Investissement durable: une priorité et un potentiel pour la place financière suisse

Hans-Ruedi Mosberger, SwissBanking

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Quant aux investisseurs, ils sont de plus en plus sensibilisés au développement durable. La Suisse a le potentiel de devenir un hub international majeur dans ce domaine.

L’activité bancaire au sens classique du terme est depuis toujours primordiale à travers le monde et indispensable au bon fonctionnement des économies. Les intermédiaires financiers font tourner le système économique et participent à son évolution. Les banques influent ainsi fortement sur l’affectation des fonds qui leur sont confiés: par l’octroi de crédit et l’investissement, elles contribuent au développement de certains secteurs économiques et à leur orientation vers le développement durable. En Suisse tout particulièrement, le bien-être social et la croissance économique doivent beaucoup au secteur bancaire.

Mais le secteur financier joue aussi un rôle clé pour atteindre les objectifs de l’Accord de Paris sur le climat. La Commission européenne estime que dans le domaine des infrastructures climato-compatibles, par exemple, il existe encore un déficit d’investissement de quelque 180 milliards d’euros par an par rapport aux objectifs de l’Union européenne (UE). Il résulte de l’article 2.1c de l’Accord de Paris, qui constitue un instrument de droit international contraignant, que tous les flux financiers devront être rendus compatibles avec les objectifs climatiques. Cette réorientation présente deux dimensions: d’une part, associer systématiquement flux financiers et compatibilité climatique et d’autre part, mobiliser davantage d’investissements et de financements privés pour la protection du climat. Elle implique aussi de supprimer systématiquement tous les flux financiers qui ne sont pas conformes aux objectifs de Paris.

Révision de l’objectif initial

Le Conseil fédéral entend définir la politique climatique de la Suisse en fonction d’une limite de réchauffement de 1,5 degré Celsius par rapport aux valeurs de l’ère préindustrielle. Après analyse du rapport spécial du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat), il a récemment constaté que l’objectif indicatif de réduction des émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2050 annoncé sur la base de l’Accord de Paris n’était pas conforme aux dernières conclusions des scientifiques. Aussi a-t-il décidé le 28 août 2019 de viser un objectif «zéro émission nette» à partir de 2050.

Les risques climatiques sont également des risques économiques. C’est pourquoi le développement durable est un enjeu non seulement éthique, mais aussi économique et existentiel pour les opérateurs des marchés financiers. En matière de finance durable, la place financière suisse joue d’ores et déjà un rôle moteur grâce à la grande diversité de ses acteurs et à sa compétence technique. Quant aux investisseurs, ils sont de plus en plus sensibilisés au développement durable. La finance durable est une priorité stratégique pour l’ASB, car la Suisse a le potentiel de devenir un hub international dans ce domaine. Lors de sa dernière séance, le Conseil d’administration de l’ASB a arrêté sa position sur ce sujet et l’a formalisée dans une prise de position.

«La place financière suisse joue d’ores et déjà un rôle moteur
grâce à la grande diversité de ses acteurs et à sa compétence technique.»

Atteindre l’objectif ambitieux d’être un hub international en matière de finance durable suppose de combiner différentes mesures. D’une part, les banques souhaitent élaborer elles-mêmes des lignes directrices destinées aux intermédiaires financiers, c’est-à-dire des recommandations sur les moyens d’intégrer les critères de développement durable dans les produits, les services et les processus de conseil. D’autre part, il faut créer une incitation supplémentaire pour les clients en éliminant les handicaps concurrentiels lors de l’émission de produits financiers durables. Les prescriptions existantes comportant des structures incitatives négatives, par exemple celles applicables aux caisses de pension, doivent être remplacées par des dispositions adaptées à la réalité d’aujourd’hui.

Mais pour que le secteur financier suisse puisse contribuer au développement durable sous toutes les formes possibles, il doit être en mesure d’exporter l’expertise dont il dispose. La capacité d’exportation doit donc être renforcée et l’accès au marché assuré. Les efforts isolés ne servent à rien, la Suisse doit donc tenir compte des évolutions internationales dans le cadre d’une approche coordonnée.

Une Directive européenne novatrice pour les caisses de pension

A cet égard, il n’est pas inutile d’examiner la situation au sein de l’UE. En décembre 2016, presque en même temps que le plan d’action de l’UE sur la finance durable, a été publiée la Directive concernant les activités et la surveillance des institutions de retraite professionnelle (Directive IORP II). Il s’agit de prescriptions minimales que les Etats membres de l’UE devaient mettre en œuvre avant janvier 2019. Si la Directive IORP de 2003 fixait déjà un certain nombre de normes minimales, celle de 2016 introduit des obligations en matière de gouvernance et d’information, en particulier, pour les institutions de retraite professionnelle, l’obligation de procéder régulièrement à une évaluation des risques et de la documenter. La qualité de la gestion des risques est assurée grâce à une approche fondée sur des principes, conformément au «Prudent Person Principle»1. En vertu de ce principe, toute analyse des risques doit intégrer des critères écologiques, sociaux et de gouvernance (les critères ESG). En revanche, il n’existe aucune obligation de prendre ces critères en compte dans les activités de placement.

«Les efforts isolés ne servent à rien, la Suisse doit donc tenir compte
des évolutions internationales dans le cadre d’une approche coordonnée.»

En révisant la Directive IORP II, l’UE souhaite faire en sorte que les institutions de retraite professionnelle disposent d’une liberté d’investissement suffisante dans le cadre de leur gestion des risques. A cet effet, dans tous les Etats membres, les plafonds quantitatifs par catégorie de placement sont supprimés, ce qui du point de vue suisse apparaît véritablement visionnaire.

Certes, en Suisse aussi, la prise en compte (facultative) des critères ESG lors des décisions de placement est de plus en plus fréquente. Mais elle ne fait pas expressément partie intégrante des obligations de diligence des organes responsables. Les évolutions observées au sein de l’UE devraient donc être un signal fort pour notre pays, où la réforme de la prévoyance est au point mort.

Relever les défis sociaux et écologiques nécessite des moyens financiers considérables, qui dépassent les capacités des Etats. Les banques, en tant que principales gestionnaires des actifs mondiaux, ont un rôle à jouer et sont prêtes à prendre des responsabilités.

L’ASB va s’engager en faveur d’un catalogue de mesures coordonnées, rapidement applicables et adaptées à la situation.

1 S’agissant de placements, on parle de «Prudent Investor Rule».

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