Do you understand me? – Weekly Note de Credit Suisse

Burkhard Varnholt, Credit Suisse

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Des malentendus linguistico-culturels peuvent avoir des conséquences tenaces et même polariser des sociétés.

 

Attention: «Very good» n’est pas forcément une félicitation. Des malentendus linguistico-culturels peuvent avoir des conséquences tenaces et même polariser des sociétés. Le Supertrend «Sociétés en colère», qui concerne aussi les investisseurs, induit l’émergence d’un monde multipolaire et se manifeste en Afrique une fois de plus. Ces derniers jours, les visites d’État et un sommet économique sino-africain ressemblent presque à un concours de séduction de ce continent longtemps oublié. Nous expliquons comment les investisseurs peuvent tirer profit du Supertrend «Sociétés en colère» et exposons les décisions les plus récentes du Comité de placement du Credit Suisse.

Un monde plein de malentendus

Qui n’en a pas déjà fait l’expérience? Deux personnes conversent et prononcent des phrases apparemment simples, mais ce que l’une veut dire et ce que l’autre comprend divergent du tout au tout. Au sein d’organisations internationales, de tels malentendus culturels peuvent entraîner des frustrations lourdes de conséquences. La Harvard Business Review a récemment publié une liste d’exemples de ce genre de méprises. On constate que la manière parfois très indirecte de s’exprimer des interlocuteurs anglais peut avoir une interprétation très différente dans la culture linguistique helvétique généralement plus directe (tableau 1):

Une comparaison des journaux internationaux montre clairement à quel point notre perception du monde est influencée par notre langue et notre culture. Une édition de «USA Today» a récemment attiré mon attention, dès la page de couverture: la gestion libérale de Zurich en ce qui concerne la prostitution et les fameuses «cabines de prestations» (sex-boxes) est tellement dramatisée à mon avis qu’on a l’impression qu’il s’agit d’explosifs. Si je n’habitais pas Zurich, j’hésiterais sérieusement à me rendre dans les 4e et le 5e arrondissements de la ville après la lecture de cet article.

Ce Supertrend encore récent présente
de l’intérêt pour les investisseurs.

Ce ne sont donc absolument pas seulement des faits objectifs mais aussi des différences linguistico-culturelles qui soulèvent des vagues et peuvent même susciter de la colère. On le voit également aux grandes divergences d’opinions et aux malentendus à propos de sujets tels que l’Afrique, les migrations ou encore la mondialisation. Il arrive que ce phénomène génère de la frustration chez certains groupes, laquelle transparaît parfois dans un nouveau populisme politique à travers le monde entier. Dans tous les cas, ce Supertrend encore récent présente de l’intérêt pour les investisseurs.

Importance du Supertrend «Sociétés en colère» pour les investisseurs

Nous vivons à une époque marquée par le dépit, la colère et la peur. Dans bien des pays, ce sont des hommes forts qui gagnent sur le terrain politique. Ils préconisent souvent le retrait d’institutions internationales pour privilégier un nationalisme censé être plus facile à appréhender, ou ils exigent davantage de pouvoir pour des autorités prêtes à prendre des décisions à tort et à travers plutôt que de s’efforcer de mettre en place des processus de longue durée. Les journaux télévisés diffusent des images de Chemnitz, Gênes ou encore Donetsk, et nous sentons bien qu’un nombre croissant de citoyens perdent confiance en leurs gouvernements respectifs. Beaucoup ont l’impression d’être désavantagés par la mondialisation. Ils expriment leur colère dans la rue, sur les réseaux sociaux ou aux urnes. Et l’Europe n’est pas la seule concernée. La grogne se manifeste en bien des endroits, et ce pour des raisons très diverses.

Ainsi, une majorité d’Américains ne comprennent pas pourquoi leurs gouvernements successifs ont déboursé plus de 600 milliards de dollars pour des conflits lointains en Irak et en Afghanistan alors que leurs propres écoles et leurs routes souffrent d’un manque chronique de financements. En outre, comme ils pensent à présent que leurs partenaires commerciaux sont déloyalement favorisés depuis de nombreuses années, ils soutiennent le conflit commercial dans lequel s’est engagé leur pays.

L’exode vénézuélien a pris une ampleur
presque similaire aux flux de réfugiés issus de Syrie.

La Chine n’est pas épargnée par la grogne elle non plus. Dans la ville de Leiyang, une foule en colère a pris d’assaut la mairie et un commissariat de police la semaine dernière pour protester contre les mesures d’économie frappant des écoles publiques. Une trentaine de policiers ont été blessés au cours des affrontements. Dans la ville méridionale de Zhongjiang, des vétérans de l’armée chinoise se mobilisent de manière récurrente pour dénoncer des payes apparemment insuffisantes et la corruption au sein de l’État. Et Hong Kong est régulièrement le théâtre de manifestations en faveur de la démocratie.

