Des diplomates et des fatalistes

Martin Neff, Raiffeisen

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Un Brexit sans accord de sortie semble de plus en plus probable. Le 29 mars donnera sans doute le coup d’envoi d’un nouveau round de la course contre la montre intitulée «l’espoir meurt en dernier».

Lundi, la Suisse et la Grande-Bretagne ont signé un accord ayant pour but de régler les relations entre les deux pays après le Brexit. Le conseiller fédéral Guy Parmelin et le ministre britannique du commerce extérieur Liam Fox ont notamment souligné vouloir conserver un partenariat étroit, même après la sortie des Britanniques de l’UE. La Grande-Bretagne est tout de même le sixième marché d’exportation pour les marchandises suisses et le huitième partenaire pour les importations en Suisse. C’est une raison suffisante pour que la Suisse se prémunisse contre un Brexit dur. Elle semble avoir réussi, grâce aux diplomates.

Dans le cas d’un Brexit doux auquel personne ne croît plus vraiment, l’accord entre la Suisse et la Grande-Bretagne ne prendrait effet qu’à l’issue de la phase de transition, vraisemblablement fin 2020. D’ici là, les dispositions de l’accord de libre-circulation actuel resteraient en vigueur. En cas de Brexit sans accord de sortie, ce qui semble de plus en plus probable, l’accord nouvellement signé s’appliquerait provisoirement à partir du 30 mars 2019. Il prévoit de garantir autant que possible les droits et devoirs mutuels et de les développer le cas échéant, comme le souligne le Département fédéral des affaires étrangères.

Le problème du backstop, mais pas uniquement 

Nous verrons alors si la Suisse est vraiment préparée dans l’hypothèse d’un Brexit dur. Reconnaissons qu’elle a sérieusement cherché à anticiper. D’autres estiment apparemment que c’est inutile. Le 29 mars approche à grand pas et on ne sent toujours pas de réelle précipitation. Peut-être un peu en Grande-Bretagne, mais aucune trace de nervosité à Bruxelles. Les marchés financiers ignorent également le sursis. Tout ce cinéma autour du Brexit semble de plus en plus surréaliste. Theresa May croit ou plutôt espère encore pouvoir arracher à l’UE un accord juridiquement contraignant concernant le backstop, bien qu’elle lui ait déjà adressé une fin de non-recevoir. 

«Je pense que les acteurs se laissent jusqu’à la mi-mai pour ne pas avoir
à présenter dès la fin mars une solution pour les élections européennes.»

Le backstop constitue une sorte de mécanisme de sauvegarde qui doit s’appliquer si Bruxelles et Londres ne trouvent pas de nouvel accord commercial dans les prochaines années. Concrètement, il vise à empêcher une frontière physique entre l’Irlande qui est un Etat membre de l’UE et l’Irlande du Nord, une hypothèse que de nombreux Irlandais redoutent, car ils pensent qu’elle pourrait mettre en danger la paix fragile sur l’île. Seulement voilà, le backstop est également une épine dans le pied des Britanniques. La frontière se situerait alors entre la Grande-Bretagne et l’Irlande du Nord. Les marchandises d’Angleterre, du Pays de Galle ou d’Ecosse devraient être contrôlées avant leur importation en Irlande du Nord. Ce n’est pas non plus une solution satisfaisante. A cela s’ajoute que la Grande-Bretagne resterait encore longtemps et contre sa volonté dans une union douanière avec l’UE, dont les règles économiques seraient toutefois fixées à Bruxelles sans le concours de Londres. Cette solution est inacceptable pour les Britanniques.

Une place de choix en enfer

Les artisans du traité à Bruxelles se montrent détendus. Après des négociations initiales implacables pour ne surtout pas faciliter le Brexit aux Britanniques, mais aussi pour signaler à tous les autres que l’on ne quitte pas aussi facilement l’UE, ils ont pu tranquillement assister à l’enlisement progressif du Royaume Uni. Mais maintenant que le compte à rebours est lancé, les nerfs sont quelque peu à vif. Pour s’en convaincre, il suffit de réfléchir aux conséquences du 29 mars, même si les médias restent silencieux sur la question. Et si l’on examine de près le récent dérapage verbal du président du Conseil européen Donald Tusk qui promet aux partisans du Brexit une place spéciale en enfer, parce qu’ils n’auraient pas eu de plan pour la sortie de l’UE, on doit en conclure que les relations entre le RU et l’UE reposent actuellement sur des fondations chancelantes. Les Britanniques ont en tous cas eu du mal à digérer cette remarque d’un officiel bruxellois. L’UE exige toujours des Britanniques qu’ils agissent. Or, le blocage de la situation politique intérieure ne pourra être levé que si Theresa May arrache des concessions supplémentaires à Bruxelles, autant dire une mission impossible.

Le temps devra faire son œuvre 

Les parties se sont laissé jusqu’à fin février pour cette mission impossible. Compte tenu du rythme de l’UE en général et des négociations antérieures en particulier, il faut partir du principe qu’il n’y aura pas d’ici au 29 mars de solution contractuelle acceptable pour les deux parties. Les paroles d’encouragement de Theresa May n’y changeront rien. Pour sa part, l’UE n’a aucune raison de faire le moindre geste en direction des Britanniques. Bruxelles veut clairement adresser un signal à tous ceux qui pourraient ultérieurement avoir des velléités de sortir de l’UE, selon la devise «voyez, sans nous rien ne va plus». Mais que se passera-t-il le 29 mars? Je pars du principe qu’il ne se passera rien. Le 29 mars donnera sans doute le coup d’envoi d’un nouveau round de la course contre la montre intitulée «l’espoir meurt en dernier». Je pense que les acteurs se laissent jusqu’à la mi-mai pour ne pas avoir à présenter dès la fin mars une solution pour les élections européennes qui se tiendront du 23 au 26 mai. Cette tactique politique non éprouvée mais récurrente que l’UE a développée à la perfection depuis la crise de l’euro est qualifiée de muddling through. Cela marquera alors la fin. Pas à la fin mars, mais certainement dès le printemps, pour que l’été soit vraiment brûlant. Merci aux fatalistes.

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