L’ESG, un non-risque pour l’investisseur?

Fabio Alessandrini, BCV

2 minutes de lecture

La masse des actifs sous gestion respectant des critères ESG s’accroît. Quel impact pour l’investissement passif et autres approches factorielles?

La gestion passive, les stratégies smart beta et autres approches factorielles figurent en bonne place dans le classement des tendances d’investissement de la décennie à peine achevée. Sont-elles compatibles avec un autre mouvement de fond: l’investissement socialement responsable?

La question se pose avec d’autant plus d’acuité dans le cas de la gestion passive que l’investisseur est sensible à tout écart avec son indice de référence. Le risque relatif, soit l’écart avec cet indice de référence, est-il alors appelé à croître? En d’autres termes: va-t-il perdre en performance s’il veut améliorer la note ESG de son portefeuille, s’il veut davantage respecter des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance au travers de ses placements? A noter que la pertinence d’une telle crainte tend toutefois à s’atténuer si l’indice de référence est lui-même déjà estampillé ESG. Et des indices ESG, il y en a toujours davantage.

Ces dix dernières années ont été particulièrement
favorables aux technologies et moins à l’énergie.

La problématique de la compatibilité s’étend à l’investisseur qui a privilégié une stratégie smart beta basée sur les primes de risque. Une tendance également en forte croissance sous l’effet conjoint de deux phénomènes, la quête de rendement en période de taux bas et les résultats de la recherche académique. Un certain nombre de facteurs dans les différentes classes d’actifs ont été identifiés comme proposant des sources de rendement différentes. Si l’on en dénombre plusieurs centaines, certains sont plus fréquemment utilisés que d’autres, à l’instar des value, taille, carry, momentum, etc. L’effet de ces facteurs peut-il être amoindri ou au contraire amplifié par le respect des critères ESG?

Profil rendement-risque préservé

Une étude* a mesuré l’impact de l’intégration de critères ESG dans les portefeuilles sur une dizaine d’années, soit entre 2007 et 2018. L’analyse permet de souligner que, sur la période étudiée, l’intégration progressive des facteurs ESG dans un véhicule d’investissement standard en améliore le score de durabilité sans en détériorer le profil rendement/risque. Si la performance n’est pas affectée, des biais de taille, régionaux et sectoriels peuvent toutefois apparaître. Dans les grandes lignes, le poids des grandes sociétés, des entreprises actives dans l’IT et situées dans l’Union européenne augmente au détriment des petites sociétés, des entreprises actives dans l’énergie et d’origine américaine ou des marchés émergents. Mais ces biais ne détériorent pas la qualité du portefeuille en matière de performance. Ce qui peut notamment s’expliquer par les tendances observées durant la période sous revue. Ainsi, ces dix dernières années ont été particulièrement favorables aux technologies et moins à l’énergie.

Certaines stratégies smart beta peuvent bénéficier
davantage de l’effet ESG que les investissements passifs.

L’exercice a été répété sur un portefeuille ayant opté pour une stratégie smart beta portant sur quelques facteurs de risque, comme la taille, le low beta, high yield, value, etc. Là encore, le score ESG peut progresser sans que les performances financières ne soient péjorées. Mieux: certaines stratégies smart beta peuvent même bénéficier davantage de l’effet ESG que les investissements passifs. Une preuve? Leur ratio de Sharpe, qui estime le rapport entre le rendement et le risque, progresse. Une des explications réside dans le fait que la volatilité diminue avec la progression du score ESG.

Efficience du facteur

Si les différentes stratégies enregistrent globalement les mêmes biais observés dans les portefeuilles standards en matière de risques de taille, régionaux ou sectoriels, l’effet sur le facteur ciblé peut différer selon les méthodologies. Néanmoins, lorsque l’impact ESG est mesuré en appliquant les méthodes d’exclusion de titres à faible score ESG, globalement, le facteur reste dominant. Et, si diminution de l’efficience du facteur il y a, elle semble être compensée par l’amélioration de la note ESG et n’a, au final, pas d’impact négatif sur le rapport rendement/risque de la stratégie.

Historique, cette étude permet de constater qu’un investisseur n’aurait pas dû réduire ses objectifs en matière de rendement ajusté au risque en donnant un visage plus durable à son portefeuille. D’ailleurs, la masse des actifs sous gestion répondant aux critères ESG, soit environnementaux, sociaux et de gouvernance, a augmenté de plus d’un tiers entre 2016 et 2018, selon la Global Sustainable Investment Alliance. Et avant même que les chiffres définitifs de 2019 ne soient connus, il n’est pas insensé d’imaginer que ce rythme de croissance ait été dépassé l’an dernier. Ce qui pose de nouvelles questions: risque-t-on de voir émerger une bulle en raison de la concentration de l’intérêt des investisseurs sur quelques titres ou secteurs plus facilement identifiables et donc qualifiés de «bons élèves» ESG? La note ESG d’une entreprise a-t-elle une influence fondamentale sur sa valorisation? Sans même parler des effets de l’ESG sur d’autres classes d’actifs, comme l’obligataire ou l’immobilier, tout aussi importantes pour les portefeuilles.

*ESG Investing: From Sin Stocks to Smart Beta, Fabio Alessandrini, Eric Jondeau, Swiss Finance Institute Research Paper, no 19-16.

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