France: coup de frein à la croissance, sérieux mais temporaire

Hélène Baudchon, BNP Paribas

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L’impact du mouvement des Gilets jaunes sur la croissance en France au quatrième trimestre sera probablement significatif, mais temporaire.

  • 2019 commencera sur des bases moins allantes que prévu jusqu’à présent, mais la croissance bénéficiera des mesures de soutien qui viennent d’être annoncées, ainsi que des réformes déjà introduites.
  • Le déficit budgétaire devrait de nouveau franchir la barre des 3% en 2019, mais ce dérapage devrait être transitoire et limité grâce aux mesures de compensation que s’apprête à prendre le Gouvernement.
  • Lors de son intervention télévisée du 10 décembre, Emmanuel Macron a réaffirmé sa détermination à mener à leur terme les réformes prévues.

Nous passons en revue les implications des derniers mouvements sociaux en France en termes de croissance, de déficit budgétaire et d’agenda des réformes.

Perspectives de croissance

Les manifestations des Gilets jaunes auront probablement un impact négatif significatif sur l’activité au quatrième trimestre: directement, du fait des barrages, des dommages causés à certains magasins et infrastructures, ainsi que des perturbations consécutives des chaînes d’approvisionnement et de la baisse d’activité, du chiffre d’affaires et de l’emploi; indirectement, du fait de la chute de la confiance des ménages et des entreprises et des moindres dépenses qui en découlent. Il est aussi difficile de dire quelle sera l’importance de l’effet de rattrapage une fois la situation revenue à la normale. À l’instar de la Banque de France, qui vient d’abaisser sa prévision de croissance pour le T4, de 0,4% à 0,2% t/t, suite au mouvement, nous prévoyons désormais une croissance de 0,2% au lieu de 0,6% t/t auparavant, une prévision qui se situait, il est vrai, dans la fourchette haute.

Notre prévision de croissance en moyenne annuelle pour 2018 s’en trouve abaissée de 1,7% à 1,5%.

La dynamique de croissance, pour le début de l’année prochaine, s’annonce donc bien moins forte que prévu jusqu’à présent. L’acquis nettement moins positif hérité de la fin 2018 diminue automatiquement de 0,3 point de pourcentage le taux de croissance en moyenne annuelle pour 2019. Mais le train de mesures annoncées par le Président Macron, en réponse au mouvement des Gilets jaunes, est de nature à soutenir immédiatement la croissance d’autant qu’il est centré sur les ménages ayant une forte propension à consommer (voir encadré). Si l’on retient un multiplicateur budgétaire prudent de 0,5, les 10 milliards d'euros de mesures rehausseront la croissance de 0,2 point de pourcentage. Nous maintenons donc inchangée notre prévision de croissance 2019 à 1,6%.

Concernant l’inflation, nous estimons l’impact de l’annulation de la hausse des taxes sur les carburants, initialement prévue pour 2019, à -0,2 point de pourcentage.

Dérapage budgétaire

Sous l’effet conjugué du surcroît de soutien budgétaire et des risques à la baisse sur la croissance, le déficit budgétaire dépassera certainement à nouveau la barre des 3% en 2019, au lieu de l’objectif officiel actuel de 2,8%. La question qui se pose est celle de l’importance de ce dépassement. Les premiers chiffres ayant circulé dans la presse font état d’un creusement du déficit à 3,5-3,6% en l’absence de mesures de compensation. Or, le gouvernement devrait limiter autant que possible le dérapage. Les mesures correctrices seront connues sous peu (un nouveau projet de loi de finances est annoncé pour le 19 décembre). Les mesures de financement seront, semble-t-il, centrées sur les entreprises. Selon leur nature et leur ampleur, elles viendront plus ou moins diminuer l’impact positif sur la croissance des mesures annoncées pour soutenir le pouvoir d’achat des ménages à faibles revenus.

