L’élection de Bolsonaro démontre le besoin d’un virage à 180 degrés

Stéphane Monier, Lombard Odier

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Les électeurs brésiliens ont porté Jair Bolsonaro à la tête de leur pays pour les quatre ans à venir, un résultat qui marque un changement historique pour la huitième économie mondiale.

Le candidat du Parti social-libéral (PSL) et ancien capitaine de l’armée, Jair Bolsonaro, a remporté l’élection présidentielle au Brésil avec 55% des voix. Son adversaire, Fernando Haddad, ancien maire de São Paulo et candidat à la présidence sous les couleurs du Parti des travailleurs, situé à gauche, a obtenu pour sa part 45% des suffrages au second tour. Jair Bolsonaro devient le 38e président du plus grand pays d’Amérique latine, témoignant du choix des électeurs de tourner la page d’années de récession et de scandales de corruption. Tendue et polarisée, la campagne présidentielle a clairement montré que les électeurs rejetaient l’establishment politique brésilien, ouvrant ainsi la voie au premier gouvernement d'extrême droite depuis la fin de la dictature militaire, il y a 30 ans. Divisé et désillusionné, le Brésil a besoin de changement alors que les défis économiques s’accumulent.

Jair Bolsonaro, outsider d’extrême-droite
dans une campagne électorale polarisée.

Dans notre CIO Flash Bulletin intitulé «Brésil: une élection sous tension», publié en septembre, nous décrivions la campagne présidentielle brésilienne de 2018 comme particulièrement imprévisible: Jair Bolsonaro a été poignardé lors d'une manifestation électorale, l'ancien président Luiz Inacio Lula da Silva a dû renoncer à se porter candidat depuis la prison où il est enfermé et M. Bolsonaro - aidé en cela par un groupe d’entrepreneurs brésiliens influents - a été accusé d’avoir mené une campagne illégale de désinformation de grande ampleur, ayant pour objectif de nuire à son rival Fernando Haddad via le service de messagerie pour smartphone WhatsApp.

Il ne fait aucun doute que cette course à la présidence fut particulièrement agitée. Peu prédisaient la victoire de Jair Bolsonaro il y a six mois, un candidat qu'on prenait alors pour un original ayant massivement recours aux réseaux sociaux pour promouvoir ses idées politiques. Né en 1955, M. Bolsonaro représente la droite sur l'échiquier politique brésilien. Il a été élu député au Congrès à sept reprises depuis 1991, après avoir servi dans l'armée pendant près de 20 ans. Il est souvent décrit comme le «Donald Trump des tropiques» ou le «Duterte brésilien» - en écho au président philippin Rodrigo Duterte - en raison de son aversion pour les élites, de ses valeurs traditionnelles et de son goût prononcé pour l'autoritarisme. Au-delà du rejet de l’héritage laissé par le Parti des travailleurs précédemment au pouvoir, Jair Bolsonaro devra clarifier son programme et rassurer les citoyens sur son attachement à la démocratie, après avoir pris la défense de l’ancienne dictature militaire qui a dirigé le Brésil de 1964 à 1985.

À l'instar des présidents Trump et Duterte, M. Bolsonaro est connu pour ses propos offensants sur les femmes, les Noirs et les minorités sexuelles, contrastant en cela avec le discours politiquement correct traditionnellement associé aux dirigeants politiques. Comme Donald Trump, Jair Bolsonaro souhaite reconsidérer les alliances stratégiques de son pays, en particulier son attachement aux blocs rassemblant des nations en développement, tels que le Mercosur. Et, comme le président Duterte, M. Bolsonaro veut envoyer l'armée dans les rues pour lutter contre la criminalité, promet d’accorder tous moyens aux autorités pour abattre les criminels et plaide en faveur d'une réglementation moins stricte en matière de détention d'armes. Cependant, même si le Brésil souscrit à ses positions populistes, le pays n’est ni les États-Unis ni les Philippines et M. Bolsonaro devra relever des défis économiques et sociaux bien spécifiques.

Le Brésil sort de sa pire récession et a besoin de réformes structurelles.

