Europe: le centre peut-il tenir? - Prévisions de Saxo Bank

Communiqué, Saxo Bank

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«L’euro pourrait avoir du mal à se reprendre tant qu’une voie vers un approfondissement de l’UEM ne s’ouvrira pas», estime Steen Jakobsen, économiste en chef et CIO de Saxo Bank.

Saxo Bank a publié aujourd’hui ses prévisions pour le deuxième trimestre 2019 pour les marchés mondiaux, ainsi que ses principales idées de trading concernant les actions, le marché des changes, les devises, les matières premières, les obligations et une série de grands thèmes macroéconomiques ayant un impact sur les portefeuilles des clients.

«L’écart entre les valorisations européennes et américaines reste conséquent, les titres européens se négociant à fort escompte», selon Steen Jakobsen, économiste en chef et CIO de Saxo Bank. «Cela tient en partie à la composition de l’activité économique, l’Europe comptant moins d’entreprises technologiques et davantage de sociétés privées. De fait, les entreprises qui obtiennent les meilleurs résultats en Europe restent aux mains du secteur privé et il y a une bonne raison à cela: leur refus de céder à des stratégies basées sur des rapports de bénéfices à court terme. Vue depuis l’extérieur, l’Europe est considérée comme une éternelle cause perdue. Il est aisé d’aboutir à ce type de conclusion quand on ignore l’histoire de l’Europe, ses différents intérêts particuliers, le dividende de la paix et la nécessité pour les gouvernements de vendre l’illusion naïve de l’auto-réglementation budgétaire. Convaincus que tout revirement macroéconomique viendra nécessairement d’une dépression ou d’une crise, nous estimons que les années 2019 et 2020 seront capitales pour l’évolution de l’Europe. Nous voyons les partis populistes obtenir 20%, voire 25%, lors des élections européennes du mois de mai. Mais le facteur le plus important est l’effondrement de la croissance allemande. Nous identifions un risque de récession d’ici au quatrième trimestre, même en l’absence de différend commercial avec les Etats-Unis. Adossée à son très performant modèle d’industrie 3.0, l’Allemagne est à la traîne. Du fait de l’insuffisance de ses investissements dans le secteur technologique, elle n’est pas armée pour aborder le déploiement de l’industrie 4.0. Sa place dans le classement des débits Internet n’est qu’un symptôme parmi d’autres de ce phénomène. L’Allemagne doit rattraper son retard en termes de numérisation, de programmes destinés aux femmes actives, de construction de nouveaux aéroports et d’augmentation des dépenses consacrées aux infrastructures. Le retard de l’Allemagne va réenclencher la ’hotline’ franco-allemande et faire du problème de la dette un thème paneuropéen, qui ne se limitera plus à une opposition entre l’Allemagne et les PIIGS, ou entre l’austérité et les dépenses à tout-va. Les investisseurs depuis longtemps convaincus par les discours autour des causes perdues seraient mal inspirés d’écarter l’Europe. Après tout, elle est parfaitement positionnée pour profiter de l’automatisation, de l’IA, de la numérisation et d’un marché des capitaux abordable à tous points de vue».

Les entreprises européennes enregistrent une croissance
réelle négative de leur bénéfice d’exploitation.

Le deuxième trimestre verra cette petite musique monter crescendo. Le raisonnement de la ’cause perdue’ va être largement diffusé et l’euro, entraîné par la BCE, va probablement tomber à 1,05, si ce n’est 1,03, par rapport au dollar. Sur les 12 prochains mois, en tout cas, il faut s’attendre à un bis repetita de 2000.

Dans ce contexte incertain, voici les principales idées et principaux thèmes de trading de Saxo pour le deuxième trimestre:

Valeurs boursières – le grand écart

La triste réalité est que les entreprises européennes enregistrent une croissance réelle négative de leur bénéfice d’exploitation, la faiblesse du secteur technologique empêchant la région d’exploiter l’ère numérique.

«Nous maintenons une position défensive sur les valeurs boursières jusqu’à ce qu’un tournant se matérialise car les économies en repli dont l’activité s’inscrit en deçà de la tendance ont toujours engendré des rendements sur titres négatifs», explique Peter Garnry, responsable de la stratégie des actions. «Cet environnement macroéconomique est généralement néfaste pour des marchés des actions européens cycliques tels que l’Allemagne, l’Italie, les Pays-Bas, la Norvège et la France. Les marchés des actions qui ont l’habitude de se porter relativement bien dans un environnement économique défavorable sont le Danemark, l’Espagne, la Suède, la Suisse et le Royaume-Uni».

