Dernières décisions des banques centrales: quelles implications pour les investisseurs?

James Mazeau, UBS Global Wealth Management

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Il est peu probable qu’une pause de la Fed aboutisse à un rebond des marchés et, si cette pause dure longtemps, une correction n’est pas exclue.

©Keystone

La Réserve fédérale américaine (Fed) a, comme prévu, relevé ses taux d’intérêt de 25 points de base (pb), portant le taux des fonds fédéraux dans une fourchette de 5,00 à 5,25%. La Fed a également ouvert la voie à une pause dans le cycle de relèvement de ses taux d’intérêt.

Un passage du précédent communiqué du Comité fédéral de marché ouvert (FOMC) indiquant qu’«il pourrait être approprié de resserrer encore la politique monétaire» a été remplacé par des éléments de langage plus vagues.

Lors de sa conférence de presse, le président de la Fed, Jerome Powell, a clarifié ce point et indiqué que cette modification avait vocation à signaler que le FOMC déciderait réunion après réunion de l’opportunité de relever encore ses taux.

Aucune pause prévue

La Banque centrale européenne (BCE) a également relevé ses taux directeurs de 25 pb, contre 50 pb précédemment. Le taux de sa facilité de dépôt a ainsi atteint 3,25%, un niveau qui correspond au point culminant de 2008. La présidente, Christine Lagarde, a souligné que la BCE conditionnerait sa politique monétaire à l’évolution des données mais a prévenu qu’il reste «encore du chemin à parcourir». «Nous ne faisons pas de pause, c’est très clair», a-t-elle ajouté.

Quelques jours plus tôt, la Banque de réserve d’Australie a elle aussi relevé ses taux directeurs de 25 pb, à 3,85%, dans un contexte de tensions sur le marché du travail et de forte inflation des prix des services et de l’énergie. «Il pourrait être nécessaire de resserrer encore la politique monétaire», a estimé le gouverneur Philip Lowe.

A quoi faut-il s’attendre?

En dépit du ton plus conciliant de la Fed, un nouveau relèvement des taux directeurs en juin ne saurait être exclu. Mais on peut s’attendre à ce que la Fed décide en définitive de marquer une pause.

Les statistiques publiées jusqu’ici ne justifient pas, en soi, une pause dans le cycle de resserrement monétaire. Le marché de l’emploi semble toujours dynamique avec 253’000 créations nettes d’emplois en avril et le taux de chômage est retombé à 3,4%, au plus bas depuis 69 ans. L’augmentation des salaires s’est accélérée à 0,48% en glissement mensuel, retrouvant ainsi son plus haut niveau depuis mars 2022.

Néanmoins, la Fed doit tenir compte de l’effet à retardement des relèvements de taux précédents (500 pb au total) et de la réduction en cours de son bilan, ainsi que du resserrement du crédit qui découle des tensions dans le système bancaire.

Statu quo en vue pour la Fed

Toutefois, une pause ne signifie pas nécessairement que la Fed s’apprête à baisser ses taux. L’inflation est encore trop élevée pour qu’elle puisse l’envisager. La demande privée résiste bien et le marché de l’emploi ne donne pas de réels signes de faiblesse.

Dans ces conditions, la banque centrale américaine peut difficilement justifier un assouplissement de sa politique à brève échéance. Elle se contentera probablement d’un statu quo restrictif pendant un bon moment, tout en gardant un œil sur les statistiques économiques avant de faire le prochain pas.

La BCE continue sur sa lancée

Contrairement à la Fed, la BCE a signifié qu’elle doit encore resserrer sa politique monétaire. Elle a déclaré que les relèvements de taux précédents font désormais «sentir pleinement leurs effets» sur l’économie, une allusion aux résultats de sa dernière enquête sur le crédit bancaire.

En effet, cette enquête met en évidence un durcissement des conditions de crédit plus marqué que prévu de la part des banques commerciales au premier trimestre, ainsi qu’une nette baisse de la demande de prêts. La pression inflationniste (abstraction faite du marché du travail) s’atténue aussi.

Néanmoins, il est peu probable que la BCE puisse s’en prévaloir pour interrompre le relèvement de ses taux avant l’été. La Recherche d’UBS table sur un nouveau relèvement en juin, puis un autre en juillet. Le taux de la facilité de dépôt atteindrait alors 3,75%, certainement son point culminant. D’ici-là, de nouveaux signes tangibles de décrue de l’inflation (y compris en provenance du marché de l’emploi) devraient permettre à la BCE de marquer une pause.