La situation est similaire en Amérique du Sud: de nombreux citoyens de Buenos Aires, Caracas ou Mexico descendent dans la rue pour protester contre leurs gouvernements respectifs. L’exode vénézuélien a pris une ampleur presque similaire aux flux de réfugiés issus de Syrie ou d’Afrique occidentale.

Au Moyen-Orient et en Eurasie, l’admiration portée de longue date à l’«American Way of Life» s’est à présent transformée en un anti-américanisme inconnu jusqu’ici. Et cette évolution de la société, des médias et de la politique s’observe même dans des pays très peuplés historiquement favorables aux États-Unis tels que le Pakistan ou la Turquie.

Qu’est-ce que cela signifie pour les investisseurs?

Dans le cadre de nos placements thématiques relatifs à ce Supertrend, nous distinguons trois sous-tendances qui sont importantes pour les investisseurs:

Premièrement, les «champions nationaux» tirent leur épingle du jeu dans de nombreux pays. Les gouvernements populistes en particulier ont un faible pour cette politique du «My Country-first» (mon pays d’abord). Deuxièmement, le rappel constant de menaces diverses soutient les dépenses de sécurité dans de nombreux domaines de la vie et de l’économie. Troisièmement, les pays émergents fortement exportateurs en particulier (c’est-à-dire en Asie) tentent de stimuler la consommation intérieure pour pallier leur dépendance des exportations.

Angela Merkel a martelé que les investissements en Afrique
présentaient davantage d’opportunités que de risques.

Les investisseurs peuvent-ils profiter de ces tendances? Il semble bien que oui. Le placement collectif récemment introduit par mes collègues dans le cadre du Supertrend «Sociétés en colère» a affiché une excellente performance jusqu’ici. En outre, les trois sous-tendances mentionnées ci-dessus y ont apporté une forte contribution entre son lancement (17.05.2017) et aujourd’hui (31.08.2018):

  1. Des champions nationaux tels que Airbus (+55%), Caterpillar (+43%), Nike (+62%) et Philips (+30%) ont constitué la sous-tendance la plus dynamique avec une progression de 33,1%.
  2.  L’augmentation des dépenses de sécurité dans la vie civile (p. ex. Securitas, Palo Alto) a permis de dégager une solide performance de 8,3%.
  3. En dépit de la faiblesse générale des pays émergents, des marques appréciées des consommateurs asiatiques comme Samsung, Samsonite et Ping An ont également affiché une excellente expansion: 15%.
Source: Credit Suisse
Les indications de performances historiques et les scénarios de marchés financiers ne constituent pas une garantie des résultats futurs.
Concours de séduction de l’Afrique (II)

Dans ma dernière communication, je me suis étendu sur le thème des placements en Afrique, suite à un voyage que je venais d’y faire, et j’ai reçu à ce sujet de nombreux commentaires positifs, qui me réjouissent beaucoup.

Comme les choses peuvent changer en l’espace de quelques jours! La semaine dernière, l’activité diplomatique en Afrique et autour de l’Afrique s’est intensifiée. Je n’ai pas anticipé ce phénomène dans ma dernière communication. C’est ainsi que, investie d’une mission officielle, Angela Merkel s’est rendue au Nigeria, au Ghana et au Sénégal. Partout, elle a martelé que les investissements en Afrique présentaient davantage d’opportunités que de risques. Elle était accompagnée d’une délégation de représentants de l’économie allemande. Cette visite était fortement orientée vers les affaires, à la différence du dernier voyage de la chancelière allemande en Afrique en 2016, au cours duquel elle s’était rendue au Mali, au Niger et en Éthiopie en la seule compagnie de son ministre chargé de l’aide au développement, en raison de la forte vague migratoire.

«L’Afrique a besoin d’investissements, pas d’aumônes»,
Berlin en est convaincu.

De toute évidence, l’Allemagne elle aussi mise à présent davantage sur le commerce et les investissements pour renforcer ses intérêts stratégiques en Afrique. En comparaison de la Chine et de l’Inde, qui y déploient toutes deux une grande activité depuis longtemps, le numéro un de l’économie européenne a là un retard considérable à rattraper. «L’Afrique a besoin d’investissements, pas d’aumônes», Berlin en est convaincu. Reste à savoir si les contrats précédemment signés avec l’Angola pour la vente de navires militaires allemands à l’armée angolaise seront constructifs. Il est fort probable que les investissements chinois d’infrastructure dans la mobilité, l’électricité et la distribution d’eau amélioreront plus durablement la vie économique quotidienne de larges pans de la population africaine.

