Japon: cette fois-ci, c’est différent?

Lucas Meric, Indosuez Wealth Management

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Le Japon semble aujourd’hui à la croisée des chemins et pourrait s’avérer être un investissement attrayant dans le cadre d’une stratégie d’allocation d’actifs mondiale.

© Keystone
MARCHÉS DÉVELOPPÉS: LE JAPON, TERRE DE CROISSANCE

Cela fait plusieurs mois déjà que le moment de la prochaine récession aux États-Unis ou en Europe fait débat auprès des économistes. Aux pays du soleil levant, ces inquiétudes semblent bien loin, puisque nos prévisions pointent vers une croissance moyenne du PIB de 1,2% d’ici à 2024. Avec une reprise plus tardive que dans les autres économies développées (les mesures sanitaires ayant été significativement assouplies en mars), le Japon apparaît aujourd’hui, avec la Chine, comme l’autre pan pour s’exposer à la réouverture. Cette reprise devrait soutenir la demande intérieure et compenser un très probable affaiblissement de la demande extérieure, dans le contexte d’un ralentissement économique mondial. Le Japon devrait également bénéficier du retour des touristes chinois.

DE LA DÉFLATION À L’INFLATION?

Le Japon n’a pas échappé à l’irrésistible poussée inflationniste post-pandémique à laquelle l’économie mondiale est actuellement confrontée. En revanche, contrairement à de nombreuses autres économies, cette reprise semble davantage être une bonne nouvelle dans un pays enlisé dans la déflation depuis plusieurs décennies (avec une inflation moyenne de 0,5% depuis 1990), en grande partie sous l’effet d’un excès d’épargne des entreprises dans l’économie japonaise à la suite de son effondrement au début des années  1990. À 3,2% en glissement annuel en mai, l’inflation globale commence à diminuer grâce à la baisse des prix de l’énergie. Par contre, l’inflation sous-jacente (hors énergie et produits alimentaires frais) s’est accélérée pour atteindre 4,3% en glissement annuel, son niveau le plus élevé depuis 1981. Outre ce niveau record, la question est la suivante: l’inflation peut-elle se maintenir au Japon? Pour ce faire, l’établissement de boucles prix-salaires semble être le facteur déterminant dans la mise en place d’une dynamique de demande intérieure réalisable et endogène. À cet égard, la robustesse du marché du travail (le taux de chômage s’élève à 2,6%) et la dynamique actuelle des salaires (les négociations «Shunto» de printemps ont abouti à une hausse des salaires de 3,8%, la plus importante depuis 1993) vont clairement dans ce sens.

En parallèle, le gouvernement a réaffirmé son intention de poursuivre la stratégie Abenomics1, qui implique des politiques monétaires et budgétaires accommodantes, ainsi qu’une stratégie de croissance visant à stimuler l’investissement du secteur privé. L’enquête Tankan de juin auprès des grandes entreprises a révélé une révision à la hausse de 5,4% des plans de dépenses d’investissement, avec une croissance de 13,4% en 2023. Même si les effets de base devraient entraîner un ralentissement de l’inflation sous-jacente au fil du temps, l’augmentation des dépenses d’investissement et l’établissement de boucles prix-salaires devraient peser sur l’excès d’épargne et limiter ainsi les forces déflationnistes structurelles, permettant à l’inflation de s’établir autour de l’objectif de 2% de la Banque du Japon.

LE PARADIS PERDU DE LA POLITIQUE MONÉTAIRE

Dans cette quête d’une reprise de l’inflation, la Banque du Japon devrait rester accommodante cette année, avec un taux d’intérêt directeur restant à -0,1% et le maintien du contrôle de la courbe des taux. Selon nous, le risque dans ce scénario serait que la Fed se montre plus agressive que ce à quoi l’on s’attend présentement, ce qui obligerait la Banque du Japon à réagir pour ne pas laisser le yen s’effondrer. D’autant plus qu’avec une parité EUR/JPY à 154 (un plus haut de 15 ans), le yen – qui a beaucoup souffert de l’élargissement des écarts de taux d’intérêt avec les autres économies développées – s’approche des niveaux qui ont poussé la Banque du Japon à intervenir sur le marché des changes ces dernières années pour soutenir sa monnaie.

ACTIONS JAPONAISES: CETTE FOIS-CI C’EST DIFFÉRENT?

Dans un contexte de croissance encourageante et de politiques accommodantes – contrairement à la majorité des grandes économies développées, le Japon semble constituer un investissement particulièrement intéressant. Cependant, les actions japonaises ont progressé de 20% (indice MSCI  Japan, en JPY) depuis le début de l’année et, historiquement, le Japon reste un marché qui décolle souvent vite et fort, sans nécessairement trouver un second souffle. Néanmoins, le marché japonais reste actuellement dans une configuration où les étoiles semblent s’aligner, en particulier en ce qui concerne deux thèmes structurels qui devraient s’inscrire en faveur de la performance à long terme des actions japonaises:

  • La fin d’un environnement déflationniste permettrait aux entreprises japonaises de bénéficier d’un pouvoir de fixation des prix plus important, ce qui devrait s’inscrire en faveur de la croissance des bénéfices à moyen terme.
  • La Bourse de Tokyo a lancé une réforme visant les entreprises dont le ratio cours/actif net est inférieur à 1 (soit 47% du Topix). Ces entreprises devront améliorer la rémunération des actionnaires. Le marché actions japonais compte la plus forte proportion de sociétés affichant un solde de trésorerie positif (50%). Cette réforme commence déjà à porter ses fruits: le volume des rachats d’actions annoncés au premier trimestre  2023 a atteint son niveau le plus élevé du siècle;

Risques

  • D’un point de vue tactique, le puissant rebond des actions japonaises depuis le début de l’année pourrait justifier l’attente d’une correction avant de rechercher un point d’entrée plus intéressant, bien que l’attrait du marché japonais d’un point de vue structurel reste intact. Nous vous recommandons de vous montrer sélectifs, en ciblant les valeurs de qualité exposées à la reprise intérieure.
  • Historiquement, l’appréciation du yen a pesé sur les bénéfices, les entreprises japonaises étant fortement tournées vers les exportations. En revanche, cette corrélation a eu tendance à s’estomper au cours des dernières années, grâce à une plus grande diversité de titres et à une allocation sectorielle plus équilibrée que par le passé.

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