Consommateurs, gardez un moral d’acier

Marie Owens Thomsen, Indosuez Wealth Management

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Les bienfaits du protectionnisme vont aux entreprises et à l’Etat. Les ménages payent la facture.

 

Le président américain Donald Trump a imposé des droits de douane sur l'acier et l'aluminium. Pour remettre cette décision en perspective, nous allons passer en revue les barrières douanières et les quotas américains que le président George W. Bush avait imposés sur l'acier en 2002.

Le 5 mars 2002, le président George W. Bush décida unilatéralement d’imposer un droit de douane de 30% sur l’acier ainsi que des quotas, prévus pour trois ans. Ces droits de douane avaient été introduits à titre de mesures protectionnistes d'urgence contre «une hausse des importations étrangères, le préjudice causé par l'intervention des gouvernements étrangers sur le marché mondial de l'acier, la surcapacité mondiale, la chute des prix et la baisse de la rentabilité»*. Les mesures avaient pour objectif de donner à l'industrie sidérurgique américaine le temps de se restructurer et furent introduites juste avant les élections de mi-mandat.

«Les barrières douanières commençant à produire leurs effets délétères,
les prix de certains produits augmentèrent de plus de 80%.»

Le climat et le déroulement des événements observés aujourd'hui s’apparentent fortement à ceux constatés en 2002, y compris sur le plan du calendrier électoral, puisque l’actuelle hausse des tarifs douaniers précède les élections de mi-mandat qui auront lieu au mois de novembre. La seule différence aujourd’hui est dans le motif juridique invoqué, soit la «sécurité nationale». Cette nouvelle stratégie est probablement motivée par le fait que l'Organisation Mondiale du Commerce (OMC) s'était alors prononcée contre les États-Unis et en faveur des plaignants qui avaient porté plainte auprès de l’organisation en 2002. Parmi les demandeurs figuraient notamment l'Union européenne mais également le Brésil, la Chine, le Japon, la Corée du Sud, la Nouvelle-Zélande, la Norvège et la Suisse. Les représailles contre les droits de douane américains consistèrent dans un premier temps à déposer une plainte formelle auprès de l'OMC, et, dans un deuxième temps, à imposer temporairement des mesures protectionnistes nationales supplémentaires. Les plaignants demandèrent enfin aux États-Unis réparation financière pour un montant équivalent au tribut sur les exportations.

Les barrières douanières commençant à produire leurs effets délétères, les prix de certains produits sidérurgiques aux États-Unis augmentèrent de plus de 80%, alors que Robert Zoellick, alors Représentant américain au commerce, avait estimé la hausse du prix global de l'acier aux États-Unis à 6-8% (2002). Les États-Unis publièrent rapidement de multiples listes de produits sidérurgiques à exclure des droits de douane parce que ceux-ci se révélaient nécessaires et que la production nationale ne parvenait pas à fournir les produits de substitution. Des centaines de produits furent exclus en mars 2003 et, le 4 décembre 2003, le président George W. Bush leva les dernières barrières douanières qu’il avait introduites un an et demi plus tôt.

L'effet des droits de douane dépend de l'élasticité de la demande et de l'offre, c'est-à-dire de la sensibilité de celles-ci aux variations de prix. Un droit de douane peut avoir un impact favorable lorsque la demande domestique est relativement inélastique (la hausse des prix n’a qu’un léger effet négatif sur la demande), lorsque l'offre domestique est relativement élastique (la hausse des prix dope l’offre) et lorsque l'offre domestique et les importations sont substituables. Dans ce cas de figure, une hausse du prix des importations entraînerait un changement au niveau de la demande, qui favoriserait les entreprises nationales. 

«Les élasticités et la substituabilité de la demande
et de l'offre américaines ne semblent pas favorables.»

Étant donné que le taux de pénétration des importations américaines dans le secteur de la sidérurgie est passé d’environ 23% en 2009 à près de 33% en 2017 – et ce en dépit des 164 mesures correctives commerciales déjà existantes et toujours en vigueur contre les importations de produits en acier** –, nous pouvons en tirer deux conclusions: premièrement, les élasticités et la substituabilité de la demande et de l'offre américaines ne semblent pas favorables, et deuxièmement, cette mesure protectionniste supplémentaire ne devrait pas modifier la première conclusion. Dans ce cas de figure, le déficit commercial américain se creuserait à mesure que les volumes d'importation stables se renchérisseraient. Dans un second temps, ce déficit pourrait se creuser davantage encore si la demande étrangère de produits américains composés d'acier (et d'aluminium) s'avérait sensible aux prix.

En substance, c'est l’intensification de la concurrence, et non le recul de celle-ci, qui rend les industries plus compétitives. Le protectionnisme est essentiellement une question de redistribution où les avantages tendent à aller aux entreprises protégées et à leurs actionnaires, ainsi qu'au gouvernement, tandis que les ménages payent la facture.  Aux consommateurs de garder un moral d’acier.

* Robert Read, «The EU-US WTO Steel Dispute: the Political Economy of Protection and the Efficacy of the WTO Dispute Settlement Understanding »
** Moniteur du commerce de l’acier mondial, Département du commerce, Administration du commerce international, mars 2018