La Première ministre britannique, Theresa May, s’est trouvée sur le continent africain presque au même moment que la chancelière allemande, avec au programme des visites au Nigeria, au Kenya et en Afrique du Sud. Elle a, elle aussi, mis l’accent sur le commerce et les investissements. À noter d’ailleurs qu’il s’agissait de la première visite officielle en Afrique d’un chef du gouvernement britannique depuis plus de six ans, ce qui est étonnant compte tenu des liens étroits qui unissent aujourd’hui encore le Royaume-Uni et ses anciennes colonies du sud. D’ailleurs, on compte 17 États africains parmi les 52 membres actuels du Commonwealth.

Peu avant les visites de Theresa May et d’Angela Merkel, le chef d’État et de gouvernement indien, Narendra Modi, s’était rendu en voyage officiel au Rwanda, en Ouganda et en Afrique du Sud. Lui aussi s’est efforcé d’intensifier les relations économiques, ce qui n’est pas surprenant étant donné l’importante diaspora indienne dans ces pays.

Quant à la Chine, elle excelle à nouveau en matière de politique africaine. Elle a invité plus d’un millier de responsables gouvernementaux et de représentants de l’économie de 53 pays de ce grand continent au sommet sino-africain tenu à Pékin. Son président, Xi Jingping, dont la dernière visite en Afrique remonte à quelques semaines seulement, s’est révélé être une fois de plus un hôte généreux, ouvert sur le monde. Il s’agit déjà du sixième sommet organisé depuis l’an 2000 par le Forum sur la coopération sino-africaine, lui-même fondé du temps de l’ancien président chinois Jiang Zemin. Dans le cadre d’une étroite collaboration, il a pour but d’encourager le développement des économies nationales africaines, dans un intérêt mutuel. Forte de sa propre expérience d’une quarantaine d’années en matière de développement, la Chine parraine aujourd’hui de nombreux projets en Afrique, dans des domaines très divers tels que l’industrialisation, le commerce et les infrastructures, mais aussi l’éducation, la santé et l’agriculture. Au sein de la République populaire en effet, les efforts déployés à cet égard ont sorti de la pauvreté plusieurs centaines de millions de citoyens et permis à un grand nombre d’intégrer la classe moyenne.

Pour la République populaire, ce sont avant tout
les intérêts économiques qui priment.

Le fait que la Chine souhaite investir à nouveau l’équivalent de soixante milliards de dollars américains en Afrique, comme son président Xi Jingping l’a annoncé récemment, a été accueilli par la presse internationale, et suisse également, avec un mélange de surprise, d’admiration et de scepticisme. D’aucuns critiquent la «braderie de l’Afrique» et l’aveuglement des investisseurs étrangers vis-à-vis des systèmes corrompus de ce continent; la crainte d’une «politique chinoise néocolonialiste» ne passe pas inaperçue.

Lorsque certains prétendent que le concours de séduction de l’Afrique est une réédition du colonialisme européen pratiqué entre 1880 et 1915, mais sous l’égide chinoise cette fois, il faut y regarder de plus près: pour la République populaire, ce sont avant tout les intérêts économiques qui priment. À la différence de l’impérialisme européen du tournant de siècle, elle n’entend pas s’immiscer dans la politique de l’Afrique ni tracer de nouvelles frontières. Ce continent a beaucoup à lui offrir, bien plus que des matières premières. Pour elle, il s’agit également d’acquérir de nouveaux marchés de production et de distribution, et notamment d’obtenir des voix à l’ONU. Le principe de non-ingérence politique pratiqué de longue date par la Chine et, bien sûr, sa disposition stratégique à investir en Afrique n’ont rien de comparable avec la grande tragédie de l’impérialisme européen des années 1880 à 1915.

En résumé, l’émergence d’un ordre mondial multipolaire est un vaste processus, un Supertrend, qui présente un intérêt à long terme pour les investisseurs.

Décisions actuelles du Comité de placement du Credit Suisse

Lors de la dernière réunion du Comité de placement du Credit Suisse, nous sommes restés d’avis que la dynamique de croissance mondiale demeure intacte et avons maintenu le positionnement stratégique de nos placements. Afin de poursuivre le développement systématique du portefeuille, nous avons décidé de surpondérer le secteur de la santé étant donné la solide évolution actuelle de ses bénéfices, son faible endettement et ses précieux atouts en matière de diversification.

Par ailleurs, nous avons adopté une opinion neutre sur la duration de nos emprunts d’État en USD et en GBP, car la sous-pondération maintenue jusqu’ici a donné de bons résultats. Comme nous n’anticipons guère de risques inflationnistes et que la pénurie de placements dans le segment du revenu fixe rend improbable une nouvelle augmentation des rendements, nous continuons de recommander une durée alignée sur celle du benchmark.

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