L’un des plus grands problèmes de l’Europe reste le secteur bancaire. Le rendement total du secteur bancaire européen depuis janvier 2003 est nul. En termes réels, il est de l’ordre de -28,5% sur une période de 15 ans. On peut y voir un parallèle bien peu réjouissant avec les banques zombies du Japon après la crise du pays dans les années 1990. L’Europe a également accepté de mettre en oeuvre d’onéreuses réglementations bancaires, ce qui n’a fait qu’alourdir les coûts pesant sur un secteur déjà affaibli. Dix ans après la faillite de Lehman Brothers, le secteur bancaire européen n’est toujours pas complètement remis, ce qui continue de peser sur la croissance et les rendements des titres.

La récente tentative politique, en Allemagne, de fusionner la Deutsche Bank et la Commerzbank illustre on ne peut plus clairement la capacité du système politique actuel à comprendre la nature du problème. Les banques sont déjà trop grosses et trop complexes, ce qui met en péril l’ensemble du système. Et Berlin veut encore accroître la concentration du secteur bancaire malgré un tollé général. Une approche judicieuse consisterait à stimuler la concurrence au lieu de la limiter.

Marché des changes – L’Europe a le plus à perdre et le plus à gagner

Dans l’attente de l’issue des négociations commerciales entre les Etats-Unis et la Chine, l’Europe est peut-être dans une situation perdant-perdant. Plus l’accord sera accommodant, plus il est probable que la Chine transfèrera une partie de sa demande d’importations de l’Europe aux Etats-Unis. Avec ou sans accord à l’amiable, le risque est d’assister à une poursuite de la démondialisation et à un ralentissement de la croissance, ce qui serait synonyme de double peine pour l’Union européenne, le bloc économique à l’excédent commercial le plus important du monde.

Les vieilles questions existentielles vont inévitablement refaire surface,
obscurcissant le paysage politique et financier de l’UE.

Alors que l’Europe va se diriger cahin-caha vers une récession plus tard dans l’année ou début 2020, les vieilles questions existentielles vont inévitablement refaire surface, obscurcissant le paysage politique et financier de l’UE. En bref, Saxo estime que l’Europe mérite une part considérable de notre attention car le deuxième trimestre sera inéluctablement un passage charnière pour l’UE. Soit nous assisterons à une escalade des signes de dysfonctionnement, soit à une approche plus déterminée des gouvernements de l’UE pour surmonter les risques engendrés par la montée du populisme et par la fondation instable de l’UEM, en porte-à-faux entre critères budgétaires et gouvernance de la Banque centrale européenne.

«Les devises que nous privilégions le moins dans un environnement d’affaiblissement de la croissance mondiale sont les dollars matières premières», a commenté John Hardy, chef stratégiste Opérations de change. «Dans ces pays, les bulles de l’immobilier en sont à différents stades d’évolution, ce qui affecte inévitablement le crédit et donc les perspectives de croissance. Notre position haussière sur les matières premières sur le long terme devrait finalement compenser les risques baissiers, mais ces risques vont prévaloir tant que les politiques des banques centrales de ces pays ne se rapprocheront pas de celles des autres marchés développés, à savoir une politique de taux d’intérêt nuls ou quasi nuls et une expansion des bilans des banques centrales afin de remettre de l’ordre dans le crédit privé. Les risques pesant sur la croissance restent une source d’inquiétude pour les marchés émergents, mais nous estimons que la Chine apporte un climat de stabilité car elle cherche à assurer la stabilité de sa monnaie et à attirer des flux de capitaux afin d’approfondir ses marchés des capitaux et de gérer sa transition vers le statut de pays déficitaire (une étape essentielle pour que le CNY devienne un actif de réserve). Le JPY pourrait bien se comporter au cours des périodes de désengagement sur des actifs risqués cette année, mais le gouvernement japonais est peut-être le mieux paré pour enclencher la stimulation budgétaire, la Banque du Japon étant disposée à coopérer afin d’éviter la volatilité du yen».

Les matières premières montent en puissance

Le secteur des matières premières a généré des rendements étonnamment robustes au cours du premier trimestre 2019, le Bloomberg Commodity Index s’étant apprécié de 9%. Cette évolution remarquable tient au fait que cette hausse était entraînée par des matières premières liées à la croissance telles que l’énergie (+17%) et les métaux industriels (+12,5%).

