Fed: la baisse obligée

Axel Botte, Ostrum AM

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Le revirement monétaire de la Fed s’est déjà concrétisé par l’abandon des hausses de taux et un arrêt anticipé de la réduction du bilan.

© Keystone

La communication de Mario Draghi la semaine passée a conforté les anticipations d’un assouplissement monétaire en septembre. Une baisse du taux est probable. Une reprise ultérieure des achats d’actifs est évoquée. La Fed devrait également réduire ses taux cette semaine malgré une croissance en ligne avec le potentiel au deuxième trimestre.

Ce soutien monétaire anticipé porte les marchés boursiers américains vers de nouveaux sommets. Le S&P cote 3025 points (+1,7% sur la semaine écoulée). La volatilité reste réduite malgré des publications trimestrielles de résultats sans relief.

Les taux sont stables autour de 2,05% sur le 10 ans américain. Le Bund s’échange à des niveaux proches de -0,40%. Le crédit euro est en forte demande compte tenu d’une reprise possible des achats d’actifs. Le high yield est plus chahuté en raison de valorisations tendues. On observe un mouvement de décompression de la structure par rating des spreads.

Le marché des changes s’anime quelque peu. L’euro s’installe sous 1,12 dollar. Le sterling intègre désormais une plus forte probabilité d’une sortie sans accord. Le dollar australien repart à la baisse alors que l’allègement promis par la RBA devrait se poursuivre.

Le graphique de la semaine

La courbe de taux s’est aplatie fortement depuis l’automne. Le spread 2-10 ans est revenu de 108pb le 5 octobre à 36pb aujourd’hui.

Ce mouvement reflète en premier lieu la perspective d’une reprise des achats d’actifs. Le marché préempte la BCE à l’instar du rally précédant le début des achats en mars 2015.

Par ailleurs, il est possible que les obligations courtes soient délaissées une fois mis en place le mécanisme de tiering des réserves. Une remontée des rendements courts par arbitrage des réserves pourrait amplifier l’aplatissement.

BCE: assouplissement à venir

La BCE s’est engagé à renouer rapidement avec les politiques expansionnistes. Cette posture confirme le biais accommodant entrevu à Sintra. Le communiqué de politique monétaire indique la possibilité d’une baisse des taux à l’horizon du premier semestre 2020. La réduction des taux promise s’accompagne d’une étude de faisabilité d’un système de rémunération des réserves bancaires moins pénalisants pour les institutions financières privées. D’autres options sont évoquées pour assouplir les conditions financières. Un nouveau programme d’achats d’actifs est en effet à l’étude pour compléter le réinvestissement des tombées. La définition de la stabilité des prix a aussi été reformulée de sorte que l’objectif de 2% d’inflation de la BCE est désormais symétrique. La BCE tolèrera désormais une inflation un peu plus forte.

Sur le plan opérationnel, la réforme est complexe mais nécessaire
pour influer sur les taux monétaires et l’euro.

Ainsi, Mario Draghi entrevoit une baisse du taux de dépôt de 10pb en septembre. Les baisses ultérieures partiellement intégrées par les marchés seront conditionnées à la mise en oeuvre d’un mécanisme de tiering afin de mitiger l’impact des taux bas sur les marges bancaires. Sur le plan opérationnel, la réforme est complexe mais nécessaire pour influer sur les taux monétaires et l’euro. L’analyse du cycle économique présentée par Mario Draghi est confuse mais laisse entrevoir les raisons d’une reprise du QE. La rechute du PMI manufacturier allemand (43,1 en juillet) inquiète malgré les ressorts internes (croissance soutenue dans la construction et les services). Nous pensons que ces nouveaux achats peuvent aussi être conditionnés au succès des TLTRO-III, moins généreux que la précédente édition. Si les banques préfèrent émettre des titres, la BCE pourrait étendre son programme aux dettes senior. Le conflit d’intérêt lié à la mission de supervision bancaire de la BCE constitue certes une difficulté si la Banque est amenée à recommander la liquidation d’une institution dont elle détient la dette. Ce conflit d’intérêt semble néanmoins gérable et, de fait, la BCE accepte ces titres non-sécurisés en collatéral (78 milliards d'euros à ce jour).