Pour la Commission européenne, un dérapage ne serait pas très inquiétant dans la mesure où le déficit global, bien qu’important en 2019, masque une meilleure situation sousjacente, abstraction faite du caractère exceptionnel de la transformation du CICE (crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi) en baisse de charges (dont le coût budgétaire se monte à environ un point de PIB).

Maintien de l’agenda des réformes

À en juger par ses déclarations, lors de son allocution télévisée du lundi 10 décembre au soir, Emmanuel Macron reste déterminé à mener à son terme son agenda de réformes. Les quatre réformes suivantes, en cours d’élaboration, restent donc au programme: retraites, assurance-chômage, État et institutions. Sont organisées, par ailleurs, du 15 décembre au 1er mars, des consultations dans l’ensemble du pays sur la transition énergétique, les impôts et les dépenses publiques et le débat démocratique. L’instauration de ce dialogue est bienvenue et les enjeux sont importants, mais il ne faut pas s’attendre à un big bang sur une période aussi courte.

Pour finir, les mesures de relance de la demande juste annoncées viennent compléter, sans la remettre en question, la politique de l’offre, composante centrale des Macronomics. Par ailleurs, nombre de réformes ont déjà été adoptées: elles ne sont plus dès lors à l’ordre du jour et on peut aussi en escompter des effets positifs sur la croissance (Code du travail, loi Avenir professionnel complétée du grand plan compétences, loi PACTE – plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises –, ainsi que les baisses d’impôts en faveur des ménages et des entreprises votées dans le budget 20181).

Les mesures de soutien aux faibles revenus

  • Augmentation de 100 euros par mois du revenu d’un travailleur au SMIC dès le début 2019, au travers d’une augmentation de la prime d’activité. Celle-ci vient en sus de la revalorisation automatique du SMIC horaire en janvier 2019 (+1,5%), après déjà une augmentation de 1,2% en octobre 2018 du SMIC mensuel net consécutive à la suppression des cotisations sociales salariales sur le chômage et la maladie.
  • Annulation de la hausse de la CSG (de 6,6% à 8,3%) pour un retraité touchant moins de 2000 euros par mois (c’est-à-dire relèvement du seuil d’application de la mesure préalablement fixé à 1200 euros; les retraités dont le revenu est inférieur restent assujettis au taux réduit de CSG, inchangé à 3,8%; les retraités dont le revenu est supérieur à 2000 euros restent assujettis au taux rehaussé de 8,3%).
  • En plus d’être exonérées de cotisations salariales comme déjà prévu à compter de septembre 2019, les heures supplémentaires seront aussi défiscalisées, le tout dès janvier.
  • Versement par les employeurs, sur la base du volontariat, d’une prime exceptionnelle de fin d’année, défiscalisée.

Ces mesures viennent s’ajouter à l’annulation des hausses de taxes sur les carburants, initialement prévues en 2019 (annoncée début décembre) ainsi qu’à une série d’annonces précédentes (faites à la mi-novembre juste avant le premier round de manifestation du 17 novembre) pour un meilleur accompagnement vers la transition énergétique au bénéfice des ménages les plus en difficulté:

  • extension du nombre de bénéficiaires du chèque énergie et augmentation de son montant pour les bénéficiaires actuels
  • revalorisation des aides pour sortir du chauffage au fioul
  • doublement de la prime à la conversion (de 2000 à 4000 euros) pour les Français les plus impactés par la hausse du prix des carburants
  • réévaluation du barème kilométrique pour les véhicules de faible puissance
  • exonération d’impôt sur le revenu des aides versées par les collectivités à ceux qui font des longs trajets en voiture pour aller travailler
  • incitation fiscale au covoiturage.
Sources: presse, BNP Paribas

 

1 Voir «France: Macronomics, an 1» (EcoFlash n°04, 30 mai 2018) et «France: moins de déficit, moins d’impôts, moins de dépenses» (EcoFlash n°21, 10 octobre 2017)

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