Bilan de santé 2018 des émergents et diagnostic pour 2019

Karine Hirn, East Capital

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La faible performance des marchés en 2018 s’explique par trois facteurs principaux qui devraient garder leur importance en 2019.

© Keystone

À la fin de chaque année, la plupart des institutions financières publient leurs prévisions pour l’année calendaire à venir. À la fin de 2018, le nombre anormalement faible de telles publications indiquait clairement que le niveau d’incertitude était actuellement si élevé que beaucoup n’étaient pas prêts à s’engager publiquement.

L’année 2018, de manière inattendue, a été une année difficile pour toutes les catégories d’actifs, les marchés émergents et les marchés frontières étant tout particulièrement sous pression, avec des baisses respectives de 14,6% et 16,4% alors que les valeurs mobilières des marchés développés baissaient quant à elles de 8,7% (tous les chiffres sont en dollar). La faible performance des marchés en 2018 s’explique par trois facteurs principaux qui devraient garder leur importance en 2019.

2018, une année anémique

Le premier facteur à prendre en considération est l’incertitude politique. C’est l’une des principales conséquences des guerres commerciales de Trump. Le flou entourant les nouveaux tarifs douaniers à venir et la longue liste d’effets secondaires que ceux-ci induisent, font qu’il est très difficile de mesurer l’impact sur l’économie mondiale. La BCE a récemment affirmé que l’escalade de tension pourrait affecter le PIB mondial de près de 1% la première année (et le PIB américain de plus de 2%). Même s’il s’agit clairement d’un «scénario catastrophe», il donne malgré tout une indication de ce qu’envisagent les acteurs du marché.

L’avenir reste ambivalent même si nous estimons que les mouvements
de devise importants sont en grande partie derrière nous.

Le deuxième facteur est la contraction des conditions financières. Depuis août 2008, les trois principales banques centrales ont injecté 12 000 milliards USD dans des actifs financiers, ce qui s’est avéré être l’un des principaux moteurs du rendement élevé des actifs financiers. Cependant, en 2018, les achats nets se sont considérablement réduits et se situent autour de 250 milliards de dollars. En 2019, on s’attend à ce que les «trois grands» commencent à engager des opérations de reprise nette de liquidités puisque la BCE va mettre fin à son programme d’achat d’obligations alors que la FED prévoit de laisser jusqu’à 50 milliards de dollars d’obligations arriver à échéance chaque mois. Par la suite, le retrait de liquidité du marché aura un impact significatif sur les rendements et les valorisations. On pourrait faire valoir que cela s’est déjà, d’une certaine façon, reflété dans les cours boursiers. Un impact secondaire est qu’avec moins «d’argent bon marché» disponible, on peut s’attendre à ce que le marché pardonne moins aux entreprises qui font des erreurs ou font preuve d’une gouvernance médiocre, et continue plus que jamais à s’intéresser en priorité aux entreprises synonymes de haute qualité.

La force du dollar est le troisième facteur. Elle est principalement due à la vigueur de l’économie américaine, amorcée par les réductions d’impôt de Trump et par des taux américains nettement plus élevés. En 2018, nous avons vu quatre hausses successives du taux de la FED et, parallèlement, des rendements américains en forte hausse, le rendement à 2 ans augmentant par exemple de près de 1%. Cela a eu un impact dévastateur sur les pays les plus exposés comme la Turquie et l’Argentine, où les conséquences ont été aggravées par des erreurs politiques, mais aussi sur de nombreuses autres monnaies. L’avenir reste ambivalent, même si, dans l’ensemble, nous estimons que les mouvements de devise importants sont en grande partie derrière nous. Au fur et à mesure que les effets des mesures fiscales de relance s’éteindront, la croissance américaine ralentira de manière significative. Elle devrait être passée sous le seuil des 2,0% au quatrième trimestre 2019 et beaucoup parlent même d’un risque de récession. La FED a opté pour une approche «basée sur les données», qui pourrait apporter des surprises positives pour les marchés émergents, comme un souvenir du temps où les investisseurs estimaient qu’un ralentissement de l’économie américaine pouvait en réalité être bénéfique pour les marchés émergents, car susceptible de conduire à des politiques plus accommodantes de la part de la FED.

À quand le rétablissement, docteur?

Rien de ce qui a été présenté ci-dessus n’est ni très polémique, ni même controversé, et il serait donc raisonnable de s’attendre à ce que la plupart des risques évoqués ont déjà été intégrés dans les prix pratiqués. On peut d’ailleurs peut clairement le constater en comparant le rendement des actions d’une société à ses véritables performances.

En 2019, la quasi-totalité des observateurs s’attend, hors Chine,
à ce que la croissance du PIB progresse d’environ 0,4%.

En regardant les chiffres, on pourrait en effet affirmer que les marchés émergents ont, d’une certaine façon, réagi de manière excessive. Il s’agit d’un phénomène assez courant sur ces marchés, car la base d’investisseurs qui s’y consacrent est nettement plus petite que la masse de «l’argent cross-over» et, par conséquent, à chaque fois que ce dernier est injecté dans cette catégorie d’actifs ou qu’il en est retiré, on peut constater des dépassements de valorisations dans les deux sens.

Nous notons par ailleurs que la faible performance du marché s’accompagne paradoxalement de performances réelles généralement fortes de la part des économies des marchés émergents. De plus, en 2019, la quasi-totalité des observateurs s’attend, hors Chine, à ce que la croissance du PIB progresse d’environ 0,4%, ce qui contraste fortement avec la chute de 1,0% attendue sur les marchés développés, laquelle est largement provoquée par les États-Unis. En outre, nous ne nous attendons pas à une répétition de la crise Turquie/Argentine (du moins, sur la base des indicateurs fondamentaux), puisque le cycle de hausse des taux est déjà largement intégré dans les prix pratiqués, comme nous l’avons indiqué plus haut.

Si nous nous intéressons aux ratios cours/bénéfice de 2019, la majorité des grands pays de référence se négocient à un escompte de 20% par rapport à leurs évaluations moyennes des trois dernières années. Et ce en dépit de perspectives de croissance des bénéfices relativement solides, qui ne se sont pas détériorées de manière significative. Nous considérons ces évaluations acceptables étant donné les risques connus et le potentiel de hausse que nous percevons, en particulier dans certaines sociétés bien positionnées.

Cependant, nous admettons que pour que le marché se concentre vraiment sur les fondamentaux, c’est-à-dire sur les performances véritables des sociétés, il faudra que le bruit géopolitique s’atténue quelque peu. Nous espérons que ce sera le cas au cours du 1er semestre 2019. En attendant, nous veillerons à ce que nos portefeuilles restent bien équilibrés, tout en nous concentrant sur les sociétés liquides de haute qualité qui ont fortement reculé cette année malgré de solides performances réelles. Nous aimons tout particulièrement les sociétés avec un bilan sain, un cash-flow libre important, un potentiel de dividendes, ainsi qu’un avantage concurrentiel à long terme susceptible de perdurer tout au long du cycle.

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