Fed: la baisse obligée

L’évènement de la semaine est sans nul doute le FOMC. Le revirement monétaire de la Fed s’est déjà concrétisé par l’abandon des hausses de taux, un arrêt anticipé de la réduction du bilan et une baisse modeste de 5pb de l’IoER (un des taux directeurs de la Fed) en mai. Une première baisse des Fed Funds interviendra probablement ce mercredi. Elle n’apparait pas justifiée par le niveau de la croissance (+2,3%a au 2t19), le chômage (3,7%) ou la baisse transitoire de l’inflation sous 2%. Ce geste s’inscrit cependant dans un cycle d’assouplissement monétaire mondial. La Fed veut probablement éviter que le dollar (que le protectionnisme de Donald Trump renchérit déjà) soit la seule variable d’ajustement du cycle mondial. Une baisse de 50pb ne rassemblera probablement pas la majorité au sein du FOMC mais on peut imaginer que la réduction de la cible des Fed Funds à 2-2,25% s’accompagne d’un ajustement fort de l’IoER (-35pb à 2%?). Ce taux constitue le coût de financement du portefeuille de la Fed, dont les réinvestissements s’effectuent à des rendements inférieurs actuellement (à l’exception du 30 ans). Par ailleurs, la baisse des taux est tellement intégrée que le statu quo engendrerait une correction boursière. La Fed ne déviera pas de la trajectoire télégraphiée depuis quelques semaines.

équilibre précaire sur les marchés

Ce contexte monétaire favorise les marchés de taux. Le message de la Fed entourant la décision sera néanmoins crucial. Les marchés intègrent une baisse graduelle de 100pb au total à l’horizon d’un an. Une baisse présentée comme une assurance contre les risques extérieurs serait incompatible avec un cycle complet. Les rendements à 2 et 5 ans pourraient remonter vers 2% et la courbe s’aplatirait de nouveau. Le consensus acheteur augmente le risque de retracement. En revanche, le spread 10-30 ans resterait orienté à la hausse.

Un mouvement de capitulation
des institutionnels n’est pas à exclure.

En zone euro, la décision de la BCE a relancé l’aplatissement de la courbe. Le spread 2-10a s’enfonce vers les plus bas de 2015 (35pb). Les emprunts semi-core (France, Belgique) offrent encore une pente attrayante sur leurs segments 10-30 ans (95pb sur l’OAT). Un mouvement de capitulation des institutionnels n’est pas à exclure. Concernant les périphériques, le risque politique en Italie ne s’est pas (encore?) concrétisé par des élections anticipées. La décision de Fitch (BBB, abaissement possible) le 9 août est une échéance importante qui pourrait raviver la volatilité sur le BTP (198pb contre Bund 10 ans). Cela étant, les maturités courtes sont protégées par les perspectives monétaires. En Espagne, le socialiste Sanchez peine à former un gouvernement, ce qui engendre quelques prises de profits (76pb sur le spread à 10 ans). Par ailleurs, la situation britannique semble sans issue. Boris Johnson se prépare au no deal et les marchés des changes et de taux lui signifient leur inquiétude. La livre est passée sous 1,22 dollar et la volatilité implicite témoigne de la fin d’une certaine complaisance vis-à-vis du trou noir que constituerait un Brexit dur. Le rendement du Gilt plonge à 0,65% face à une BoE paralysée.

La forte demande de crédit euro pousse les spreads sous 100pb contre Bund. La possibilité d’un nouveau CSPP provoque une surperformance de l’IG face au high yield, notamment sur les indices synthétiques. Quant aux actions, les publications présagent d’une contraction des profits au 3t19 aux Etats-Unis. La croissance des bénéfices plafonne à 4%, ce qui sera insuffisant pour maintenir des multiples élevés. C’est là l’enjeu de la décision de la Fed.

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