Cadeaux numériques

Martin Neff, Raiffeisen

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Le droit de citoyenneté dans le métaverse est l’idée de cadeau du futur. Siri ou Alexa c’est de l’histoire ancienne.

Les fêtes sont imminentes et ceux qui n’ont pas encore de cadeaux pour leurs proches commencent à être nerveux et vont devoir se hâter pour acheter n’importe quoi dont ils pensent que cela pourrait plaire au bénéficiaire. Cette étape me sera fort heureusement épargnée, puisque ma femme et moi avons décidé de ne pas nous faire de cadeaux. Nous estimons que nous avons déjà tout ce dont nous avons besoin et nous jugeons très irrationnels les nouveaux besoins, car leur satisfaction n’a aucun intérêt d’un point de vue économique rationnel. Même si Instagram n’est pas de cet avis. Nous considérons que ce qui ne nous manquait pas ne peut pas soudainement être précieux. Jetez un œil à vos ustensiles et vous verrez combien de choses inutiles se sont accumulées au fil des ans et j’espère que vous comprendrez mon propos. Les orgies de cadeaux constituent le sommet du gaspillage qui prédomine de toute façon déjà dans une société de consommation.

Mais attention, il reste les enfants. Quand je me souviens de ma (petite) enfance, je me rappelle évidemment volontiers l’excitation exceptionnelle qui régnait à Noël. En dehors de l’anniversaire, c’était l’événement de l’année et tout tournait évidemment autour des cadeaux. La liste de souhaits en tête, tout le suspense résidait dans la découverte des articles effectivement déposés sous le sapin. De la tension et de la joie anticipée à l’état pur. Ne serait-ce que pour cette raison, j’entonnais aussi sagement «douce nuit» avec les autres. Mais aujourd’hui, ce n’est plus aussi simple de faire plaisir aux enfants. Nous avons beau connaître les loisirs de nos rejetons et a priori aussi ce qu’ils aiment ou non, au final ceux-ci appliquent deux critères de jugement qui m’étaient encore étrangers dans mon enfance. Il ne s’agit pas seulement de savoir si une chose leur plaît. Il faut aussi que la communauté la trouve cool. Marques, couleurs, styles et emblèmes: les raisons de se tromper sont aujourd’hui multiples, même si l’on entend juste offrir quelque chose de pratique à ses enfants. Le mieux est encore de leur donner de l’argent pour qu’ils se fassent plaisir dans le temple de la consommation. Si tout va bien, on peut aussi faire les achats avec eux, mais prudence, car cela peut devenir assez gênant. Ceux qui n’ont pas trouvé leurs marques sur Tiktok ou Instagram feraient mieux de s’abstenir.

Car la manipulation de notre jeunesse - et pas uniquement de cette dernière - est en marche. Cela fait longtemps que nous sommes prisonniers des algorithmes. Facebook a beau «intéresser» plutôt les gens d’un certain âge, ce qui se déroule dans ce groupe n’en reste pas moins assez représentatif de la manière dont les plates-formes sociales noyautent la société. Et Facebook n’est pas juste «que» Facebook. Le patron de Facebook élimine toute concurrence indésirable en la rachetant. C’est ce qui s’est passé avec Instagram en 2012 et deux ans plus tard avec WhatsApp pour pas moins de 19 milliards de dollars. Entre-temps, Facebook a racheté une centaine de sociétés Internet qui ont toutes une chose en commun: des millions d’utilisateurs («users»). Le groupe a ainsi un pouvoir qui pourrait bientôt échapper à tout contrôle. En un mois, plus de 3,5 milliards de personnes accèdent à Facebook (hors Whatsapp ou Instagram), un tiers de l’humanité possède un compte Facebook. Mais qui parle encore de Facebook? La prochaine ère est engagée depuis longtemps. Facebook s’appelle désormais Meta et c’est un coup aussi génial que subversif. Etant donné que la marque Facebook se traîne désormais tant de casseroles qu’elle risque d’être mise au ban de la société, elle disparaît tout simplement des encyclopédies. Trop de pression des procureurs généraux aux Etats-Unis, des vents contraires en Europe et l’ancienne gestionnaire de Facebook et lanceuse d’alerte Frances Haugen qui a révélé ce que beaucoup supputaient, à savoir comment Facebook subordonne tout au commerce, même la dignité humaine et comment le groupe gère la critique et même les obligations, simplement en les «contournant» et comment Facebook utilise abusivement des données à grande échelle. Et comment les algorithmes des sociétés de Mark Zuckerberg fourvoient notre jeunesse (et pas seulement elle), voire la dévoient. Par exemple des jeunes qui s’intéressent à une alimentation saine sur Instagram et qui sont finalement orientés vers des contenus faisant la promotion de l’anorexie, comme l’explique Frances Haugen. Oui, les algorithmes ne sont pas à prendre à la légère. Au point que 13% des utilisateurs britanniques et 6% des utilisateurs américains ont imputé leurs idées suicidaires à Instagram. Par ailleurs, les cartels de la drogue mexicains peuvent facilement recruter des tueurs à gage sur Facebook et même les payer. Des esclaves se négocient même sur Instagram et ce c’est pas une fake news. Vous cherchez une femme? En vente sur WhatsApp via Facebook. Mark Zuckerberg n’ignore rien de ces faits et crée à présent le métaverse, alors que son groupe met encore des mois à retirer du réseau des contenus officiellement contestés. Nouveau nom, table rase du passé. Car l’avenir est prometteur, tout comme le métaverse. 

Quel néologisme, ni Etat ni communauté, juste l’univers à un métaniveau. Une chose est d’ores et déjà certaine, le droit de citoyenneté dans le métaverse est l’idée de cadeau du futur. Siri ou Alexa c’est de l’histoire ancienne. Mon plus jeune fils se verra prochainement offrir un avatar. Celui-ci l’accompagnera toute la journée dans le métaverse afin de lui simplifier la vie qui lui échappe peu à peu, parce qu’il se sent tellement mieux dans le métaverse que dans la dure et froide réalité. Il peut lui-même définir son avatar, l’habiller, le coiffer, choisir son style et même changer son sexe, mais surtout: lui demander sans cesse conseil. L’avatar lui dira ce qu’il doit porter, où faire ses achats et quoi acheter, quelle fille lui convient, et tant d’autres choses, une infinité d’autres choses. Le nouveau métaverse deviendra ainsi sa nouvelle existence et - mon Dieu - ce qu’elle sera brillante et excitante et surtout simple, grâce à Mark Zuckerberg. Ces bonnes âmes de la Silicon Valley lui inventent une nouvelle vie, une qui vaut davantage la peine d’être vécue que sa vie actuelle et il n’aura jamais eu meilleur ami que son avatar. Quel cadeau formidable. Mais ce n’est évidemment pas totalement gratuit. Dans le métaverse, son avatar l’assistera également au plan politique pour lui dire quand voter et quand s’abstenir. Il peut enfin se positionner lui aussi et tous les citoyens du métaverse l’approuveront et feront comme lui. Une communauté sans la moindre embrouille, tous unis, de manière libertaire et démocratique, cela va de soi. De la science-fiction (?) pour terminer cette année et une piste de réflexion quant à la direction dans laquelle nos gentils dictateurs numériques et leurs algorithmes pourraient bien nous envoyer. N’hésitez pas à jeter un œil aux Facebook Files, c’est inquiétant. Mais assez des mises en garde. Mon avatar me prie à présent de me coucher. Je vous souhaite un joyeux Noël et une bonne et heureuse année. Et un grand merci pour votre fidélité et les nombreux feed-backs encourageants à ma chronique! 

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