder au ministère des Finances. Mais Carlo Cottarelli, dont la nomination proposée à la tête d'un gouvernement technocratique aurait privé de leurs droits une majorité des électeurs, n’a pas non plus pu accéder aux rênes du pouvoir. À juste titre, compte tenu du résultat des élections, les Italiens ont maintenant leur gouvernement populiste, et leur euro également.

Il sera plus difficile de les garder. Si ses premières mesures ne parviennent pas à stimuler la croissance économique, le nouveau gouvernement perdra son soutien populaire. En désespoir de cause et de colère, ses dirigeants pourraient alors recourir à des politiques encore plus extrêmes. Le soutien à l'euro s’affaiblirait aussi, parce que le gouvernement et ses bailleurs de fonds reprocheront à l'UE et à sa réalisation la plus visible, l'euro, de faire obstacle à leurs plans les mieux conçus.

En effet, il n’est pas dur d'imaginer que, si la coalition poursuit ses plans budgétaires ambitieux, instituant à la fois une taxe forfaitaire, comme la Ligue le propose, et un revenu de base universel (UBI), comme le veut le M5S, elle pourrait faire exploser le déficit budgétaire. Elle serait alors sanctionnée par la Commission européenne, jugée non admissible à un soutien financier de la Banque centrale européenne et la proie aux fuites de capitaux. L'Italie pourrait rapidement se retrouver hors de la zone euro et cloisonnée par des contrôles de capitaux, peu importe que le gouvernement en avait l'intention ou non.

L’impôt forfaitaire de la Ligue profiterait surtout aux riches,
qui ont une propension relativement faible à dépenser.

En fait, l'argument en faveur d'une relance budgétaire mesurée est valable – simplement pas le genre de relance budgétaire que la Ligue et le M5S ont à l'esprit. Une économie dans l’état de celle italienne a besoin de «politiques à deux mains»: des réformes du côté de l'offre des marchés du travail et des biens et services pour stimuler la productivité et la compétitivité internationale, accompagnées d’une stimulation de la demande afin d'éviter les incertitudes de la réforme et le bruit politique entourant la baisse des dépenses. Bien que l'Italie ait une charge de la dette importante, elle dispose néanmoins d’un minimum d'espace fiscal, étant donné la faiblesse des taux d'intérêt et son excédent budgétaire primaire.

Pourtant il est très incertain que le gouvernement utilisera cet espace pour relancer la croissance. L’impôt forfaitaire de la Ligue profiterait surtout aux riches, qui ont une propension relativement faible à dépenser, et aggraverait les revendications au sujet de l'inégalité. Et, compte tenu de ses conséquences fiscales désastreuses, l’UBI proposé par le M5S déclencherait une réaction forte des marchés financiers.

Une meilleure approche serait de réduire les prélèvements sur les salaires et de sécurité sociale, réduisant ainsi le troisième coin fiscal le plus élevé de l'OCDE. Cela devrait plaire aux électeurs du M5S, qui verraient une augmentation de leur rémunération. Dans la mesure où les bénéficiaires dépensent le revenu supplémentaire, les réductions d'impôts stimuleraient la demande et la croissance.

Frustrer le nouveau gouvernement pourrait ne faire que rendre
les autorités italiennes plus intransigeantes.

De plus, ce sont aussi des réformes qui soutiennent l’offre parce qu'elles réduisent le coût du travail et, en réintégrant les personnes au marché de l'emploi, facilitent la transmission des compétences qui améliorent la productivité. Elles devraient également plaire à la Ligue, dans la mesure où les propriétaires d'entreprises, qui soutiennent le chef du parti Matteo Salvini, bénéficieront de la baisse des coûts et d’une compétitivité accrue.

La Commission européenne permettra-t-elle au gouvernement italien de dépasser son objectif de déficit maximum autorisé? Les inquiétudes de la Commission, comme toujours, portent sur le fait que cela constituerait un dangereux précédent. Mais il faut se rendre compte que frustrer le nouveau gouvernement à tous les niveaux pourrait ne faire que rendre les autorités italiennes plus intransigeantes en fin de compte. Si l'alternative à un déficit budgétaire légèrement plus important, couplé à des réformes de l'offre, est un budget hors de contrôle, un conflit ouvert avec l'Union européenne et une fuite massive de capitaux, la Commission ferait bien de réfléchir à deux fois.

Le point de vue au sein des institutions de l'UE à Bruxelles est que, lorsqu'il sera sanctionné par la Commission et par les marchés financiers, le nouveau gouvernement italien devra nécessairement revoir sa copie, abandonnant ses ambitions fiscales pour éviter la catastrophe. Mais le point de vue à Rome est que le nouveau gouvernement a le soutien des électeurs et que l'Italie est un trop gros pays pour faire faillite, de sorte que c’est donc la Commission et les autres Etats membres qui devront obtempérer.

En Amérique, il y a un nom pour cette situation. Cela s’appelle un jeu de poulet: deux voitures foncent l’une vers l'autre; le conducteur qui se déporte premier est le poulet. C’est un jeu qui ne se termine pas toujours bien.

Traduit de l’anglais par Timothée Demont

Copyright: Project Syndicate, 2018.

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