Les marchés, y compris ceux des matières premières, ont débuté l’année sur la défensive, les inquiétudes liées à la croissance et le resserrement des liquidités emmené par la Réserve fédérale ayant assombri les perspectives pour 2019.

Saxo estime qu’il ne faudra pas être surpris de quitter
cet environnement d’assouplissements quantitatifs.

Il a cependant suffi de quelques semaines pour que la panique s’installe à l’échelle mondiale. Début janvier, la Fed a marqué une pause, avant d’appuyer sur le bouton stop à la fin du trimestre, tout en appelant à renoncer aux initiatives de resserrement quantitatif. La Banque du Japon et la Banque centrale européenne lui ont emboîté le pas avec leurs propres mesures. En Chine, le gouvernement est intervenu par le biais de diverses initiatives destinées à stabiliser l’économie, la perspective d’un accord commercial entre Washington et Pékin agissant comme un ressort.

«Le spectaculaire revirement de bord à la Fed est considéré comme positif pour l’or car le retour à une politique accommodante souligne le risque d’une récession favorable à l’or dans les 12 prochains mois», selon Ole Hansen, chef stratégiste en matières premières. «Cependant, le deuxième trimestre ne devrait pas apporter l’étincelle dont l’or a besoin pour forcer la fourchette de résistance comprise entre 1360 dollars et 1380 dollars l’once. Au deuxième semestre, cependant, une opportunité formidable pourrait s’ouvrir grâce au contexte favorable offert par la faiblesse du dollar, la stabilité ou la baisse des rendements obligataires et les inquiétudes quant à la capacité des actions mondiales à s’apprécier encore sur fond de montées des inquiétudes liées à la croissance».

Macroéconomie – La loi de la gravité

Au cours des six derniers mois, nous avons assisté à un grand chamboulement dans le paysage macroéconomique mondial, ce qui a d’énormes implications structurelles pour l’Asie et pour le monde entier. Le noeud du problème tient au fait que les banques centrales, au premier rang desquelles la Réserve fédérale et la Banque centrale européenne, aient clairement échoué à atteindre la vitesse de libération après leurs assouplissements quantitatifs. L’attraction gravitationnelle de l’addiction à l’argent bon marché a installé les marchés des actions et des obligations dans un confort douillet, en même temps qu’elle a entraîné des événements remarquables.

Saxo estime qu’il ne faudra pas être surpris de quitter cet environnement d’assouplissements quantitatifs, entre autres parce que les niveaux d’endettement s’élèvent désormais à 250 billions de dollars, contre 175 billions avant la crise financière. La banque n’estime pourtant pas que la vitesse à laquelle les autorités ont fait machine arrière a été surprenante. Conclusion? Jusqu’à une grande remise à zéro des compteurs de la dette (comprenez décotes, restructuration et remise jubilaire des dettes), qui pourrait n’intervenir que dans cinq à dix ans, nous voilà engagés dans une période d’assouplissements quantitatifs pour une durée indéterminée.

«Le retour à une politique monétaire plus accommodante et à des rendements moins élevés sera favorable aux obligations et aux actions», estime Kay Van-Petersen, stratégiste en macroéconomie mondiale. «Il faut par exemple s’attendre à de nouveaux creux cycliques au niveau des rendements obligataires et, comme nous l’annoncions depuis longtemps, les obligations d’Etat australiennes à 10 ans sont déjà tombées à leur plancher de 1,81%. D’un point de vue structurel, j’anticipe également un affaiblissement prononcé du dollar américain au cours de l’année. Le monde a besoin d’un dollar plus faible pour prospérer et en général, le monde voit ses désirs satisfaits. Il convient également de noter que si les indices actions américains frôlent leurs plafonds historiques, nous avons déjà vu certaines valeurs atteindre des niveaux records. Le Shanghai Composite, qui pointe à environ 3 100, reste 40% en-dessous de son niveau record de 2015 de 5 180. L’indice MSCI EM va bientôt enregistrer l’inclusion d’un énorme volume d’actions chinoises, qui nous emmènera de 5% à 20% (par le biais d’augmentations de 5% prévues pour mai, août et novembre). Le rebond des actions chinoises indique peut-être que, pour l’instant en tout cas, le pire est passé s’agissant de l’économie sous-jacente chinoise et qu’elle nous réserve peut-être de bonnes surprises, en particulier les chiffres de croissance du deuxième trimestre 2019».

