L’ère des taux bas ou négatifs en Europe fait des heureux

AWP

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«Pour les investisseurs qui parient sur une baisse des taux à court terme, c'est la fête», déclare notamment Eric Bourguignon, membre du directoire de Swiss Life AM France.

Des taux d’intérêts bas voire négatifs: la dette souveraine européenne s’installe de plus en plus dans cette ère inédite, ce qui n’est pas pour déplaire aux États ou aux marchés, malgré des risques à long terme.

5000 milliards d’euros dans le rouge

Après une première incursion en 2016 en territoire négatif, le taux d’emprunt à 10 ans de l’Allemagne, le «Bund» qui fait référence en Europe, a plongé de nouveau en mars, et ne cesse de s’enfoncer depuis.

Il a été rejoint pour la première fois dans l’histoire par celui de la France mi-juin. En clair, cela signifie qu’un investisseur se verra rembourser un peu moins qu’il n’a prêté, s’il garde son titre jusqu’à échéance.

En zone euro, «la dette souveraine en territoire négatif vient d’atteindre le montant de 5000 milliards d’euros, soit l’équivalent de 64% du montant total», rappelle Christopher Dembik, responsable de la recherche économique chez Saxo Banque.

La situation est-elle appelée à durer?

Tous les ingrédients qui ont conduit à cette situation sont toujours d’actualité et devraient le rester.

Après une tentative avortée de resserrer les vannes l’an dernier, les banques centrales sont de nouveau sur la voie de la générosité monétaire sur fond de croissance mondiale déclinante.

L’incertitude géopolitique alimente aussi un puissant courant en direction des valeurs refuges, comme l’or ou les obligations, surtout des États.

«A chaque émission d’un État, il y a une forte demande des investisseurs», témoigne Frédéric Gabizon, responsable pour le marché obligataire chez HSBC.

Pour la plus grande joie de...

«Pour les investisseurs qui parient sur une baisse des taux à court terme, c’est la fête. Pour les emprunteurs, s’enrichir en prêtant est une situation assez confortable», note Eric Bourguignon, membre du directoire de Swiss Life AM France.

Un investisseur qui aurait acheté une obligation espagnole à échéance 2048 en début d’année pourrait faire un gain de 35,5% en revendant aujourd’hui son titre, explique Geoffroy Lenoir, responsable des taux souverains en euros pour Aviva Investors. Car sur le marché obligataire, quand le taux baisse, le prix du titre augmente.

Pour les États, cette situation inédite est l’assurance de garder des marges de manoeuvres budgétaires.

... et le désespoir des «banques zombies»

«Les banques de la zone euro reçoivent des paiements d’intérêt faible sur les crédits» et «tout ceci conduit inexorablement au recul» de leur rentabilité. Tout comme au Japon, «on peut donc considérer qu’il s’agit de banques zombies, fortement affaiblies par les taux d’intérêt bas», estime dans une note les experts de Natixis.

La Banque centrale européenne travaille toutefois à les aider via notamment des programmes de prêts géants (TLTRO).

«Le créancier, le vrai investisseur qui va garder son titre de dette jusqu’au bout, va lui aussi être spolié» par des taux négatifs, observe M. Bourguignon.

Le risque d’un mur de dette insurmontable

«Des taux bas ou négatifs et l’aisance monétaire constituent le cocktail idéal pour faire exploser l’endettement», selon M. Bourguignon qui y voit «une invitation à choisir la facilité de l’emprunt face aux problèmes budgétaires».

«Il s’agit en outre de savoir quelle est la limite quand les taux n’en sont plus une», remarque M. Lenoir.

Et dans une telle situation, un accident sur un émetteur de dette important pourrait vite être dramatique.

«La zone euro a appris du passé et s’est dotée d’une infrastructure aussi bien au niveau de la BCE que du mécanisme européen de stabilité (ESM) capable d’endiguer beaucoup de problèmes», nuance M. Gabizon.

Mais si le bateau grec a pu être sauvé, reste à savoir si un paquebot italien pourrait l’être.

La finance est-elle devenue folle?

«Tout le monde sait que nous marchons sur la tête», confie une source de marché.

«Nous entrons dans une phase où les mécanismes classiques d’évaluation de la rentabilité n’ont plus de sens», souligne Didier Saint-Georges, membre du comité d’investissement chez Carmignac.

Selon lui, «la question se pose de savoir quelle sera l’efficacité des politiques monétaires à des niveaux aussi bas. Du coup, poursuit-il, l’idée d’une coordination plus forte entre politiques monétaires et budgétaires, où les banques centrales iraient jusqu’à s’impliquer dans des projets de relance, pourrait faire du chemin. Et là nous changerions vraiment d’ère!»

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