Qu’est-ce que cela signifie pour les investisseurs?

Il est peu probable qu’une pause de la part de la Fed entraîne un regain d’appétence au risque. La fin du cycle de relèvement des taux directeurs est largement anticipée depuis des mois et les cours de marché reflètent sans doute déjà cette perspective. Lors des cycles passés, le S&P 500 n’a touché le fond que lorsque la Fed a commencé à baisser ses taux, et pas seulement lorsqu’elle a cessé de les relever.

Toutefois, la valorisation des actions américaines reflète non seulement l’hypothèse d’une pause, mais aussi celle d’une baisse des taux vers la fin de l’année. Par conséquent, il est peu probable qu’une pause aboutisse à un rebond des marchés et, si cette pause dure longtemps, une correction n’est pas exclue.

Le risque est que les investisseurs en actions soient allés trop vite en besogne en intégrant les baisses de taux directeurs, mais pas les difficultés économiques à l’origine d’un tel virage accommodant. Par conséquent, même si la fin du cycle de relèvement des taux directeurs devrait faire de la Fed une source de volatilité plus discrète, cela ne change rien aux risques baissiers liés au resserrement en cours.

Dans les starting-blocks

Même si les résultats des entreprises au premier trimestre se révèlent moins mauvais que prévu, on peut tout de même tabler cette année sur une contraction de 5% des bénéfices du S&P 500. En outre, l’inquiétude quant à la santé des banques régionales aux Etats-Unis a récemment resurgi après la chute de First Republic Bank.

Les données relatives au positionnement des investisseurs suggèrent que ces derniers attendent le bon moment pour réinvestir dans les actions. En effet, ils pourraient être enclins à passer rapidement à l’acte, un repli substantiel des actions étant considéré comme une opportunité d’achat avant même la première baisse des taux de la Fed.

Cette volonté de prendre les devants pourrait empêcher les actions de céder plus de 10%, auquel cas le S&P 500 tomberait légèrement en deçà de l’objectif de la Recherche d’UBS de 3800 points en fin d’année. A leur niveau actuel, les actions restent tout de même moins intéressantes que les obligations de grande qualité.

Il est recommandé aux investisseurs de prendre les mesures suivantes:

  • Acheter des obligations de qualité
    Alors que les taux directeurs approchent de leur point culminant et que les perspectives économiques se dégradent, il est conseillé d’accroître l’exposition aux obligations et de s’assurer le niveau de rendement actuel avant que les marchés ne commencent à intégrer des taux d’intérêt nettement moins élevés.
    On décèlera de belles opportunités parmi les obligations de qualité étant donné le niveau convenable des rendements et la possibilité de réaliser des plus-values en cas de ralentissement économique. On privilégiera les obligations high grade (d’Etat) et investment grade, ainsi que les obligations durables.
  • Ne pas se limiter aux actions américaines et aux valeurs de croissance
    Après un début d’année en fanfare, la valorisation des actions américaines reflète une forte probabilité d’atterrissage en douceur pour l’économie américaine. Cependant, le durcissement des conditions de crédit, l’érosion des bénéfices des entreprises et les valorisations relativement élevées sont autant de risques qui pèsent sur elle.
    Par conséquent, il est recommandé de ne pas se limiter aux Etats-Unis et aux valeurs de croissance et d’investir dans les marchés émergents et dans certains thèmes en Europe (par exemple, les secteurs liés à la consommation).
  • Se positionner dans l’optique d’une dépréciation du dollar
    La Fed n’exclut plus une pause dans le cycle de relèvement de ses taux d’intérêt. Tandis que les autres banques centrales – y compris la BCE – poursuivent leur resserrement monétaire. Dans ces conditions, le dollar américain devrait encore se déprécier cette année à mesure que les taux d’intérêt et la croissance aux Etats-Unis s’amenuiseront. La Fed baissera probablement ses taux avant les autres grandes banques centrales.
    Il est conseillé aux investisseurs de couvrir leur exposition longue en dollar américain. Dans sa stratégie de change à l’échelle mondiale, la préférence de la Recherche d’UBS pour le dollar australien et pour le yen reste d’actualité. En outre, l’euro, le franc suisse et la livre sterling sont plus intéressants à ses yeux. Une dépréciation du dollar serait de nature à soutenir l’or. L’objectif de cours pour le métal jaune en mars 2024 s’élève à 2200 dollars américains l’once.

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