Obligations – Pourquoi les obligations souveraines sont le premier choix des investisseurs au deuxième trimestre

Le premier trimestre de 2019 a donné lieu à un virage à 180 degrés dans la politique des banques centrales. Conscients que les chiffres annoncent un ralentissement de l’économie mondiale, les dirigeants ne veulent pas prendre de risques. Saxo estime que c’est la raison pour laquelle la Réserve fédérale a mis en suspens ses projets de hausse des taux, la Banque centrale européenne s’est engagée à prendre toutes les mesures de soutien nécessaires et la Banque populaire de Chine encourage une stimulation par le biais de la politique budgétaire.

Un nouveau consensus autour d’une politique budgétaire plus accommodante
va émerger dans les pays européens au deuxième semestre 2019.

«Nous sommes convaincus que cette panique politique générale va jouer en faveur des obligations souveraines mondiales», ajoute Althea Spinozzi, spécialiste des obligations. «Les spreads de crédit vont également être soutenus mais les investisseurs doivent garder à l’esprit que les politiques accommodantes des banques centrales pourraient prolonger la période de fin de cycle. Elles seront toutefois insuffisantes pour éviter complètement la récession que nous prévoyons pour le quatrième trimestre 2019 ou pour début 2020. Cela signifie que si les valorisations des crédits sont soutenues plus longtemps, le risque de crédit restera quant à lui très élevé. Dans ce contexte, les investisseurs doivent rester prudents et éviter de prendre des risques superflus, notamment dans les domaines du haut rendement et des marchés émergents. Cette panique politique mondiale déclenchée par les cessions du mois de décembre a vu la Fed faire une croix sur le resserrement quantitatif et abandonner son calendrier de hausse de taux. Le fait que la Fed redevienne accommodante est une bonne nouvelle pour les investisseurs obligataires, même avec une croissance économique en berne. Les bons du Trésor vont bénéficier de ce soutien inconditionnel, même s’il est désormais acté que la récession va finir par se matérialiser».

Macroéconomie – Un test grandeur nature pour la zone euro

On constate des déclins marqués au niveau des données clés de la production industrielle européenne, en particulier en Allemagne, qui représente un tiers de l’activité industrielle de l’Europe. Ce ralentissement a surpris de nombreux dirigeants, mais Saxo estime qu’il était prévisible. Au cours des derniers trimestres, certains grands indicateurs – notamment le Credit Impulse – nous ont conduits à mettre en garde nos clients et les investisseurs contre le risque d’un tassement de la croissance en Europe.

Etant donné que les données économiques resteront décevantes au cours des mois à venir, Saxo estime qu’un nouveau consensus autour d’une politique budgétaire plus accommodante va émerger dans les pays européens au deuxième semestre 2019. Une cascade de données négatives en provenance de l’Allemagne pourrait être le déclic parfait pour susciter une politique budgétaire expansionniste en Europe.

«Nous identifions des risques de plus en plus importants pour la croissance à la périphérie de la zone euro et nous prévoyons que l’Allemagne va traverser une année 2019 décevante en termes de croissance», a commenté Christopher Dembik, chef analyste en macroéconomie. «Cela pourrait se traduire par une politique budgétaire encore plus expansionniste après les élections européennes et par le maintien de la stimulation monétaire dans une période délicate pour la BCE, qui cherchera son prochain président».

Macroéconomie – Dépenses financées par la dette contre montée du populisme

De Trump à la guerre commerciale entre la Chine et les Etats-Unis en passant par le Brexit et les gilets jaunes, les menaces de ce changement de régime sautent aux yeux. Nous assistons à un glissement des plaques tectoniques, même si nous n’avons pas encore ressenti les conséquences des versions extrémistes de ces mouvements, comme un hard Brexit. Après trois décennies de dérèglementation et de laissez-faire économique, ce nouveau paradigme va reconfigurer le contexte des affaires et de l’investissement. Cette nouvelle donne aura des implications de taille, ce qui engendrera de nouveaux obstacles et donc de nouveaux risques.

«Alors que la réaction populaire s’intensifie, le champ de bataille se fait de plus en plus chaotique, si bien qu’il est de plus en plus difficile d’évaluer le prix du risque et de trouver la réponse politique à adopter dans un environnement complexe et polarisé», selon Eleanor Creagh, stratégiste marché. «Si l’on exclut les politiques de redistribution réactives ou palliatives, on semble bien loin d’une réponse qui apportera une réelle amélioration et viendra à la rescousse des perdants de la mondialisation. La nouvelle ère politique est le fruit de décennies de changements sociétaux et la solution pourrait prendre plusieurs décennies à faire effet».

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