Alors que l'économie a connu une période de croissance économique significative de 2004 à 2013 avec une croissance annuelle moyenne du produit intérieur brut (PIB) de 4,5%, le pays a opéré un demi-tour complet en 2015, plongeant le Brésil dans une récession profonde. L'économie s'est contractée de 3,8% en 2015 et de 3,6% en 2016, le taux d'inflation a doublé et, en juillet 2015, la banque centrale a relevé ses taux qui ont alors atteint leur plus haut niveau en une décennie, à 14,25%. La faiblesse des prix des matières premières a exercé des pressions supplémentaires sur l'économie et le real brésilien a chuté de plus de 40% par rapport au dollar américain (USD) entre janvier 2014 et septembre 2015. Cette récession économique brutale a encore été aggravée par plusieurs scandales politiques survenus par la suite, dont la destitution de l'ancienne présidente Dilma Rousseff en août 2016 et les accusations de corruption portées contre l'ancien président Michel Temer en 2017.

Le Brésil sort maintenant de ce qui a été sa pire récession mais la reprise économique n’en est qu’à ses débuts. Le paysage macroéconomique pourrait cependant sembler favorable : la croissance économique est en territoire positif depuis 2017, l'inflation est proche d'un plus bas en deux décennies et le compte courant du pays est presque à l’équilibre. Néanmoins, le déficit budgétaire s’élève à 7,3% du PIB alors que le ratio dette publique/PIB avoisine déjà les 85%. Par conséquent, il est particulièrement urgent de procéder à des réformes structurelles, à commencer par celle du régime de retraites complexe et déficitaire qui absorbe un tiers de la dépense publique avant intérêts.

Bien que Jair Bolsonaro soit considéré comme un réformiste, il aura besoin d’alliances politiques au Congrès pour faire passer les réformes. Pour le moment, les investisseurs apprécient son approche économique en faveur des privatisations de masse et de la réduction des dépenses. La crédibilité de son programme économique est renforcée par la personnalité réputée de Paulo Guedes, son conseiller économique en chef d’obédience néolibérale, qui a cofondé Banco Pactual (aujourd'hui BTG Pactual) dans les années 1980. Les actifs brésiliens se sont redressés en octobre : le real brésilien a progressé de 11% par rapport à l’USD et l’indice boursier de référence Ibovespa a grimpé de plus de 8% ce mois-ci. Cependant, les espoirs du marché pourraient être rapidement douchés si le pays se retrouvait doté d'un Congrès divisé, incapable de voter les réformes structurelles dont le Brésil a cruellement besoin. Enfin, il est important de mentionner que l’environnement est l’un des grands perdants de cette élection. En effet, le président nouvellement élu a fait savoir qu’il souhaitait supprimer le ministère brésilien de l’Environnement, se retirer de l’accord de Paris sur le climat et défaire un certain nombre de politiques environnementales au profit du développement économique.

Quelles conséquences pour l’investissement?

Il est urgent que le Brésil procède à des réformes qui permettront d’endiguer sa dette, notamment celle de son système de retraites qui nous paraît fondamentale pour le pays. Sans cela, nous craignons que le récent enthousiasme du marché ne soit de courte durée. En conséquence, nous restons prudents vis-à-vis des actifs brésiliens et continuerons de suivre de près les efforts visant à assurer la viabilité budgétaire dont le pays a tant besoin. S’agissant de l’ensemble des marchés émergents, 2018 reste une année difficile: les taux augmentent aux États-Unis, l’USD est fort, les différends commerciaux s’intensifient et des vulnérabilités fondamentales sont devenues manifestes dans certains pays émergents, comme l’Argentine ou la Turquie. Depuis juin, nous avons réduit notre exposition à la dette des marchés émergents libellée en devises locales et notre allocation actuelle aux actifs émergents est pratiquement neutre dans tous les portefeuilles. De notre point de vue, Jair Bolsonaro est un président clivant, qui devra prouver sa capacité à réformer le Brésil. Pour ses adversaires, il incarne un populisme autoritaire dangereux, mais, pour ses partisans, il représente une lueur d'espoir après de nombreuses années de difficultés économiques et de scandales politiques.

 

Source de l’ensemble des données: Bloomberg, au 29 octobre 2018. 

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